Taxes Trump : « Ça ne peut pas être positif pour l’économie de la Nouvelle-Aquitaine » - Premium

Professeur de sciences économiques à l’Université de Bordeaux, Bertrand Blancheton est spécialiste de l’histoire de la mondialisation. Il étudie notamment les secteurs du luxe comme le Cognac, et les politiques commerciales entre les pays. Quelles sont les conséquences, à court terme, des annonces de Donald Trump ? Déjà, c’est mieux que prévu. Donald Trump avait annoncé des taxes à 200% sur l'alcool, nous sommes finalement sur quelque chose de plus homogène, 20% sur les produits européens. Des pays comme la Chine, le Vietnam, c’est-à-dire des compétiteurs, auront des niveaux de droits de douane plus élevés… l’Union européenne est plutôt dans le bas de la fourchette, le bas étant à 10%. Ensuite, les choses sont assez claires, la conséquence du protectionnisme est toujours le ralentissement généralisé de la croissance économique. En résumé, les pays concernés vont prendre des mesures de rétorsion pour que les États-Unis payent autant, donc il y aura à un moment un manque de revenus disponibles pour certains autres postes de dépense comme les services. Peut-être qu’il y aura également une légère pression inflationniste. Entre-t-on désormais dans le temps des négociations ? Je pense que oui. On est obligé de mettre des tarifs de rétorsion car si une économie applique des taxes et les autres non, c’est elle la grande gagnante. Mais j’ai vu la réaction de la Chine ce matin, qui affirme vouloir négocier et analyser avec les États-Unis les points de divergence. Et Donald Trump a deux objectifs. D’abord, rééquilibrer certaines balances commerciales et courantes avec des pays. Ensuite, il voudrait voir plus d’entreprises européennes, asiatiques, s’installer aux États-Unis pour réindustrialiser le pays. Est-ce une mauvaise chose ?Non, ce n’est sans doute pas une mauvaise idée. L’Union européenne et les États-Unis ont été trop loin dans la désindustrialisation, pourtant ce sont ces secteurs qui permettent des gains de productivité, des emplois de qualité… À l’échelle de notre Sud-Ouest on le voit, ce n’est pas la même chose de travailler chez Arianegroup ou Dassault, que sur des emplois de service comme Uber Eat.Trouver un intérêt général européen L’Union européenne peut-elle faire le poids dans les négociations, face aux États-Unis ? On fait le poids en matière de PIB, même si celui de l’Union européenne a reculé. Ce que je redoute, c’est la possible apparition de divergences nationales. Car la question, c’est « quelles mesures de rétorsion adopter ? » Est-ce que l’on centre cela sur l’alcool ? C’était le projet de Madame Von der Leyen [ndlr, présidente de la Commission européenne] qui voulaient monter les droits de douane sur le bourbon du Kentucky à 50%. Si l’on fait cela c’est au détriment de la France, car c’est ce qui avait poussé Donald Trump à annoncer des taxes de 200%. Je redoute qu’il n’y ait pas d’intérêt général européen suffisamment clair, que ce soit la foire d’empoigne pour savoir quelles mesures de rétorsion appliquer, et fragiliser ainsi notre réaction. Est-ce la fin de la mondialisation telle qu’on la connaît, comme on peut l’entendre dans tous les médias depuis les annonces ? Ou faut-il prendre du recul ? Il faut prendre du recul. Nous sommes sur un niveau de régime de politique commerciale beaucoup plus stratégique, sophistiqué, qui pour moi a démarré en 2010. Lorsque Obama a voulu taxer les importations d’aciers. Cela s’est poursuivi, il y a eu des conflits commerciaux avec la Chine, puis le premier mandat de Trump… On est encore dans ce continuum. Le rapport d’exportation du PIB mondial est stable depuis 2010, il n’y a plus de boom de la mondialisation, nous sommes sur un plateau haut - les exportations mondiales représentent environ 30% du PIB mondial. Je pense que l’on restera sur ce plateau haut. Peut-être qu’il y aura un creux cette année dû au frein, mais ce n’est pas une crise de la mondialisation, pour l’instant, comme celle des années 1930 où l’on avait vraiment une surenchère, un retour à de l’autarcie. La crise que l’on traverse ressemble à celle, entre 1880 et la Première guerre mondiale, avec exactement ce genre de pratiques très discriminatoire. Les États-Unis étaient très protectionnistes, et Donald Trump semble fasciné par cette époque.La Nouvelle-Aquitaine n'est pas épargnéeQuelles conséquences peut-on projeter, pour nos entreprises françaises et particulièrement de Nouvelle-Aquitaine ? Partons sur une hypothèse de 20% de taxes. Notre région, depuis le 19e voire le 18e siècle, est libre échangiste, très tournée vers l’extérieur. Regardons nos spécificités actuelles, l’aéronautique est très exportée, et 97% du cognac l’est également, tout comme les vins, très tributaires de l’extérieur. J’ai des collègues qui ont estimé l’élasticité de la demande de vin aux États-Unis, selon eux une hausse des prix de 20% générerait une demande en baisse de 14%. Les États-Unis ont des alternatives, des vins chiliens taxés à 10% ; une consommation américaine qui se détourne du cognac depuis deux ans au profit de la téquila… Elle pourrait aller vers le whisky également, une boisson locale américaine. Donc forcément, ça ne peut pas être positif pour l’économie de la Nouvelle-Aquitaine. La situation va-t-elle durer, selon vous, ou reviendra-t-on à la normale ? Peut-être que je me trompe, mais je pense qu’à un moment tout le monde reviendra à la raison. La croissance va ralentir, il va y avoir des mesures de rétorsion, on va négocier et arriver à quelque chose de plus équilibré, de moins dur. C’est la méthode de Donald Trump, taper très fort au début, puis lâcher ensuite.

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