Léa Nature transmise à un fonds de dotation : « Au début, on m'a pris pour un fou » - Premium

Charles Kloboukoff est de ceux qui, le regard doux et posé, avancent obstinément. Brandir des étendards n'est pas le style de la maison. Suivre son chemin selon ses valeurs. Les transmettre à ceux qui lui sont chers et les mettre à l'abri, autant les valeurs que les êtres chers. Le président-fondateur de la Compagnie Léa Nature, 2.000 salariés, 488 millions d'euros de chiffre d'affaires dont le siège est à Périgny à côté de La Rochelle, est en train de transmettre son capital à un fonds de dotation qui garantira, après son départ, que les futurs gérants de l'entreprise ne dévoient jamais les valeurs du fondateur.Pourquoi transmettre le capital de votre entreprise à un fonds de dotation ? Je voulais mettre à l'abri mes enfants et les valeurs qui ont présidé à la création de Léa Nature. Je veux que l'entreprise continue de s'engager dans le bio, le local, l'innocuité à la terre, les produits sans substances controversées. Qu'elle s'implique dans une responsabilité territoriale [ndlr, RTE], au soutien d'ONG dans le domaine de l'environnement. D'autre part, je n'imaginais pas non plus laisser en héritage à mes quatre enfants une aussi grande entreprise. Mon épouse est issue d'un milieu modeste, moi d'un milieu défavorisé. Nous ne voulions pas que les enfants soient nantis par héritage. Les enfants sont à l'abri évidemment mais ils renoncent à posséder l'entreprise. J’y pensais depuis mes 50 ans. Le Fonds de soutien aux initiatives utopiques et solidaires [ndlr, FICUS Fondaction] que nous avons créé va ainsi progressivement prendre le contrôle de Léa Nature jusqu’à devenir son principal actionnaire, au plus tard au jour de ma mort. Quel est l'objectif de cette transmission ? Je veux que le groupe soit à l'abri des spéculations, d'une délocalisation ou de dérives capitalistes et ultralibérales. Je ne veux pas que l'entreprise et ma famille soient fragmentées par des divergences financières, économiques ou stratégiques.« J'ai travaillé pendant sept ans à chercher des idées »Comment vont s'articuler les rôles du fonds de dotation et de l'entreprise ? Je transmets progressivement les actions de ma holding à Ficus. Mais Ficus ne gèrera pas l'entreprise. Il sera sa conscience, en quelque sorte. Il sera l'âme, le gardien des valeurs morales. Il délèguera à un conseil de surveillance le fait de cadrer la stratégie de l’entreprise. Celle-ci sera le corps. Elle fonctionnera comme toutes les entreprises. Comment vos enfants ont-ils réagi à l'idée de transmettre l'entreprise de leurs parents à un fonds, de ne pas la posséder ? Au début, ils ont été surpris mais ils n'ont pas de problème avec le fait de posséder un bien. Au contraire. Diriger une entreprise si importante peut être un fardeau. Ils hériteront de mes biens personnels, mais pas du groupe dont la croissance servira à financer des actions solidaires via ce fonds de soutien. Il ne faut pas que la gestion soit une trop grande responsabilité pour les membres de la famille qui, par exemple, n’auraient peut-être pas toutes les compétences nécessaires ou qui pourraient être sous influence pour voter une décision qui pourrait s’avérer néfaste. Cela s'est déjà vu dans des transmissions. Mes filles surtout, mon fils est encore un peu jeune, sont impliquées dans la gestion de Ficus et dans le commerce international. Elles ont des idées et des envies. Comment a réagi votre entourage ? Au début, on m'a pris pour un fou ! Mais j'ai travaillé pendant sept ans à rechercher des idées, m'inspirer d'autres modèles, en Suisse, au Danemark, en France et nous sommes accompagnés par un cabinet spécialisé, Prophil.À lire également : Pourquoi le groupe Artzainak va être détenu par une fondation actionnaireQuelles seront les prochaines étapes dans la mise en place de cette évolution ? En 2024, nous avons commencé à préparer la gouvernance pour superviser l'entreprise. En 2025, nous mettons en place un conseil stratégique extérieur pour challenger les destinées de l'entreprise. J'aurai besoin des regards des cinq directeurs qui m'accompagnent et je vais compléter avec une ou deux autres personnes. On essaie aussi de développer l'actionnariat pour avoir un socle large, des compétences fortes et des gens impliqués. Ce cheminement intellectuel a-t-il été difficile ou naturel ? En fait, un peu des deux. Au début, je savais que je souhaitais faire évoluer l'entreprise dans cet esprit mais je ne savais pas comment. Cette entreprise, c'est mon bébé, au début je nageais en pleine contradiction, car en même temps je trouvais un peu difficile d'accepter ce renoncement. Mais finalement, je me sens vraiment beaucoup mieux d'avoir fait ce choix. Je ne suis pas l'entreprise, je ne suis que son géniteur. Je vois ce chemin un peu comme un voyage - avant je portais un gros sac à dos, maintenant, mon sac est moins lourd. Alors, je suis moins stressé ! Comment aimeriez-vous voir Léa Nature quand vous serez vieux ?! (Rires) J'aimerais voir une entreprise emmenée par des gens bienveillants, efficients et résilients.Les sujets liés à la RSE vous intéressent ? Découvrez notre site consacré à cette thématique !

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