Une puce 6G conçue à Bordeaux : « L’IA sera au cœur même du réseau » - Premium

François Rivet est enseignant-chercheur, spécialiste en électronique au laboratoire IMS (Intégration du matériau au système) de Bordeaux INP, du CNRS et de l’université de Bordeaux. Avec son équipe il vient de mettre au point le démonstrateur d'une puce électronique 6G, dans le cadre du projet européen Hermes.Quels sont les enjeux, actuels et futurs, autour de la puce 6G ? L’une des caractéristiques de la puce 6G, c’est son débit qui sera multiplié par dix, par cent. On ne se rend pas compte avec la 5G car on a déjà oublié la 4G, mais on peut regarder un film instantanément, ce qui était inenvisageable avant. D’une génération à l’autre, on va connecter de plus en plus d’objets, de voitures… Ce qui n’est pas encore connecté c’est l’intelligence, humaine et artificielle. L’IA sera au cœur même du réseau pour transporter plus que des données, des informations qui auront du sens. L’autre rupture concernera toute la robotique connectée, et je ne parle pas du frigo qui vous dit lorsqu’il faut faire des courses. Je parle de robots humanoïdes - notre road map est qu’en 2050, trois milliards de robots feront des tâches quotidiennes à notre place, comme justement, faire des courses. 2050, ce n’est pas dans si longtemps… Non, d’ailleurs on le voit dès maintenant, il y a une dizaine de jours l’entreprise Boston Dynamics a encore publié une vidéo de son robot… Demain ce seront vraiment des entités intelligentes, autonomes, qui devront communiquer entre elles, ce qui demandera beaucoup, beaucoup de données.Une empreinte environnementale réduite ? On a pourtant l’impression que la 5G est arrivée hier. Combien de temps, cela met-il de développer une nouvelle puce ? Il y a une nouvelle génération de puces tous les dix ans, donc pour la 6G nous sommes à horizon 2030. La 5G était mon travail de thèse, en 2005. Avant d’avoir un produit opérationnel ce sont des années de travail ! On passe de l’idée au prototype, puis au démonstrateur, puis au produit dans une version beta, puis à la commercialisation. Surtout lorsqu’on s’inscrit dans un réseau, son déploiement est très complexe. Il faut installer des antennes un peu particulières, leur mise à jour coûte des milliards d’euros. Tout est interconnecté, ce qui explique le temps qu’il faut… Qu’en est-il de l’empreinte environnementale de cette future puce ? Eh bien, c’est tout l’enjeu, essayer de diminuer la consommation par dix, d’une génération à l’autre. J’avais planifié une division par trois, le résultat semble réussi puisqu’on est entre trois et 20. C’est au-delà de mes attentes grâce à l’IA, car on fait beaucoup plus facilement et avec une moindre consommation, le travail que l’on faisait, avant, avec l’algorithme. Grâce à ces économies d’énergie on ajoutera d’autres fonctions, et particulièrement de l’intelligence artificielle embarquée - non pas pour faire fonctionner la puce, mais pour faire du traitement localisé, ce qui consomme beaucoup. Une requête sur ChatGPT est très gourmande en énergie, donc il faut intégrer les fonctions de l’IA beaucoup plus efficacement.Sortir l'innovation du laboratoireQuels seront les bénéfices pour les entreprises ? On a évoqué les robots, pour l’instant le marché n’existe quasiment pas. On va voir l’évolution normale, le développement d’applications, d’opportunités, puis cela se calmera avant de se concrétiser, comme pour l’IA aujourd’hui. Je ne veux pas dire qu’il y a une bulle de l’intelligence artificielle, mais tout un tas de marchés sont en train de s’ouvrir. Demain avec la 6G, il y aura je pense une démonstration technologique avec la communication des véhicules autonomes, et notamment maritimes. L’un de nos cas d’application concerne des bateaux connectés autonomes pour surveiller les frontières de l’Europe, avec un partenaire grec spécialiste du sujet. Demain, les véhicules autonomes pourront prendre des décisions seuls, se coordonner et être agiles. Que reste-t-il, avant d’y arriver ? Quelles étapes devez-vous encore franchir ? Nous en sommes à la dernière phase du projet, la démonstration, et on va passer en phase d’exploitation, même si le mot est un peu trop fort. On va réaliser un transfert technologique vers des instituts qui vont assurer la maturation de la puce, comme le CEA Leti à Grenoble [ndlr, Commissariat à l’énergie atomique] qui est spécialiste du sujet. Ensuite, un industriel rendra l’objet un peu plus mature, pour en faire un produit. Il faut mettre la puce dans un environnement de fonctionnement du quotidien, et seul un industriel peut le faire.Déjà la 7G en ligne de mireQuelles sont les retombées d’un tel développement, pour la Gironde ? C’est certain, cela participe au rayonnement du territoire et surtout de l’université de Bordeaux, de nos formations. Cela montre l’excellence en matière de formation technique - une compétence historique car on a Thales, Dassault, et il s’agit de la même électronique. Aujourd’hui dans notre école d’ingénieurs, sur 100 étudiants que l’on accueille en début de formation, une vingtaine sont originaires de la Nouvelle-Aquitaine. À la fin lorsqu’ils sont employables, 45 restent, c’est exceptionnel et toute l’industrie locale en bénéficie. Mais les retombées vont au-delà car on aide les entreprises locales via de la prestation de service. C’est notre devoir d’y répondre, de mettre notre expertise à disposition pour des demandes particulières. Et ça permet de former des ingénieurs à jour, sur ce qui se fait en électronique ! Maintenant que la puce 6G va sortir de votre laboratoire, qu’allez-vous faire ? Passer à la 7G ? Je ne vous cache pas qu’on travaille déjà dessus, nous en sommes à la phase de l’idée. Le projet 6G n’est pas encore terminé, mais je m’étais promis de communiquer lorsqu’elle fonctionnait, ce qui est chose faite. Là, nous en avons encore pour un an avant de terminer le transfert de technologie. Mais cela n’empêche pas de mener des discussions sur la prochaine génération, notamment avec le CEA Leti ! Au-delà de l’idée d’augmenter encore le débit de données, on va imaginer un Internet sémantique. Cela ne sert à rien d’envoyer des 1 et des 0 - ce que l’on fait aujourd’hui -, cela ne sert à rien de stocker des données en Suède car il faut pouvoir refroidir les data centers aujourd’hui. Ce que l’on veut, c’est un réseau qui aille capturer les données importantes, et s’en souviennent. Lorsque je regarde une image, ai-je besoin qu’elle soit parfaite ? Pas toujours. C’est ce genre d’éléments qui est imaginé pour la 7G, avec la réduction du coût énergétique du transport d’informations. Elles ne seront pas brutes mais réfléchies.

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