Aéroport de Pau : « L'heure est grave » - Premium

« L’heure est grave », annonce d’emblée Nicolas Patriarche, président du Syndicat mixte de l’aéroport Pau-Pyrénées (SMAPP). Si, avec différents responsables économiques béarnais, il a convoqué ce mercredi une conférence de presse, c’est que la situation est « intenable ». En cause, la bataille au long cours qui oppose l’aéroport palois à son voisin tarbais. Une bataille faussée, pour les Palois, par la « concurrence déloyale » des Bigourdans. Une concurrence « démontrée par trois rapports, des chambres régionales des comptes de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie et par la Cour des Comptes, qui ont toutes les trois posé la question du régime différent de ces aéroports ».Au cœur du problème, le modèle différent des deux aéroports. Celui de Tarbes bénéficie en effet depuis 2004 d’un régime d’obligation de service public (OSP), assurée par Volotea, qui permet à l’Etat et aux collectivités de subventionner la liaison. Celle-ci est financée à hauteur de 4,75 millions d’euros par an. Celui de Pau n’en bénéficie pas, et a donc interdiction, en vertu du droit de la concurrence, de subventionner ses liaisons. Le résultat, Nicolas Patriarche le projette, chiffre à l’appui, sur grand écran. Depuis 2004, la ligne Tarbes-Orly est passée de 50.000 à 180.000 passagers par an ; celle de Pau, qui transportait plus de 300.000 passagers avant le covid, « arrive péniblement à 120.000 à la fin de l’année 2023 », et prévoit de tomber à 90.000 en 2024. Relativement stables jusqu’en 2019, les courbes se sont croisées après le rebond post-pandémique : la fréquentation de l’aéroport de Tarbes a remonté pour finir par largement dépasser son niveau d’avant-crise alors que celle de Pau a été pratiquement divisée par trois. Car, depuis le covid, l’OSP de Tarbes est attribuée au low-cost espagnol Volotea, dont la desserte et la qualité de service sont garantis par l’OSP. De son côté, Transavia a réduit peu à peu sa desserte de l’aéroport de Pau, et les quatre liaisons quotidiennes sont devenues deux, puis une seule, le soir, empêchant de faire l'aller-retour vers la capitale dans la journée.« Il y a évidemment eu une aspiration du trafic » à cause de ce « deux poids, deux mesures », qui « met en péril l’existence de la ligne Pau-Orly à court terme », conclut Nicolas Patriarche. Sans OSP à Pau, « On pourrait nous annoncer l’arrêt total de la ligne sans que nous puissions rien y faire ».Pour les entreprises, la liaison Pau-Orly est « une nécessité »Il s’agit d’un réel « phénomène de réenclavement du Béarn », souligne le président du SMAPP, alors que « l’alternative ferroviaire est légère », l’aller-retour en TGV dans la journée « quasiment impossible ». « On est à 4h30 de Paris en TGV, en priant pour que tout se passe bien sur le tronçon Pau-Dax », le plus ancien de France, évoque-t-il. Et les enjeux vont au-delà de la seule santé financière de l’aéroport. « Notre territoire est doté de formidables atouts, mais en termes d’infrastructures de transport, il est en difficulté », insiste Nicolas Patriarche. Une enquête a été menée auprès de leurs adhérents par les organisations professionnelles locales (CCI, MEDEF Béarn et Soule, UIMM Adour-Atlantique, Fédération du Bâtiment). 217 entreprises représentant 10.700 emplois y ont répondu. 97% jugent important le maintien de la liaison aérienne Pau-Orly, 86% jugent la desserte actuelle insatisfaisante… Du côté du Medef Béarn & Soule, on confie n’avoir jamais vu une telle participation ni une telle unanimité dans des enquêtes similaires. « Pour Total, la ligne avec Orly est une nécessité », confirme un représentant du géant de l’énergie, historiquement très implanté à Pau.L’enclavement est « un frein très important pour le développement de notre territoire », déplore Jean-Marc Roy, président du Medef Béarn & Soule, qui se dit « très inquiet pour les projets industriels futurs », et souligne que l'aéroport de Roissy, bien desservi depuis Pau, « n’est pas adapté pour les voyages d'affaires ». « Il s’est posé, il y a quelques années, la question de faire remonter Safran Helicopter Engines vers Paris, raconte Marie-Pierre Berruyer, travel manager chez le motoriste de Bordes. À l’époque, on avait pu défendre le territoire. Aujourd’hui, ça serait moins facile ».Le ton monte entre élus Les déclarations de Gérard Trémège, maire de Tarbes, ont été très mal accueillies en Béarn. En novembre dernier, l’élu bigourdan avait réfuté le terme de concurrence déloyale, sans oublier au passage d’égratigner ses collègues béarnais : « Si la Région Nouvelle-Aquitaine et l’Agglomération paloise avaient décidé de contribuer au financement du déficit de Transavia, peut-être que le service aurait continué ». Fin juillet, Michel Pélieu, président du département des Hautes-Pyrénées, avait quant à lui déclaré : « La transformation profonde du modèle économique de l'aérien touche de plein fouet nos voisins palois et booste notre aéroport ». Des piques qui ont exaspéré leurs homologues béarnais : « Je suis fatigué des démonstrations de force et des provocations » de la Bigorre, s’énerve Nicolas Patriarche. « Il faut que quelqu’un frappe du poing sur la table ». Et le président de l’aéroport de demander l’intervention de l’Etat dans le conflit pour « sous son patronage, chercher des solutions ensemble ».« Si l’OSP Tarbes-Orly n’est pas renouvelée en 2026, parce que le niveau de trafic excèdera dès cette année les 150.000 passagers annuels, limite légale permettant un financement public, les deux territoires seront finalement perdants : retrouver les créneaux sur Orly et la compagnie aérienne prête à tenter l’aventure sera mission impossible », considère Nicolas Patriarche. « Cessons de nous invectiver », lance-t-il, appelant à rechercher, entre les deux aéroports, « des complémentarités bien réelles ». « L’aviation locale va connaître de grandes évolutions dans les années à venir. Tout le monde comprend que faire voyager des avions de 195 places quatre fois par jour n’a pas de sens. Nous sommes un territoire innovant, innovons ! ». Et de lister quelques pistes de réflexion : rapprochement avec l’aéroport de Tarbes, la mise en place d’une navette entre les deux aéroports… et « pourquoi ne pas travailler à une compagnie aérienne des Pyrénées qui aille de Perpignan à Biarritz ». Faute de bonne volonté et de dialogue, conclut-il, « la question du recours juridique se posera », même si Nicolas Patriarche le précise, « ça serait la dernière extrémité ».

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