Crise agricole (2/6) : la Ceinture Verte, un modèle de maraîchage alternatif
Alors que les agriculteurs des quatre coins de la France ont fait entendre leur voix en ce début d’année, Placéco s’interroge sur les possibilités de diversification du secteur. Agrivoltaïsme, cultures atypiques ou agritourisme : quels leviers existent pour consolider un modèle d’exploitation et assurer une stabilité financière ? Découvrez tout au long de la semaine une série d’articles qui explorent, en partie, ce vaste sujet.
La Ceinture Verte propose aux maraîchers des installations « clés en mains » de deux hectares. | Photo laceintureverte.fr
Partant du constat que la plupart des agriculteurs peinent à se rémunérer grâce à leur travail, la Ceinture Verte, une fédération de coopératives locales, retourne le problème en proposant aux maraîchers de petites exploitations clés en mains, à la surface soigneusement calibrée pour leur permettre de dégager rapidement un salaire. Maraîchage diversifié, engagement bio et vente directe sont à la base de ce modèle. Revers de la médaille : l'exploitant n'est pas propriétaire de son terrain.
Ce sont quelques exploitations autour de Pau, d’autres dans la Drôme, en Seine-Maritime, et une dans le Limousin. Leur point commun ? Elles mesurent exactement deux hectares : les dimensions précises d’une exploitation permettant à un maraîcher de vivre de son travail, selon la Ceinture Verte. Derrière ce nom, une SAS montée au niveau national, et qui regroupe au niveau local un ensemble de SCIC (Sociétés coopératives d'intérêt collectif). « Ces SCIC réunissent un certain nombre d’acteurs, à l’intersection entre le monde politique et le monde paysan. Par exemple, le président de la Ceinture Verte du Terroir de Haute-Vienne est le chargé de l’alimentation », explique Hugo Prud’homme, maraîcher à Isle, près de Limoges. Ce sont ces sociétés qui possèdent les fameux deux hectares, et les donnent en location à des porteurs de projet.
Ceux-ci s’installent sur un terrain « clés en mains », avec un système d’irrigation, quatre serres d’une surface totale de 1.500 m², un tunnel de stockage pour le matériel agricole et un bâtiment de stockage froid pour les légumes : au total, l’équivalent de 150.000 euros d’investissement. Charge au maraîcher de fournir tracteurs, bâches, engrais et autre petit matériel. « J’ai dû faire un emprunt de 70.000 euros », raconte Hugo Prud’homme. Un investissement de départ bien plus faible que pour une exploitation agricole classique. En contrepartie, le maraîcher verse une cotisation de 750 euros par mois pendant vingt ans à la Ceinture Verte, dont une partie est dédiée à l’acquisition de parts sociales dans la SCIC dont il dépend. Surtout, l’agriculteur n’est que locataire du terrain, qui demeure propriété de la SCIC. « Pour un agriculteur, raconte Hugo Prud'homme, il y a deux rémunérations : la rémunération mensuelle et la capitalisation de la ferme. Dans une ferme classique, la rémunération est faible, mais la capitalisation de la ferme est importante. On dit que les agriculteurs sont pauvres toute leur vie, puis deviennent riches quand ils vendent leur ferme. Une ferme Ceinture Verte, c’est une bonne rémunération mais peu de capitalisation. »
Se verser un salaire « correct »
Un modèle qui permet à Hugo Prud’homme de se verser un salaire de 1.000 euros par mois au bout d’un an d’exploitation. « C’est correct », considère le maraîcher, qui prévoit d’atteindre 1.500 euros par mois au bout de cinq ans. Mais qui souligne néanmoins : « Être paysan, chef d’exploitation, c’est beaucoup de responsabilités et de prises de risque. Et je ne pense pas qu’il existe une autre profession où l’on emprunte 100.000 euros pour gagner 1.000 euros par mois. Ma revendication, ça serait 2.000. Dans l’idéal, en vendant nos légumes, mais ça ne serait pas juste vis-à-vis du consommateur… c’est un peu une impasse. »
En termes de débouchés, le modèle économique des exploitations Ceinture Verte est centré sur la vente directe. « Ils misent beaucoup sur la restauration collective, essayent de les convaincre de s’approvisionner en local », raconte Hugo Prud’homme. Une piste qui n’a pas fonctionné pour lui : « Les quantités demandées sont trop faibles, ils n’achètent pas en été, et ils négocient trop les prix », énumère-t-il. Il a donc choisi de privilégier la vente aux restaurateurs et aux marchés. Sa structure fonctionne avec deux employés : lui-même, et une ouvrière maraîchère entre mars et novembre. Cette année, il prévoit un recrutement supplémentaire de juillet à octobre.
Engagement à produire bio
Hugo Prud’homme raconte s’être intéressé au maraîchage après des études d’agronomie, « plutôt tournées vers la gestion de projet ». Il travaille ensuite deux ans comme ouvrier agricole : c’est l’un des prérequis pour les candidats à l’installation avec la Ceinture Verte. « Il faut au moins une année d’expérience dans le maraîchage, précise-t-il, et un engagement à produire un maraîchage diversifié et biologique. » Les candidats passent des entretiens, au cours desquels un référent technique vérifie la solidité de leurs connaissances et de leur business plan. S’ils sont retenus, les agriculteurs bénéficient ensuite d’un accompagnement par un tuteur. « Le mien a dix ans d’expérience et est très ancré localement, se félicite Hugo Prud’homme. Ça permet d’éviter les erreurs au départ. » Son installation remonte à 2021 : à l’époque, il est le premier maraîcher de la Ceinture Verte de Limoges… il l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui. L’objectif était pourtant d’installer une dizaine de nouvelles fermes par an, mais, souligne le maraîcher, « le problème, c’est la disponibilité du foncier et l’eau. Il est très difficile de trouver des terrains avec de l’eau en Haute-Vienne, qu’elle soit de surface ou souterraine ».
« C’est sûr, je reste pendant au moins dix ans sur ce métier, conclut Hugo Prud’homme. Et si la structure fonctionne bien, je continuerai. » Une flexibilité rendue possible par le modèle Ceinture Verte. « C’est l’avantage de ne pas être propriétaire : je peux me dire que dans dix ans, je refais le point. »