EXCLU - Commerce : Sports Aventure mis en liquidation à Bordeaux, récit d’une disparition - Premium

Le 19 mars dernier, le rideau est tombé une dernière fois sur les magasins Sports Aventure, rue de Cursol à Bordeaux. La fin d’une histoire plus que cinquantenaire, pour ce qui était une petite institution locale. Mais aussi le récit symptomatique des difficultés que traverse le secteur du retail.Sortir du business à l’ancienne« Je suis arrivé dans l’entreprise en 2014 », pose David Ducourneau, dont le grand-père fonda en 1972 Igloo Sports, qui allait devenir Sports Aventure, spécialiste bordelais de la vente d’équipements, matériels, accessoires et textiles de sport. « Quand j’ai embarqué, on fonctionnait encore en mode “papier-crayon”, pour l’équivalent de trois millions d’euros de stock, géré une fois par an sur des calepins. Ça marchait dans les années 1980, mais beaucoup mois bien en 2015. » Après audit, un ERP (progiciel de gestion intégré) est mis en place, qui permettait de gérer et de mutualiser les ressources entre les magasins (« sortes de caverne d’Ali Baba ») et le site dédié au e-commerce, qui fonctionne comme une solderie. Une numérisation des process qui fait apparaître des écarts entre les notes dans les petits carnets et la réalité du stock. L’entreprise traverse alors une première crise, notamment auprès de ses partenaires bancaires, qu’elle surmonte notamment grâce à une augmentation des flux et une optimisation de la masse salariale nécessaire.Igloo Sports, l'enseigne des débuts. Crédit : Sports Aventure« Après un âge d’or, la boîte avait dû affronter de gros pure players, qui ont levé des millions d’euros et se sont mis en mode startup, en ne faisant pas de marge mais du volume. On avait réussi à s’adapter à ça, en harmonisant les prix entre les magasins et le web », se souvient le petit-fils du fondateur. À la fin des années 2010, l’entreprise emploie une vingtaine de personnes, génère grosso modo cinq millions d’euros de chiffre d’affaires (trois millions via les magasins, deux millions de ventes en ligne). Elle a « restauré la confiance des banques et a retrouvé la rentabilité », raconte-t-il. Rentabilité opérationnelle, mais pas les bénéfices. Après un plus bas en 2017 (résultat net négatif d’1,3M€), les finances de la SA Cursol Sport, navire amiral, s’améliorent mais restent dans le rouge : -500k€ en 2018, -365k€ en 2019. Et plus que tout, « les trésoreries sont mises à rude épreuve et leur gestion est devenue un défi permanent », analyse David Ducourneau.Les difficultés vont s’enchaînerLa crise des Gilets Jaunes impacte Sports Aventure, comme quantité de commerces. À Bordeaux, l’un des bastions du mouvement, les samedis de mobilisation s’enchaînent et, pour ne rien arranger, « les 17 cars de CRS étaient juste au bout de notre rue », raconte-t-il. Pas idéal pour voir le chaland déambuler jusqu’à ses échoppes. Baisse du chiffre d’affaires. Cahin-caha, « on passe quand même ». Deuxième lame début 2020, avec la pandémie. Et une double peine à la clef. Outre les confinements, les magasins « différents par nature » (le slogan de la marque) de Sports Aventure subissent « deux années de fermeture des stations de ski », alors que les sports d’hiver pèsent un tiers du business. « On pivote les achats, on arrive à se débrouiller. » Après un résultat négatif de plus d’1M€ en 2020, les années 2021 et 2022 voient Cursol Sport passer une narine hors de l’eau, avec quelques dizaines de milliers d’euros de résultat net. « On fait un PGE [ndlr, prêt garanti par l'État], on obtient un peu d’aides, mais on garde un gros problème de financement pour commander aux fournisseurs. Il nous faut entre un et deux millions de marchandises en stock. Pour y arriver, on croque dans la trésorerie. À partir de là, je cherche des solutions de financement. Et il n’y en pas des masses. »« En 2023, pour relancer l’activité, je décide de céder les actifs immobiliers de l’entreprise », poursuit David Ducourneau. Précision : techniquement, Sports Aventure n’est pas propriétaire, mais locataire, des murs de ses deux magasins. Locataire depuis si longtemps que l’enseigne peut engager un rachat « à des conditions en dessous du marché », pour revendre immédiatement, aux conditions du marché. Et ainsi « faire la culbute ». Résumé de la potentielle cabriole : achat à 2M€ et revente à 3,5M€. Fin 2023 - le résultat net de Cursol Sport est négatif de quelque 675k€ - alors que couve la plus importante crise du marché immobilier depuis des années, « un protocole global est signé avec un gros groupe bordelais », qui gérerait un portefeuille d’actifs évalué à un milliard d’euros. Mais la machine se grippe et la bouée de sauvetage s’éloigne.Des justices désynchroniséesL’opération est d’abord retardée, puis finalement scindée en deux (une partie pour chaque actif) et, in fine, le co-contractant « après avoir laissé traîner au maximum les délais, a fini par se retirer une fois l’opération à demi exécutée », résume David Ducourneau. Pas la moitié la plus juteuse, semblerait-il : « Les fonds réellement touchés par Sports Aventure représentent 15% de ce que devait représenter l’opération globale », calcule le dirigeant. Et nouvelle double peine : la bisbille en cours « bloque juridiquement notre capacité à vendre à un tiers l’immeuble restant », poursuit-il. « Je me suis retrouvé avec un bâtiment sur le dos et pas de trésorerie pour acheter du stock, alors que je me suis engagé sur l’opération avec mes autres structures. Je ne pouvais plus tenir Sports Aventure à bout de bras », constate le dirigeant. La bisbille s’envenime et débouche sur un procès au civil, dont le jugement a été rendu le 28 février dernier. Demandant l’exécution du protocole global, David Ducourneau a été débouté, le tribunal décidant « un statu quo, jugeant que la deuxième promesse d’achat était caduque », résume-t-il. S’il a décidé de faire appel, un éventuel retournement de jugement ne suffira pas. D’autant que pendant la quinzaine de mois de la procédure, la boîte devait continuer à tourner. Mais sans les fonds nécessaires.Été 2024, Sports Aventure sollicite la protection du Tribunal de commerce de Bordeaux. « On a commencé par une PTSC » (procédure de traitement de sortie de crise), qu’on peut résumer comme une procédure de redressement judiciaire simplifié temporaire pour les petites entreprises. « Ça permet de faire un redressement judiciaire flash et d’en diminuer les coûts pour l’entreprise », résume-t-il. Sauf qu’entre-temps, le co-contractant « s’est dessaisi de l’affaire ». L’entreprise entre alors dans une procédure « classique » de redressement judiciaire. « Mais le procès au civil était trop lent par rapport aux étapes du redressement judiciaire », s’émeut le dirigeant. Après l’annonce du verdict, décision est prise d’entrer en procédure de liquidation. Prononcée le 26 mars dernier, une semaine après l’ultime baisser de rideau sur les magasins « différents par nature ». Les 15 derniers salariés sont licenciés.Loyers et dépôts de garantie des commerçants : la loi pourrait changerLe dossier est désormais entre les mains du liquidateur. « Il y a des actifs qui ont de la valeur. Le stock, la marque bien sûr et une base de quelque 200.000 clients. » Une solution de reprise par les salariés est-elle envisagée, ou tout simplement possible ? « Il y a des réflexions mais rien de formel. La problématique de l’univers du retail est assez globale et serait la même pour eux. Il y a deux grands postes dans ce secteur, la masse salariale et les loyers », résume David Ducourneau. Qui poursuit l’analyse : « Le stock est aussi un point essentiel. Aujourd’hui, on n’arrive plus à se faire financer le stock. Il y a aussi une grosse disproportion entre les bailleurs qui immobilisent la trésorerie des commerçants. »Dès la mi-2024, les fédérations de commerçants s’étaient entendues avec certaines des organisations de bailleurs pour modifier les modalités de paiement des loyers. Une amélioration qui devait être l’une des 26 mesures de la loi de simplification de la vie économique. Une loi longtemps restée en souffrance, victime collatérale de la dissolution de l’Assemblée nationale puis de l’instabilité gouvernementale qui a suivi. Le projet de loi est actuellement en cours d’examen par les députés. Parmi les dispositions qu’elle contient figurent le principe de paiement mensuel du loyer pour tout preneur qui le demande, ainsi que la limitation du dépôt de garantie à trois mois de loyer.

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