Conjoncture : les collectivités ont « un grand besoin de visibilité » estime La Banque Postale
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La Banque Postale vient de présenter sa note de conjoncture annuelle. Présenté comme un « document d’anticipation de la façon dont les comptes des collectivités locales vont être clos trois mois plus tard », elle est aussi l’occasion de se livrer à un exercice d’anticipation sur 2024. Eléments d’analyse avec Luc Alain Vervisch et Alain Henriot, respectivement directeur des études financières et responsable des études prospectives au sein de La Banque Postale.
« 2023 est une année où les collectivités continuent à subir les effets de l'inflation », pose d’emblée Luc Alain Vervisch. Avant de préciser : « Pas la même inflation que les ménages, mais il y a quand même l'effet augmentation des prix de l'énergie et des prix dans le BTP. Et un élément pèse sur les collectivités locales, alors qu’il est favorable pour les ménages, c'est l'augmentation de la masse salariale, puisque les traitements des fonctionnaires ont augmenté deux fois, en 2022 puis en 2023 ». Un premier élément de contexte qui pèse, « ce qui fait qu'on estime l'augmentation des dépenses locales en 2023 à peu près à 6%, ce qui est beaucoup plus rapide que pendant les 20 ans qui ont précédé ».
Deuxième élément évoqué, en termes de recettes cette fois, « l’inflation a un effet positif, pas pour les propriétaires mais pour les collectivités, c'est que la taxe sur les propriétés bâties évolue au moins comme la hausse des prix, donc 7,1% en 2023. Mais cette taxe ne profite essentiellement qu'aux communes », analyse-t-il. « L’inflation pèse un peu sur tout le monde en dépenses, mais elle n'a pas les mêmes effets en recettes ». Et d’estimer que « la situation reste à peu près maîtrisée globalement, même s’il peut y avoir des situations difficiles localement, par exemple si une commune a été obligée de renégocier ses contrats de fourniture d'énergie à l'été 2022 ».
Concernant les départements, « on constate que l’augmentation des taux d’intérêt se traduit dans les conditions qui sont faites aux ménages pour emprunter afin de faire un l’achat immobilier. Et quand vous voulez acheter dans l’ancien, vous avez moins de capacité. Les droits de mutation ont donc profondément chuté en 2023 ». Ainsi, sur les quatre départements « les plus dynamiques de la Nouvelle-Aquitaine » (Charente-Maritime, Gironde, Landes et Pyrénées-Atlantiques), le nombre de transactions a chuté de 20% d’octobre 2022 à octobre 2023. Ceci alors que les prix « ont tardé à baisser ».
D’où une estimation d’un recul de 22 à 23% du produit des droits de mutation « qui sont la 2e recette des départements », rappelle Luc Alain Vervisch. Et de prendre un peu de hauteur : « l’élément intéressant dans l'analyse qu'on fait, c'est de montrer qu'il manque sans doute un levier entre la vision nationale des choses - la quasi-totalité des règles sont des règles nationales - et l'analyse des situations locales. Et ça c'est sans doute quelque chose qu'il faudrait essayer d'adapter, par exemple si les services de l’Etat dans un département avaient plus d'autonomie par rapport à Paris, on traiterait plus facilement des situations comme celles-là ».
Deux effets contradictoires en 2024
« On a le sentiment que sur le plan des finances locales, la situation sur l'année 2024 devrait se stabiliser. On va toucher sans doute à une forme de creux, qui va nous ramener à ce qu'était la situation en 2018, qui n'était pas mauvaise en soi. En revanche il y a des enjeux en face de nous qu'on n'identifiait pas en 2018, c'est la transition écologique, la lutte contre ou l'adaptation au réchauffement climatique, donc c'est tout ce qui est adaptation des bâtiments, développement des mobilités collectives… Et donc là il y a un vrai enjeu de comment on va faire et comment on le finance », relance Luc Alain Vervisch, qui évoque une étude menée en partenariat avec Icade CE publiée en novembre dernier « qui essaye de montrer où sont les leviers de financement. Il faudra des efforts de la part de tout le monde, sans doute de la part des collectivités locales, renoncer à des investissements qui peuvent attendre, pour faire ce qui ne peuvent pas attendre. Faire moins de routes et plus de rails, ou éventuellement faire moins d'équipements culturels et plus de transformation énergétique des écoles par exemple ».
