Bayrou : « Visionnaire », « impliqué », mais éloigné de l'entrepreneuriat... ce que les patrons béarnais pensent du Premier ministre
François Bayrou avait inauguré en octobre le bâtiment Marie Curie sur la technopole Hélioparc | Photo LVG
Ce vendredi 13 décembre, après de nombreux retournements de situation, François Bayrou a été nommé à Matignon, à la suite de Michel Barnier. Dirigeants et entrepreneurs béarnais sont partagés sur sa vision économique et de son approche de l'entreprise.
« Je ne pense pas qu’il soit parmi les plus détestés », euphémise un chef d’entreprise béarnais au moment d’évoquer la côte d’amour du nouveau Premier ministre auprès des patrons du territoire. De fait, nombre d’entrepreneurs saluent, en François Bayrou un « visionnaire ». « C’est un véritable maire bâtisseur, loue Sébastien Labourdette, dirigeant de Sogeba et président de la Fédération du BTP des Pyrénées-Atlantiques, et quelqu’un qui a démontré, dans la ville, son côté engagé et visionnaire ». Et d’énumérer les réalisations qu’il porte au crédit du maire de la capitale béarnaise : « le bus à hydrogène, le parvis de la gare de Pau, les Halles, le Foirail, le centre-ville… C’est quelqu’un qui a bien compris que l’économie est un des outils-clés de la dynamique d’un territoire ».
À son crédit, la redynamisation du centre-ville de Pau
François Bayrou traîne pourtant, en local, l’image d’un politique se préoccupant peu d’économie, et éloigné des enjeux de l’entrepreneuriat. « Il ne m’a pas donné cette impression à la mairie de Pau et à l’Agglomération, nuance Didier Laporte, président de la CCI Pau-Béarn, il a très vite senti que la redynamisation économique de la ville était une priorité par exemple ». « On ne le voyait pas souvent, considère de son côté Alexandre Zimmerman, dirigeant de la bijouterie Calame et président de l’association Pau Commerces. Mais ce qui nous intéressait dans son action, c’était les questions d’embellissement, d’image de la ville, de dynamique, de travaux… et sur ces sujets-là, difficile d'être négatifs, tout ce qui avait été dit a été fait. Les Halles sont une réussite, le Hédas, le Foirail… il y a un embellissement de la ville qui est indéniable, une vraie volonté de réhabilitation de sa part et de celle de son équipe. Le projet des Galeries Lafayette, aujourd’hui, est vraiment porté par le maire. Il a une vision pour sa ville. Et sur le volet animation, on a un service commerce qui fonctionne très bien, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les autres villes »
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« Si l’on regarde son bilan sur Pau et l’agglomération depuis 2014, il est selon moi très positif, abonde Didier Laporte, président de la CCI Pau-Béarn. Il est notamment parvenu à redynamiser un centre-ville qui était dans une situation très difficile et à redonner de l’attractivité à la ville. Tout n’est pas lié qu'à l’action de François Bayrou évidemment mais il a su impulser beaucoup de choses, avec ce qu’il manque à beaucoup de politiques : une vision et une trajectoire ».
