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« La réindustrialisation est à la convergence des luttes entre l’écologie et le social »

Stratégie
lundi 18 septembre 2023

Ancien PDG de Smuggler et client historique de l'atelier France Manufacture de Limoges avec sa nouvelle marque Belleville, Gilles Attaf a repris en 2021 la présidence de l'association Origine France Garantie, créée en 2010 par Yves Jégo - crédit OFG

L’association Origine France Garantie s’est associée à la ville d’Arcachon pour la deuxième édition de la Plage aux Entrepreneurs, un événement qui réunissait le 14 septembre dernier quelque 500 entrepreneurs et un parterre de spécialistes autour des questions de réindustrialisation. Entretien avec son président, Gilles Attaf.

Pourquoi Origine France Garantie s’est-elle associée à cette deuxième édition de la Plage aux entrepreneurs ?
L’an dernier j’intervenais à titre personnel. J’ai vécu un moment assez fort, et j’ai trouvé que la Plage aux entrepreneurs portait des valeurs qui correspondent tout à fait à Origine France Garantie. En plus de l’événement que nous organisons chaque année, il me semblait intéressant de nous associer à cette manifestation dédiée aux entrepreneurs, pour souligner qu’au-delà d’être une certification, c’est-à-dire un tampon qu’on donne à une gamme de produits pour en garantir la traçabilité, Origine France Garantie porte des valeurs et du sens.

Cet événement arcachonnais s’adresse à des entrepreneurs, un public a priori déjà convaincu de l’intérêt de la réindustrialisation et de la création de valeur sur le sol français, pourquoi faut-il encore les fédérer autour de ces sujets ?
Parce qu’on a besoin de tout le monde. La réindustrialisation et le made in France sont une bataille culturelle, et nous devons tous être réunis derrière cette cause nationale. Pendant des années, on a désindustrialisé, on nous a expliqué que l’atelier du monde serait en Chine, on nous a vendu une diagonale du vide… Pour repartir, pour porter un récit, on a besoin d’expliquer et d’embarquer tout le monde, parce qu’on part de loin. En France, nous sommes à 9% du PIB sur l’industrie, contre 16% en moyenne en Europe, il faut donc fédérer autour de cette idée qui recréera du lien social. L’usine est un endroit formidable, où l’ascenseur social fonctionne. Or aujourd’hui, il y a une fracture dans les territoires. C’est donc dans les territoires, et pas au niveau national, qu’il faut insuffler la réindustrialisation.

Peut-on tout produire en France ?
Je ne suis pas un ayatollah qui milite pour que tout soit produit sur le territoire français, mais je pense que pour garder son indépendance, pour rester souverain, un pays a besoin que toutes les filières soient a minima en capacité de produire. Je ne crois pas du tout à cette idée selon laquelle on ne pourrait plus fabriquer de produits à faible valeur ajoutée en France, il faut arrêter de raconter des histoires aux Français. L’histoire de 1083, présentée à la Plage aux Entrepreneurs, en est un formidable exemple, je ne pensais pas qu’on pourrait relocaliser la production de jeans en France, mais c’est possible, et tout est possible. Aujourd’hui, il y a un consensus, le politique fait son travail, et il y a une convergence entre les sujets sociaux et écologiques. Sur le périmètre de la production française, on était très liés à la volonté de créer des emplois, ou de les préserver, mais on s’aperçoit qu’en plus, produire local a des vertus écologiques. J’appelle ça la convergence des luttes entre l’écologie et le social, ça fonctionne plutôt bien et ça porte notre récit. On n’a pas le choix, si on veut retrouver une économie à la fois sereine et favorable au lien social qui aujourd’hui se délite. Quand on produit quelque chose, on en est fier, et la quête de sens est un moteur.

« La production, c’est un projet social »