« Les projections aujourd'hui des principaux organismes de prévision font consensus, avec sans doute une première partie d'année un peu difficile », reprend Alain Henriot. « On va avoir deux effets un peu contradictoires. D'un côté la décélération de l'inflation devrait redonner un peu de pouvoir d'achat aux ménages, parce qu'il y a un décalage avec les hausses de salaire qui sont sans doute à leur pic, mais malgré tout les hausses de salaire se calent sur l'inflation passée. Par contre les effets de la remontée des taux, on le voit bien sur l'immobilier, il y a encore des endroits dans l'économie où on le voit moins, par exemple sur l'investissement des entreprises. Donc ces deux effets-là devraient nous conduire à une croissance faible sur le début de l'année, peut-être qui s'améliorerait un peu au second semestre », se projette-t-il.
Rendre l’horizon lisible
« On a quand même une situation économique où on a pris trois chocs énormes. Crise sanitaire de 2020, crise énergétique du printemps 2022 avec le début de la guerre en Ukraine et puis la remontée des taux. Si vous mettez tout ça dans un modèle économique, normalement vous avez une très grosse récession et ça n'a pas été le cas, parce qu’il y a eu un soutien public qui a permis de préserver l'activité. Néanmoins, quand on regarde sur quatre ans, on est à peu près 2% au-dessus de fin 2019 et normalement notre potentiel de croissance pour la France est à peu près 1% par an. Donc on aurait dû faire 4%. On a à peu près sauvé la mise, mais on est quand même un peu sous notre potentiel », calcule Alain Henriot.
« La bonne nouvelle, c'est quand même que la désinflation est engagée. Pour l'instant, elle est surtout liée au prix de l'énergie, mais on voit que ça commence à percoler de l'amont vers l'aval. Par exemple, sur les prix industriels, sur les services, c'est un peu plus tardif parce que ça dépend des salaires. Et sur les prix alimentaires, ça résiste encore pas mal, il faudra sans doute attendre les renégociations du printemps pour avoir une vraie décélération des prix alimentaires. On devrait quand même avoir une inflation beaucoup plus faible en 2024 et qui se rapproche de cette fameuse norme de 2% des banques centrales, en tout cas en France. Aujourd'hui, les marchés se tournent vers une autre question. À quand la prochaine baisse de taux, notamment de la BCE ? Et avec quelle amplitude ? ». En faisant le lien avec la vision des collectivités locales en termes de capacité d’action, « elles commencent à s'habituer à des niveaux de taux qu'elles avaient perdus de vue depuis une dizaine d'années ».
« Au-delà de ça, le vrai enjeu, c'est bien comment on accélère la transition écologique jusqu'en 2030. Et pour ce faire, on a un premier élément qui est favorable, c'est que la dette des collectivités locales est objectivement faible, 7% du PIB. Il y a une capacité à rembourser qui est absolument réelle. Il y a de la liquidité, il y a des banques qui prêtent. La plupart des demandes d'emprunts sont aujourd'hui couvertes à hauteur de quatre ou cinq fois. Donc il y a de l'argent pour faire », encourage-t-il. Mais par rapport à cet enjeu-là, l’analyse évoque deux éléments complémentaires. « Le premier, c'est qu'il faut que les gens se convainquent que la dette peut être utile. Le deuxième enjeu, si on arrive à franchir cet écueil-là, c'est comme quand vous êtes dans une voiture à l'arrêt et que vous démarrez, vous appuyez sur l'accélérateur. C'est-à-dire qu'il faut de la visibilité sur l'endroit où vous allez avoir besoin de ralentir. Et ça, c'est aujourd'hui un écueil dans le système, beaucoup de collectivités locales ne voient pas. Pas faute de vouloir mais elles ne voient pas très bien où on les emmène, ce que veut dire la stratégie bas carbone de l'État, quelles sont les règles relatives aux dotations… »
Et de conclure : « Il y a un vrai besoin de visibilité. Compte tenu du temps qu'il faut pour changer les règles du jeu, je pense que ça va être un peu long. Mais ce qu'il faudrait, c'est au moins que pour le mandat qui s'ouvrira en 2026, les nouvelles équipes municipales aient beaucoup plus de sécurité. »