1/5 Frontière de demain - « Quand on fait du transfrontalier, on ne peut être qu’européiste »
Le Pays basque français (nord) et espagnol (sud) ne sont séparés que par les Pyrénées et la Bidassoa. Pas de quoi empêcher de nombreux salariés de traverser la frontière administrative tous les jours. Dans le même temps, de nombreux projets transfrontaliers sortent de terre chaque année. Quel avenir pour cette économie transfrontalière ? Placéco Pays basque vous propose toute la semaine une série d'articles sur la question.
Joseba Erremundeguy est Conseiller Délégué aux Coopérations transfrontalières, européennes et internationales à la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB). Crédits : Gaëlle Coudert
Transports, culture, connaissance mutuelle… Joseba Erremundeguy, Conseiller Délégué aux Coopérations transfrontalières, européennes et internationales à la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB), évoque les leviers qui vont permettre de renforcer les coopérations au sein du territoire transfrontalier au Pays basque. Pour lui, la condition à un territoire transfrontalier renforcé est avant tout une Europe renforcée.
Quels sont les principaux intérêts pour les acteurs économiques de s’ouvrir au transfrontalier ?
Aujourd’hui, il y a peu d’échanges et de connaissance mutuelle entre les acteurs économiques du Pays basque nord et ceux du Pays basque sud. Seuls quelques acteurs économiques importants notamment dans l’agroalimentaire, comme Agour, par leur culture personnelle, par leur réseau, arrivent à avoir des échanges. Une partie du projet d’Eusko Barter que l’on a accompagné, qui avait pour ambition de créer un réseau d’entreprises transfrontalier (voir le quatrième épisode de cette série), était l’analyse des échanges et des opportunités transactionnelles avec les entreprises de l’autre côté. On s’est rendu compte qu’il y avait des opportunités qui n’étaient pas exploitées, par exemple des entreprises de l’agroalimentaire qui se fournissaient en contenants en Europe mais qui ont à quelques kilomètres d’ici des entreprises capables de leur fournir. Ces exemples-là on peut les dupliquer. Aujourd’hui, on continue à accompagner la suite de ce projet porté par la fondation Bihar pour créer des réseaux d’entreprises. On a aussi beaucoup travaillé sur le domaine agroalimentaire. Mais il y a de grandes différences. On a de notre côté des petites exploitations axées sur la qualité, les labels, les AOC ; des produits fermiers. Et de l’autre côté, on a un modèle beaucoup plus axé sur la transformation plutôt industrielle. Donc on n’a pas les mêmes enjeux de valorisation de production. On a réfléchi à l’idée d’une labellisation commune, d’une marque territoriale, mais aujourd’hui, il y a une crainte de notre territoire de faire bénéficier de notre image à un modèle qui n’est pas exactement le même que le nôtre. Sauf s’agissant du cidre : on produit du cidre de la même manière, ce sont plutôt des petites exploitations qui vont le faire, en tout cas, il y a une recherche de qualité de part et d’autre de la frontière, c’est la raison pour laquelle on a accompagné les producteurs du territoire pour qu’ils puissent intégrer la démarche de demande d’AOP engagée par les producteurs basques de l’autre côté. Nous attendons une décision de la Commission européenne, qui acterait le premier AOP transfrontalier sur un produit éminemment emblématique qu’est le cidre basque.
Quelles sont les difficultés et freins qui empêchent aujourd’hui le développement des coopérations, et comment est-ce que la CAPB cherche à les réduire ?
C’est essentiellement le manque de connaissances des tissus économiques entre eux, renforcé par les différences linguistiques. Dans le même temps, la langue aussi peut être une opportunité. Les entrepreneurs qui coopèrent le plus entre eux sont souvent les entrepreneurs qui parlent le basque. La stratégie de la CAPB est essentiellement d’agir pour donner aux citoyens, entreprises et organismes la possibilité de se connaître et de prendre l’habitude d’échanger entre elles. C’est un travail de longue haleine. On a des projets concrets, mais il y a toute une partie qui consiste à préparer l’avenir de notre territoire et de faire en sorte que les jeunes, les futurs entrepreneurs et entrepreneuses de notre territoire aient envie de travailler en transfrontalier. Pour cela, il faut renforcer la connaissance mutuelle, le plurilinguisme, et donner l’opportunité aux gens de se mouvoir facilement, avec la question du transport. C’est très complexe, car on rentre dans les habitudes quotidiennes des gens. L’office public de la langue basque a récemment lancé les séjours transfrontaliers linguistiques pour renforcer ce type d’échanges. S’agissant des transports, la CAPB et le syndicat des mobilités travaillent avec l’Eurorégion à la question du RER basque transfrontalier qui va arriver d’ici 2028-2030. Il va nous permettre avec un cadencement quotidien à la demi-heure de se déplacer rapidement entre Bayonne et Saint-Sébastien.
Quels sont les axes principaux de la politique de la CAPB pour les années à venir s’agissant du transfrontalier ?
