Comment LipStip se prépare à conquérir le marché de la propriété intellectuelle - Premium

« La propriété intellectuelle, commence Ghislain Demonda, c’est à la fois un domaine littéraire et un domaine technique ». Littéraire, développe-t-il, car il concerne le monde des marques, des droits d’auteur, de la rédaction de contrats, et technique car il s’agit de protéger des inventions qu’il faut aussi comprendre. Et ce sont les deux versants de l’activité du cabinet de conseil en propriété intellectuelle A.P.I. Conseil, reprend Ghislain Demonda : « un bureau avec des juristes, un autre avec des ingénieurs. Ils ont la même profession, mais pas la même activité ». À l’époque du covid, ce cabinet de conseil « craint une baisse de son activité », raconte notre interlocuteur. « On a commencé à imaginer d’autres sources de revenus, et l’une d’entre elles était de développer des logiciels pour les professionnels de la propriété intellectuelle, notamment grâce à l’IA générative qui en était à ses débuts ». Le conseil en propriété intellectuelle étant une activité réglementée, API Conseil n’a pas le droit de faire du développement de logiciel. Une nouvelle entreprise voit donc le jour en mars 2023 : LipStip.Ingénieur brevet sénior chez A.P.I. Conseil, Ghislain Demonda rejoint la startup, aux côtés de deux associés eux aussi issus du cabinet de conseil. Nicolas Girardin en devient le président et Alexander Lerbs le directeur. Ghislain Demonda, lui, devient CTO et cofondateur. C’est sa première incursion dans le monde de l’entrepreneuriat. « Depuis que je travaille dans la propriété intellectuelle, je suis toujours entouré d’entrepreneurs, évoque celui-ci. Et j’ai toujours été impressionné par le courage de ces gens, qui venaient nous voir avec parfois ce qui n’était encore qu’une toute petite idée sur laquelle ils voulaient bâtir une entreprise. Ça m'impressionnait beaucoup. Comme j’étais impliqué dès le début sur la création du produit de LipStip, c’était normal que ça soit moi qui fasse partie de l’aventure, pour pouvoir le porter et l’amener le plus loin possible. »Automatiser la protection des marquesLedit produit : « automatiser certaines des tâches que l’on réalise manuellement », résume Ghislain Demonda. « Une demande de brevet, c’est vingt à trente pages de documents pour décrire une invention, de façon très codifiée, avec des références bien précises. Ce sont des dizaines d’heures de travail. Nous étions encore à l’époque dans A.P.I. Conseil, quand nous avons développé un premier outil qui permettait de vérifier la cohérence de ces documents. Très rapidement, on s’est rendu compte que c’était très utile, et on a commencé à l’utiliser en interne ». Le marché est encore quasiment vierge, mais la nouvelle entreprise y voit rapidement arriver des concurrents dans le domaine de l’IA appliquée au dépôt de brevets. « On s’est par contre rendu compte qu’il n’y avait pas d’outils autour de la protection des marques, raconte Ghislain Demonda, et qu’il serait donc plus simple, moins cher et plus rapide d’entrer sur le marché par ce versant-là ». « Le brevet c’est un peu la star de la propriété intellectuelle, convient-il, mais il n’y a pas que ça, la marque peut parfois être plus importante que l’innovation technologique. Prenez l’exemple de Coca-Cola : son atout principal n’est pas sa recette, mais bien sa marque. » LipStip développe donc deux produits. Le premier, baptisé en interne « Compare », est une application dont l’objectif est d’aider les professionnels de la propriété intellectuelle à rédiger des « oppositions », des procédures administratives contestant le dépôt d’une nouvelle marque pouvant venir parasiter une marque existante. « Pour cela, il faut comparer les libellés utilisés pour décrire ces deux marques, précise Ghislain Demonda. C’est un travail juridique, qui se base surtout sur la jurisprudence, que l’on propose d’automatiser partiellement grâce à l’IA. Notre outil donne au professionnel un argumentaire pour faire cette démarche d’opposition, il n’existe aucun autre outil de ce type aujourd’hui ». Le second produit, nom de code « Generate », a pour fonction de générer le libellé d’une marque pour permettre de la déposer, en créant une liste de mots-clés permettant de la caractériser tout en prenant en compte les marques antérieures. « Celui-là, il peut faire très mal sur le marché », assure Ghislain Demonda avec un sourire en coin. Les deux programmes, encore en cours de développement, arriveront bientôt au stade de la beta ouverte, « avec des confrères qui sont prêts à tester le produit gratuitement, et qui recevront ensuite un tarif préférentiel pendant les premières années de commercialisation. »Objectif 300 millions d'euros en 2030Une fois celle-ci lancée, le modèle économique de LipStip, qui se finance jusqu’à présent en fournissant à son entreprise mère des prestations de service et en lui facturant l’usage de ces outils, basera son modèle économique sur le SaaS (software as a service - des programmes qui sont installés sur des serveurs distants et généralement accessibles via un abonnement mensuel). « C’est la formule la plus simple pour pérenniser notre plateforme et s’adapter aux besoins des cabinets en propriété intellectuelle », assure Ghislain Demonda. L’entreprise est aussi reconnue et soutenue par plusieurs acteurs d’importance, en particulier Bpifrance qui a accordé à LipStip le label Deeptech et une bourse French Tech de 90.000 euros. « OVH Cloud nous a aussi sélectionnés dans le cadre d’un programme, normalement réservé aux entreprises en série A, ce qui n’est pas encore notre cas, raconte le CTO. On a eu accès à leurs ressources informatiques à hauteur de 100.000 euros, c’est énorme, cela nous a permis de faire des tests sur nos modèles. Ce sont des aides qui vont nous permettre d’avancer. »Aujourd’hui, LipStip, en plus de ses trois associés, compte sept employés : deux salariés, deux stagiaires et deux contrats d’apprentissage, et un autre salarié partagé avec API Conseil. Tous sont des profils techniques. « Nous ne prévoyons pas d’embaucher de commerciaux pour le moment, précise Ghislain Demonda. Notre domaine d’activité est très spécifique, il y a à peu près 1.200 cabinets de conseil en propriété intellectuelle en France, on se connaît tous. Ce sera beaucoup plus facile pour les associés de se charger du développement commercial ». D’autant plus, précise-t-il, que « tout le monde sent bien qu’utiliser ces outils est dans l’air du temps. Notre profession est en manque de main d'œuvre, on en a besoin pour travailler plus vite avec le même niveau de qualité. »L’objectif de la startup : devenir leader européen d’ici à 2030 sur son segment de marché. « Le marché des logiciels juridiques est évalué à 1,6 milliard d’euros par an en Europe, développe Ghislain Demonda. On vise, à terme, entre 5 et 15%, donc un objectif de 300 millions d’euros ». Pour y parvenir, la startup envisage une première levée de fonds début 2025, d’un montant que ses dirigeants estiment aujourd’hui à 500.000 euros, « ce qui correspond peu ou prou à ce que l’on a déjà investi depuis le début du projet. Cela nous permettrait de faire au moins les deux recrutements supplémentaires dont nous avions besoin pour sortir sereinement nos produits sur le marché. »

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