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Cancer et entreprendre : « Aujourd'hui, je suis différent »

Inspiration
mercredi 30 octobre 2024

Eric Tardy dirige Simone à Bordeaux avec son épouse Agnès, une entreprise engagée de bracelets colorés. Crédit : GR

Comment continuer à mener l'entreprise lorsque la maladie frappe le dirigeant ? Eric Tardy, directeur de Simone à Bordeaux, témoigne de l'âpreté du combat face au double cancer qui a touché sa femme… mais aussi permis au couple de fonder la société qui cartonne aujourd'hui et dont Agnès incarne les valeurs.

Eric Tardy est dirigeant de Simone à Bordeaux, entreprise de bracelets colorés fondée par son épouse, Agnès. Celle-ci a vaincu un double cancer du sein triple négatif en 2018 puis en 2019. Aujourd'hui, la société compte dix salariés. Elle cartonne et soutient les soignants contre le cancer.

Lorsque vous apprenez le cancer d'Agnès, vous êtes dirigeant de votre entreprise. Comment gérez-vous les deux fronts à ce moment-là ?
Quand le diagnostic tombe, je ne gère rien du tout ! C'est une onde de choc qui frappe toute la famille. En 2019, je fais les allers-retours entre Paris où les clients de mon entreprise d'événementiel se trouvent et Bordeaux où ma famille vient de s'installer. Mon épouse, Agnès, clôt un chapitre professionnel dans les relations publiques pour de grandes maisons parisiennes et rêve de construire un nouvel horizon. A l'annonce de son cancer, ma première décision en tant qu'entrepreneur est de me rapprocher de ma famille, de resserrer le cocon. Donc je ferme les bureaux de Paris, mes collaborateurs comprennent et retrouvent rapidement un emploi. Et là, je me demande: qu'est-ce que je vais faire ? S'ouvre une période professionnelle aléatoire. Je deviens slasheur, j'ai plusieurs activités.

Quels métiers exercez-vous durant cette période de slasheur ?
D'abord, je vends mes prestations à une agence d'événementiel FG Designe à Bègles, c'est une garantie d'un salaire minimum mensuel car nous avions besoin de cette sécurité. Le PDG Didier Soumaille me fait confiance et ça me fait du bien. J'ai fait beaucoup de relation publiques où j'ai rencontré de supers personnes. Je les remercie du fond du cœur, encore aujourd'hui, d'avoir été si compréhensifs. Le job ne m'a pas particulièrement passionné, j'ai dû m'adapter à un nouvel environnement et à un tissu économique et social tout en étant présent pour Agnès, en étant présent pour les rendez-vous médicaux. J'étais démotivé parce que j'étais déprimé, j'avais peur pour Agnès et notre fille. 

Qu'est-ce qui fait du bien dans cette période, professionnellement ?
L'aide de gens comme eux, qui m'apportent du réconfort, avec qui je me sens entouré... Même si je ne partageais pas la profondeur de mes états d'âmes, je venais au bureau tous les matins, je retrouvais une équipe où l'on menait des projets dans un climat serein. C'est précieux. Cela a duré un an mais j'ai été rattrapé par l'envie d'entreprendre. Je crois que la force de caractère de l'entrepreneur, c'est d'aller de l'avant, toujours. La deuxième année, en 2019, lors du deuxième cancer d'Agnès, là, c'est encore plus dur. J'avais besoin de pouvoir m'échapper de la maison et de penser à autre chose pendant la journée si elle n'avait pas besoin de moi. J'ai intégré Eovolt, une entreprise de vélos pliables, pour développer les partenariats. J'avais besoin de flexibilité et de mobilité. J'ai sillonné toute la région avec mon vélo dans le coffre de la Twingo de ma mère que je venais de racheter à mes frères et ma soeur suite à son décès. J'ai aussi vendu des partenariats dans la culture pour Wild Immersion qui propose des solutions 3D pour sensibiliser sur la biodiversité. Nous avons convaincu Cap Sciences et Raphaël Dupin de travailler avec nous. Je me souviens de ce moment car il a compté, un peu comme une bouée quand tu coules.

À quoi vous raccrochez-vous en ces débuts de chaos ?
À l'adrénaline de l'action et à l'alcool. J'ai trop bu. Je buvais le soir, tard. Et puis, lorsque j'ai pris conscience que je détruisais ma santé alors que ma femme se battait pour sa vie, j'ai arrêté. Net. Professionnellement, c'est un moment où je repars de zéro, je fais ce que je faisais à mes débuts, j'évolue dans un univers où je ne connais personne, où personne ne connaît mon histoire. J'avais besoin de ce passage pour digérer ce que nous étions en train de vivre. Besoin, peut-être aussi, de disparaître de mon environnement professionnel habituel. Cette période m'a fait du bien, finalement. Mais je voulais être indépendant et financièrement, c'était un peu chaud.

Quand décidez-vous de créer Simone à Bordeaux ?
Agnès était en guérison fin 2019. En 2020, nous créons la société. En 2021, la petite entreprise qu'elle avait créée en auto-entreprise pour passer le temps pendant ses traitements ne suffisait plus à répondre à la demande, donc je la rejoins pour développer la marque que nous voulons joyeuse, colorée, engagée et porteuse de sens. On se lance en se disant « Au pire, ça marche… »

Qu'est-ce que le cancer vous a appris en tant que chef d'entreprise ?
Même si on me reproche encore parfois mon emportement, je crois avoir appris à être plus empathique, à écouter ma sensibilité. Aujourd'hui, je suis différent d'avant. J'essaie d'être plus à l'écoute, de faire plus de feedback avec les équipes pour que nos collaborateurs trouvent leur alignement avec eux-mêmes. Depuis le cancer, j'ai arrêté de jouer le jeu, de vouloir montrer une image de moi.

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