C’est aussi « quelqu’un de très pragmatique et passionné par le progrès, la recherche, l’innovation, ajoute Eric Dournès, dirigeant de l’agence de communication événementielle Créa-SUD. L’hydrogène, la géothermie, les carburants bas carbone… ça n’est pas feint. Il croît dans la recherche, l’enseignement, l’éducation… »
Défaut de suivi sur l'attractivité territoriale
« Je ne pense pas que l’économie soit son ciment premier », commente prudemment un autre chef d’entreprise, proche de François Bayrou. Allusion au parcours du maire de Pau, agrégé de lettres classiques… mais aussi à son approche du développement économique. « Il maîtrise très bien ce qui est axé vers le commerce, l’économie directe, il est très fort pour créer des outils de pilotage du développement économique », ajoute notre interlocuteur, citant par exemple les SPL (sociétés publiques locales) créés par l’agglomération paloise et qui lui permettent de contrôler avec précision urbanisme, événementiel et commercial, en particulier en préemptant une grande partie du foncier disponible avant de le réinjecter dans le marché privé… aux conditions et pour les usages prévus par la mairie. « Il est moins à l’aise pour créer des outils plus globaux, une vraie politique d’attractivité territoriale, par exemple. [Le pôle métropolitain] Pays de Béarn et son conseil de développement économique, c’est un machin… François Bayrou pense que parce qu’il a dit quelque chose une fois ou deux, cela se fait. Mais s’il n’y a pas un suivi politique permanent derrière, si on ne pousse pas, les projets s’effilochent ». Et de citer un autre exemple : « Sur l’agriculture, il porte une vision très politique, sur le rôle sociétal des agriculteurs… mais quand on gratte un peu au-delà de ça, il comprend moins l’aspect entrepreneurial d’une exploitation ». Ceci dit, nuance notre interlocuteur, « Il s’est entouré de personnes qui ont cette culture, et il a un regard attentif à l’entrepreneuriat, c’est déjà bien. Il sait créer de bonnes conditions pour les entrepreneurs. »
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« On ne peut pas être bon partout, commente Alexandre Zimmerman, mais il sait s’entourer de gens qui ont les bonnes réponses. Sous ses deux mandats, nous avons eu des interlocuteurs compétents, Jean-Paul Brin d’abord, puis Jean-Louis Peres ». « Au national, sa capacité à bien s’entourer, notamment du côté de Bercy, sera déterminante compte tenu de la situation économique du pays, considère de son côté Didier Laporte. À l’heure où je réponds à ces questions, nous ne connaissons pas la composition du nouveau gouvernement, mais j’espère évidemment qu’il saura faire les bons choix »
« Permettre la décrispation »
« C’est l’homme de la situation, assène le Modem Jean-Jacques Lasserre, président du conseil départemental. Dans la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons, ses qualités devraient permettre la décrispation nécessaire, et peut être la création d’un jeu différent d’acteurs dont nous avons besoin »
D’autres attendent de juger sur pièces : « Il devra composer avec de nombreuses forces politiques, donc il n'aura pas les coudées très franches » estime un dirigeant d'industrie béarnais. « J'espère qu'il pourra et parviendra à prendre en compte les doléances des chefs d'entreprises mais il est trop tôt pour juger. Pour les Pyrénées-Atlantiques, je ne pense pas qu'il soit judicieux de compter sur lui : sa tâche est nationale, il aura bien d'autres dossiers à faire avancer. » « Il a su se mobiliser en tant que maire et président de l’agglomération pour défendre l’aéroport de Pau quand je l’ai sollicité, rappelle au contraire Didier Laporte. J’ose espérer qu’il saura se mobiliser de la même façon, si ce n’est plus, maintenant qu’il occupe les plus hautes fonctions de l’Etat ! »
Les dessous d’un retournement de situation
Que s’est-il dit, à l’Elysée, ce vendredi matin, entre François Bayrou et Emmanuel Macron, alors que des indiscrétions dans la presse indiquaient que Matignon semblait devoir passer sous le nez du premier ? D’après une source bien renseignée, le président du Modem aurait, ces dernières semaines, conclu un gentlemen’s agreement avec le socialiste Bernard Cazeneuve : si l’un d’entre eux était nommé Premier ministre, le second serait numéro deux de son gouvernement, avec un portefeuille élargi de ministre d’Etat. « Vendredi matin, Macron a appelé Bayrou pour lui dire “Il faut que tu te prépares à être numéro deux”, raconte notre source. Bayrou est allé à l’Elysée pour discuter des détails, ce n’est que sur place qu’il a appris qu’il ne devait pas être celui de Cazeneuve, mais de Roland Lescure ». Une tentative d’Emmanuel Macron de garder la main sur le gouvernement, qui aurait provoqué la fureur de son allié. « Il lui a dit “si tu fais ça, je serai ton premier opposant”... Macron a cédé », raconte cette même source. Et voici François Bayrou installé à Matignon. En tous cas, c'est l'histoire qui bruisse dans les couloirs du pouvoir en Béarn.