Faire renaître la culture du chanvre en Béarn, le défi de cette startup paloise - Premium

Fille d’agriculteurs, Pauline Lacaze n’a pas eu à chercher loin pour trouver le premier agriculteur volontaire du projet Pyrénées Chanvre : ce sont les champs familiaux qui ont fourni une première parcelle expérimentale. Les feuilles à la silhouette caractéristique n’ont pas tardé à attirer l’attention du quartier. « Les voisins s’arrêtaient devant les champs, venaient nous demander ce qu’on trafiquait, se souvient-elle en riant. On a dû mettre des panneaux explicatifs pour prévenir. » C’est ainsi : le chanvre, encore aujourd’hui, a mauvaise presse. Pourtant, raconte Pauline Lacaze, celui-ci était très répandu dans toute l’Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle. « Il servait à produire les voiles et les cordages de bateau, le papier, les textiles… puis il a perdu du terrain avec l’arrivée des matières synthétiques, en particulier du nylon ». Au XXe siècle, la découverte de son aspect psychotrope porte le coup de grâce au chanvre. « Il a commencé à avoir mauvaise réputation, entretenue aussi par les lobbies du coton et du nylon. Finalement, il a disparu du paysage et s’est même retrouvé interdit de culture dans de nombreux pays », conclut Pauline Lacaze. Aujourd’hui, avec son associée Emilie Abadie, elle s’emploie à le faire revenir.Nombreuses applicationsLe projet n’a rien d’incongru : depuis plusieurs années, le chanvre connaît un spectaculaire retour en grâce. « Ses qualités sont nombreuses, assure Emilie Abadie : il n’a pas besoin d’irrigation ni d’intrants chimiques, et permet aux agriculteurs de diversifier leur production. » La liste de ses applications possibles est aussi impressionnante : on tire de ses graines, très protéinées, farine et huile, utilisables en cuisine comme en cosmétique ; sa paille est utilisée dans le bâtiment pour la rénovation thermique ; et ses fibres sont utilisables dans le textile et entrent dans la composition de certains matériaux composites… « Les agriculteurs sont prêts à incorporer du chanvre dans leurs cultures, et de l’autre côté, la demande de matériaux biosourcés augmente fortement », se félicite Pauline Lacaze.D’où le pari de Pyrénées Chanvre : structurer la filière chanvre en Béarn, en faisant le lien entre agriculteurs le produisant et entreprises capables de le valoriser, acheter du chanvre aux premiers et le revendre aux seconds en se positionnant comme plaque tournante. Pour cela, il faut à la fois démarcher des agriculteurs potentiellement intéressés par cette culture, des clients pour ses multiples applications, et aussi se doter de la capacité d’assurer soi-même « le premier niveau de transformation », c’est-à-dire le défibrage des tiges. « En ce moment, on est en train de faire des essais, de défibrer avec différentes machines, on fera ensuite analyser les fibres produites à l’ENIT de Tarbes pour qualifier notre fibre et voir quelles sont ses applications », raconte Emilie Abadie. À l'heure actuelle, trois agriculteurs béarnais ont accepté de consacrer une partie de leurs champs à l'expérience.« On essaie de recentrer le projet »« Notre projet est né il y a un an, il est encore en phase d'exploration, d'étude, décrit Pauline Lacaze. Comment est-ce que l'on sème, comment est-ce que l'on récolte, comment le chanvre pousse-t-il dans le climat béarnais ? » Sur ce dernier point, les deux associées sont satisfaites des premiers résultats : « Cette année nous a beaucoup rassurées, nos essais ont montré que c’est une culture facile, avec des rendements plutôt bons, se réjouit Pauline Lacaze. On ne se fait pas trop de soucis pour la quantité de matière première, le chanvre viendra naturellement s’intégrer dans les rotations de cultures, en occupant 20% maximum de la surface cultivée par l’agriculteur. »« Le challenge, reprend Pauline Lacaze, c’est plutôt d’écouler cette production, de trouver des gens prêts à l’acheter à un juste prix. Il faut que ça soit viable économiquement, que cela permette d’assurer un revenu stable aux agriculteurs. On connaît les débouchés, et on travaille en local pour identifier des entreprises. Plusieurs sont déjà intéressées, dans le milieu de la construction. » « En ce moment, on est dans une phase de découverte de notre propre produit, ajoute Emilie Abadie. On se sent un peu submergées par tous les co-produits potentiels : en l’espace d’un an on a découvert la chaîne de valeur du textile, le milieu du bâtiment avec toutes ses réglementations et ses subventions, le monde de l’alimentaire c’est aussi des règles… On essaie de faire un effet entonnoir, de recentrer, de phaser le projet ».

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