Femmes en entreprise (1/5) : « Elles bougent » encourage les jeunes filles à se tourner vers les métiers techniques et scientifiques
Alors que la journée internationale des droits des femmes se déroule le 8 mars, Placéco s'intéresse à la place des femmes dans le tissu économique : numérique, industrie, entrepreneuriat... Nous sommes allés à la rencontre de cheffes d'entreprise, d'ingénieures, ou d'associations qui œuvrent pour l'entrepreneuriat au féminin, dans des milieux encore largement masculins. Comment faire bouger les lignes ? Placéco vous propose une série d'articles pour se pencher sur la question.
Une intervention de marraines d'"Elles bougent" pour l'orientation, au lycée de Montardon en décembre 2023. | Crédit : Association Elles bougent
Ingénieure chez Safran Helicopter Engines à Bordes, Marie-France Leydert est aussi déléguée régionale de l’association « Elles bougent », qui aide les jeunes filles à s'orienter vers les métiers scientifiques et l'ingénierie. Difficultés d'accès, mais aussi difficultés pour les écolières à se projeter dans ces carrières, et actions entreprises pour y remedier : rencontre avec Marie-France Leydert.
« Elles bougent » est née d’un constat : alors que la parité existait en classe de Terminale S, on retrouve ensuite peu de femmes dans les formations et les métiers techniques ou scientifiques. Marie-France Leydert, ingénieure chez Safran Helicopter Engines à Bordes, est déléguée régionale de l’association, qui compte près de 10.000 « marraines » en France, dont 500 en Aquitaine, et 200 en Pyrénées-Atlantiques-Landes. « Depuis le milieu des années 1980, on est à environ 25% de filles dans les écoles d’ingénieurs : ça stagne, regrette-t-elle. Et là avec la réforme du bac, on est tombé à moins de 40% de filles dans les Terminales dites scientifiques. » Le retour des mathématiques en classe de Première générale devrait ramener des candidates, mais on le voit : les mentalités n’évoluent ni vite ni spontanément.
Lever les freins psychologiques
D’où l’utilité des missions que les bénévoles de l'association mènent dans les collèges et lycées. « Lorsqu’on discute avec des élèves qui sont mal épaulées, on entend encore des discours comme "moi je veux être infirmière parce que je ne peux pas être médecin : je n’ai pas le niveau, je n’y arriverai jamais, etc." », déplore Marie-France Leydert. Le poids des représentations pèse donc toujours fortement sur les ambitions féminines. « Cela vient beaucoup de leur environnement, pas seulement parental mais aussi de l’Éducation Nationale, poursuit-t-elle. Il faut qu’elles aient beaucoup plus de contacts avec des gens extérieurs. D’ailleurs je trouve très bien qu’il y ait maintenant des stages d’observation en entreprise en Seconde aussi. »
« Quand j’étais petite, je n’avais pas prévu d’être ingénieure, rembobine Marie-France. Moi je voulais être prof de maths. J’ai fait une Terminale C à l’époque. Puis j’ai suivi une prépa scientifique dans un lycée technologique - on était 50 par classe, dont seulement trois filles… » Un enseignant lui conseille alors de candidater à une nouvelle école d’ingénieur en mécanique avancée à Clermont-Ferrand. « C’est encore un frein que je combats actuellement chez les filles. quand on dit mécanique, on voit les mains pleines de cambouis dans un moteur. Or, c’est beaucoup plus large, ça part de la conception du produit, jusqu’à l’organisation de l’atelier. Et il existe toute une palette de métiers autour. » Son cursus prévoit une année à l’étranger : elle partira aux États-Unis pour six mois de cours au Rensselaer Polytechnic Institute de Troy, dans l’État de New York. Puis six mois chez Crosby Corporation, fabricant belge de crochets de levage à Tulsa, dans l’Oklahoma.
Le marché de l’emploi au milieu des années 1990 n’est pas en grande forme. « Pour les filles, c’était extrêmement difficile de trouver du boulot, se souvient l’ingénieure alors fraîchement diplômée. Depuis la deuxième année d’école, j’étais partie sur un projet de recherche, à mixer les réseaux neuronaux, les algorithmes génétiques appliqués à l’organisation d’ateliers en îlots. » Elle va donc poursuivre ses études dans ce sens.
Biographie :
Cursus 1991-1995 : diplôme d’Ingénieur de l’Institut Français de Mécanique Avancée (IFMA devenu SIGMA), Clermont-Ferrand.
1994-1995 : diplôme d’Études Approfondies (DEA) d’Informatique et ingénierie, (double cursus).