Quelles seraient les clés pour accélérer ce mouvement de réindustrialisation, dans un contexte où beaucoup de PME et d’ETI indiquent peiner à trouver des financements, peiner à recruter, et craindre pour leur compétitivité ?
Avant de parler de coût du travail, attaquons-nous déjà aux coûts cachés des délocalisations, qui supposent souvent de commander dans de grandes quantités, et ne permettent pas de savoir exactement de quelle manière est assurée la production. Pour retrouver de la compétitivité, il faut que tout le monde y mette du sien. C’est la raison pour laquelle nous travaillons, par exemple, sur la commande publique, qui donne à la fois du volume et du temps long. On a une chance, aujourd’hui en France, c’est que, hélas, on part de très loin sur ce sujet, sans compter sur les leviers RSE qui permettront, peut-être, de récupérer au niveau de l’Europe des appels d’offre que l’on ne remportait pas parce que le prix était un élément trop important. La commande publique peut donc être un levier pour donner à nos industriels une vision sur le temps long et donc l’investissement, qui est bien sûr un sujet essentiel. Monter des gigafactories financées par des acteurs étrangers ne règlera pas le problème. Il se passe beaucoup de choses aujourd’hui au niveau des fonds dits souverains, ou en tout cas tournés vers la souveraineté industrielle, destinés à financer des PME et à en faire des ETI capables d’aller se battre à l’étranger. Mais ça n’est pas suffisant, pour réindustrialiser il faut aussi faire venir des jeunes, ce qui soulève la question de l’attractivité. On doit redorer l’image de l’usine, qui a été écornée pendant des années, alors qu’on gagne aujourd’hui 20% de plus en usine que dans les services, et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait bac+5 pour aller y travailler, contrairement aux startups. La production, c’est un projet social, fondamental pour les régions.

Le soutien public aux filières qualifiées de stratégiques – ou aux projets de type gigafactories - est souvent présenté comme une nécessité pour se prémunir d’un effet « saupoudrage » qui ne permettrait pas l’émergence d’acteurs de premier plan. Si toutes les filières méritent d’être soutenues, comment arbitrer ?
Les gigafactories peuvent être une clé, à partir du moment où les acteurs concernés jouent le jeu, avec une activité qui irrigue l’ensemble de l’écosystème. Il faut effectivement aller vite, peut-être que le saupoudrage mettrait un peu plus de temps. Je n’ai pas de réponse précise à ce sujet, mais je constate qu’il y a bien une volonté. La loi industrie verte va dans le bon sens, en diminuant de moitié le temps nécessaire à la construction d’une usine, puisqu’on va passer de 18 à 9 mois le temps nécessaire à l’obtention des autorisations. Au-delà de l’effet d’annonce des gigafactories, qui peuvent paraître démesurées par rapport aux besoins des petites entités, on voit des grands groupes qui jouent de plus en plus le jeu de l’irrigation vers les PME, et c’est ce qui compte.

Vous encouragez donc cette notion de responsabilité territoriale des entreprises ?
C’est exactement ça. Une responsabilité en général d’ailleurs. C’est aussi la responsabilité du consommateur quand il achète et quand il vote avec sa carte bleue, comme dirait Arnaud Montebourg. Quand vous achetez un produit Origine France Garantie, vous savez que derrière il y a des emplois et des impôts. Pour ça, il faut raconter de belles histoires, être positif. Et il faut être transpartisan. C’est le sens du mouvement d’entrepreneurs que j’ai lancé, les Forces françaises de l’industrie. Pourquoi les FFI ? Parce que les FFI historiques [Forces françaises de l’Intérieur, ndr] avaient rassemblé tout le monde pour la libération de la France, des gaullistes aux communistes. Moi je veux rassembler tout le monde pour la réindustrialisation de la France.

Vous évoquez la nécessité d’une action menée à l’échelle des territoires, donc des régions. Dans quelle mesure la concurrence que se livrent les régions, en matière d’attractivité économique, est-elle bénéfique ou au contraire préjudiciable à la réindustrialisation ?
Très bonne question… je dirais que ça dépend ! Sur certains sujets, il être à plusieurs pour accéder à des niveaux importants, et je souhaiterais que les régions soient capables d’avancer ensemble pour activer de gros projets. Après, la concurrence a aussi du bon, dans la mesure où elle permet à chacun de faire au mieux.

En Nouvelle-Aquitaine comme ailleurs, on compte de nombreuses structures ou agences de développement dédiées à l’accompagnement des entreprises. Que manque-t-il selon vous pour que les entreprises françaises travaillent plus et mieux ensemble ?
Il faut renforcer le lien entre les entreprises et les collectivités locales, qui jusqu’ici ne se parlaient pas assez. Les collectivités locales ont eu du mal à comprendre l’intérêt des entrepreneurs, et les entrepreneurs voyaient les collectivités locales comme en dehors de leur spectre. Il y a un vrai sujet de rencontre, avec un objectif commun, notamment sur des sujets comme le foncier industriel. Avant même de parler de dialogue, il faut qu’ils puissent mieux se connaître. Pendant des années, chacun a essayé de réserver son pré carré. C’est bien pour ça qu’il faut changer de paradigme et se dire qu’on est tous ensemble derrière un objectif commun.