Les principaux axes restent la question des mobilités, la question de l’eau – c’est le sujet principal de notre coopération transfrontalière, et le premier budget de la CAPB, 95 millions d’euros d’investissements sur 2024 - et la question de la jeunesse, en accompagnant les initiatives des jeunes pour faciliter les échanges transfrontaliers. On accompagne aussi des projets culturels. Pour cela, on a un fonds de soutien aux initiatives transfrontalières à la CAPB où on accompagne des projets transfrontaliers d’initiative citoyenne ou les projets d’associations ou entreprises. Ça va des rencontres de jeunes à la frontière avec des concerts à des olympiades entre les provinces basques, une pastorale transfrontalière, ou encore la création d’une œuvre musicale avec des choristes et musiciens de part et d’autre de la frontière. C’est probablement le média culturel qui est le plus transfrontalier sur notre territoire, parce qu’il s’agit peut-être d’un vecteur qui permet plus facilement d’échanger.
Est-ce que selon vous l’histoire du Pays basque favorise la coopération par rapport à d’autres territoires transfrontaliers ?
Oui tout à fait. On a une histoire en commun, une langue en commun, une culture en commun. Ce territoire historique avec ses sept provinces facilite les échanges et ça nous permet, à nous la CAPB, de dialoguer avec des institutions qui n’ont pas d’équivalent de notre côté, qui sont des quasi-États. Quand on travaille avec le gouvernement basque, qui fait des lois et dont les provinces gèrent leurs impôts, on est sur une asymétrie totale. Mais partager une histoire, une culture et une identité commune nous permet d’avoir ce dialogue, un canal direct avec eux.
Comment imaginez-vous le territoire transfrontalier de demain ?
On partage cette histoire et cette culture, mais il faut se rappeler qu’il y a quelques années, on avait une véritable frontière. Aujourd’hui, c’est grâce à l'Union européenne, à l’espace Schengen, qu’on a la possibilité de se mouvoir entre États. À la veille des échéances électorales, c’est important de le rappeler. Les choix politiques qu’on fait ne sont pas complétement anodins. Les personnes à la tête de ces deux territoires sont européistes, et quand on fait du transfrontalier, on ne peut être qu’européiste. C’est une condition de nos relations transfrontalières. Ce qui se passe au niveau national ou européen a un impact là-dessus. Ça m’inquiète beaucoup de voir qu’aujourd’hui il y a des mouvements en Europe qui sont de plus en plus favorables à la fermeture des frontières. C’est incompréhensible. Je suis attaché à ce qu’il y ait une Europe ouverte sur ces questions et que la majorité européenne de demain fasse en sorte qu’on soit une Europe encore plus intégrée, encore plus ouverte. La condition d’un transfrontalier renforcé, c’est aussi le renforcement de l’Europe. Le territoire de demain, c’est aussi un territoire avec plus de possibilités de se mouvoir de part et d’autre de la frontière grâce aux transports en commun du quotidien avec des prix accessibles – c’est ce à quoi on travaille aujourd’hui. On est contre la LGV, parce qu’on considère qu’une LGV, c’est une Europe des capitales. Nous, on est attachés à ce train du quotidien, à ce RER basque qui va permettre aux gens qui travaillent de se déplacer quotidiennement. Mais au fond, le plus gros enjeu, c’est la connaissance mutuelle de nos territoires, la culture commune, qui se délite un peu aujourd’hui : une culture transfrontalière, et européenne.
Sommaire
1/5 Frontière de demain - « Quand on fait du transfrontalier, on ne peut être qu’européiste »
Transports, culture, connaissance mutuelle… Joseba Erremundeguy, Conseiller Délégué aux Coopérations transfrontalières, européennes et internationales à la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB), évoque les leviers qui vont permettre de renforcer les coopérations au sein du territoire transfrontalier au Pays basque. Pour lui, la condition à un territoire transfrontalier renforcé est avant tout une Europe renforcée.
2/5 Frontière de demain : comment l’Eurorégion cherche à favoriser les coopérations
Dans le cadre de son appel à projets sur « l’innovation eurorégionale », l’Eurorégion a financé 7 projets au mois de décembre 2023, pour un montant de 400 000 euros. Parmi eux, le projet Addilanza, qui porte sur la réparation d’engrenages grâce à la fabrication additive. Zoom sur cette coopération transfrontalière, impulsée par l’aide de l’Eurorégion.
3/5 Frontière de demain : comment l’économie locale peut bénéficier de la complémentarité des territoires
Si les flux actuels entre les territoires au nord et au sud de la frontière franco-espagnole restent limités, malgré leur complémentarité, divers acteurs s’attachent à les renforcer.
4/5 Frontière de demain : l’espoir d’une monnaie locale transfrontalière prend forme au Pays basque
Euskal Moneta démarre cette année une expérimentation qui a vocation à déboucher sur un Eusko transfrontalier, monnaie locale qui pourrait être échangée au nord comme au sud du Pays basque. Une idée qui pourrait voir le jour sur deux territoires pilotes à partir de 2025.
5/5 Frontière de demain : vers un tourisme transfrontalier ?
De notre côté de la frontière, la clientèle nationale et internationale se presse sur la côte basque. Pour autant, un tourisme local, et transfrontalier se développe au fil du temps. Non seulement ici, mais aussi de l'autre côté de la Bidassoa.