1995-1998 : doctorat d’université en productique de l’Université Blaise-Pascal, de Clermont-Ferrand. Organisation d’atelier en îlots de production avec des algorithmes évolutionnistes. Chargée de cours en simulation dynamique.
Carrière :
1998 : première embauche à Lyon chez Segula Conseil, où, durant deux années, Marie-France Leydert sera aussi responsable de la formation des clients.
2000 : direction Dijon, chez Savoye, spécialisé dans les matériels automatisés, où elle crée et dirige le service analyse des performances, pendant cinq ans.
2005 : un plan social va l’amener à bouger. Elle suit son mari architecte nommé à Pau, en Béarn.
2006 : elle est embauchée à Bordes chez Safran (ex-Turbomeca), qui fabrique des moteurs d’hélicoptère, pour le civil et le militaire. Elle va y occuper plusieurs postes à responsabilité en gestion de stock de pièces détachées, point de découplage, données techniques industrielles, et data management. Depuis 2021, elle y pilote des projets d’amélioration de la performance d’entreprise (Lean), dans le cadre de la certification d’excellence Black Belt.
« Ce que je dis aux filles que je rencontre avec "Elles bougent", c’est qu’on est amené à exercer des métiers hyper humains, sourit la responsable. Les maths et la physique sont les piliers pour un ingénieur, mais les soft skills, l’écoute, la communication sont tout aussi importants. » Chez Safran Helicopter Engines à Bordes, la proportion de femmes dans les métiers techniques, parmi les ingénieurs et les cadres, avoisine les 25%. Et les chiffres ont tendance à stagner. « Quand on cherche pourquoi avec les responsables des ressources humaines, ils nous disent qu’il n’y a pas de CV - les filles ne postulent pas. D’où "Elles bougent", qui va travailler en amont, au moment où elles sont en réflexion sur leur métier. »
L’association, créée il y a plus de 15 ans, intervient régulièrement dans les collèges et lycées. Les « marraines » – des ingénieures ou techniciennes – parlent aux élèves de leur parcours, expliquent en quoi consiste leur métier, et répondent aux questions que se posent les ados sur des filières souvent mal connues. « J’ai fait ma première intervention dans mon ancien lycée, Gustave-Eiffel à Bordeaux, indique Marie-France Leydert. Je me souviens avoir croisé une dame retraitée du Commissariat à l’Énergie Atomique qui racontait que c’est son mari qui avait signé son contrat d’embauche à l’époque, parce qu’elle n’avait pas le droit de toucher son salaire. »
Bien décidée à promouvoir les carrières scientifiques féminines en local, l’ingénieur de chez Safran intervient avec ses collègues depuis 2014-2015. Aujourd’hui, près d’une vingtaine d’établissements les accueillent, notamment lors de l’action dédiée à l’orientation organisée chaque année en décembre. Des visites d’élèves dans les entreprises sont également prévues. Avec environ 200 marraines issues de grandes entreprises du 64 et du 40, « Elles bougent » parie sur l’identification des jeunes à leurs aînées, dont le cursus et le parcours professionnel inspirent. Les entreprises intéressées par la démarche peuvent contacter les bénévoles. Même chose pour les femmes techniciennes, encore peu nombreuses, qui souhaiteraient s’impliquer dans les interventions.
Challenge Innovatech le 28 mars à Pau
L’association participe à de nombreux événements tout au long de l’année. À noter parmi les rendez-vous à venir en 2024 : Equity Week du 4 au 8 mars, Journée internationale des droits de femmes le 8 mars, ou encore Elles bougent pour demain, le 4 avril.
Et le 28 mars à Pau, place au Challenge Innovatech, 100 % féminin : « Des équipes de six femmes - deux marraines, deux étudiantes et deux lycéennes - doivent concevoir un produit, et le "vendre" à un jury en l’espace d’une journée », explique Marie-France Leydert. Les gagnantes régionales iront à Paris le 15 mai pour la finale nationale. « C’est la troisième fois qu’on l’organise à Pau. En 2022, elles ont gagné la finale ! rapporte celle qui les a accompagnées dans l’aventure. Avec un pare-soleil à mettre sur les pare-brise de voitures, qui récupère l’énergie solaire pour charger les batteries des téléphones portables et PC. »
Très motivante pour les marraines, la compétition constitue un bel atout sur le CV des étudiantes, et permet aux lycéennes de passer une journée dans la peau d’une ingénieure. Trois jeunes filles lauréates en 2022, qui n’avaient pas prévu de s’orienter vers des métiers techniques ou scientifiques, ont changé d’avis suite à l’expérience. « L’une d’elles est en IUT Génie Mécanique et Productique, une autre en IUT Maintenance, et la troisième en IUT Cybersécurité », se réjouit Marie-France Leydert.