« Une politique d'achats responsables crée de la valeur » - Premium

Spécialiste des achats responsables, fondatrice de The A Lab qui forme les organisations à la compréhension des enjeux RSE, Sabine Jean-Dubourg intervient au sein du Conseil national des Achats (CNA). Depuis Bordeaux, elle forme et accompagne les entreprises et collectivités dans leur politique d'achats responsables, qui n'est pas une simple affaire de bons de commande. Estimez-vous que les dirigeants sont conscients des enjeux et de l'urgence d'agir en changeant les produits achetés ? De ce que ma pratique m'amène à constater, je dirais qu'un petit 20% est conscient de l'urgence et que 80% n'a pas compris. Par quelles étapes commencer pour mettre en place une politique d'achats responsables ?La toute première marche doit être de détailler sa feuille de route RSE, encore faut-il en avoir une. À partir de là, on regarde quelle est la maturité du service achats pour pouvoir engager un changement, autant dans les process que dans les personnalités. Sont-elles capables d'absorber de nouvelles compétences ? Car faire évoluer sa politique d'achats requiert des compétences autres que celle d'acheter comme l'expérience utilisateur, le marketing… On a aussi besoin d'ingénieurs. Troisième étape, on procède à un état des lieux externe en se demandant si notre écosystème est prêt, si nos fournisseurs sont sur le même niveau d'exigence que nous et si nos clients sont en mesure de comprendre les changements mais surtout que les achats responsables sont gage de valeur.« Accepter que l'on ne peut pas tout quantifier » En quoi ces achats responsables, qui coûtent souvent plus cher, sont-ils gage de valeur ? Ils ne coûtent pas toujours plus cher. Surtout, ils apportent de la valeur ajoutée du fait du service qu'ils rendent à la société. Si vous achetez une paire de chaussettes pas chères fabriquées à l'autre bout du monde, sa fabrication va engendrer de la pollution de l'air. Cet air, c'est prouvé, vous le respirerez environ un an après. Et puis, cela ne crée pas d'activité, donc pas d'emplois sur votre territoire, donc pas d'écoles, pas de crèches, etc. De plus, si lors de la fabrication, le recyclage n'a pas été prévu, les chaussettes deviendront un déchet qu'il faudra prendre en charge… C'est tout cela que l'on appelle les « externalités négatives ». Comment quantifier ces externalités négatives ? Justement, on ne sait pas encore les quantifier. Du coup, elles passent inaperçues puisque chez l'être humain, ce qui n'est pas chiffré n'existe pas. On croit que si ça ne se mesure pas, c'est que ça n'existe pas mais il va falloir accepter que l'on ne peut pas tout quantifier. Par exemple, sur la biodiversité, il n'existe pas d'unité commune. Il faut prendre en compte ces coûts cachés. On peut soupeser les émissions de gaz à effet de serre [ndlr, GES] liées à la production, au transport, à l'utilisation et à la fin de vie des produits. La pollution de l'eau et de l'air due aux procédés industriels doit être aussi prise en compte tout comme l'utilisation de substances toxiques, la dégradation de la biodiversité liée à la déforestation, à l'agriculture intensive, etc. L'épuisement des ressources naturelles - matières premières, eau, énergie - doit être chiffré. Quel est l'intérêt d'essayer de les quantifier par rapport à la difficulté de le faire ? La quantification des externalités négatives peut être complexe et coûteuse. Il est parfois difficile de donner une valeur monétaire aux impacts sociaux et environnementaux. Il arrive que les données soient incomplètes ou peu fiables. Malgré ces difficultés, la quantification des externalités négatives est un enjeu majeur pour les achats responsables. Elle permet de mieux comprendre les impacts des achats, d'identifier les leviers d'action pour les réduire, de mesurer les progrès réalisés et de communiquer de manière transparente sur les performances RSE.« Flécher les aides vers les entreprises vertueuses » Quels sont les secteurs qui ont le plus d'impact et donc un plus fort levier sur les achats responsables ?C'est celui qui a le plus de contraintes et donc qui se trouve être avancé sur ces questions, celui du BTP. Le positif c'est qu'il entraîne avec lui tout son écosystème puisqu'il demande, étant contraint par des lois, des matériaux plus responsables, un transport moins polluant, etc. Le BTP a une obligation de réemploi des matériaux depuis 2020. Il a donc dû trouver des solutions, inventer des process, aller chercher des matériaux ou des méthodes pour obéir à ces obligations légales. Le secteur a déployé ses services recherche et développement pour mettre sur pied des débouchés qui n'existaient pas auparavant. Selon vous, quel est le rôle des entreprises dans la protection de l'environnement ? Les États ont 50% de cette responsabilité, les entreprises et les citoyens ont l'autre moitié qu'ils se partagent à parts égales. La CSRD est un outil précis pour quantifier ce qui peut l'être et donc faire prendre conscience des possibles à mettre en place. Les grandes entreprises y sont opposées, qu'en pensez-vous ? Notre CSRD permet de flécher les aides vers les entreprises vertueuses. C'est la seule en Europe qui parle à toutes les entreprises, clients ou fournisseurs. J'ai bien conscience que cela engendre des contraintes de temps, de formation. Je sais qu'il y a un problème d'acceptabilité. Je suis d'avis de la simplifier pour les plus petites des grandes entreprises. Mais je tiens à préserver la philosophie de cet outil précieux qui incite à nous poser les questions permettant de passer à l'action pour préserver la biodiversité et les ressources, dont les ressources humaines.

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