Ariane 6 a réussi son premier lancement commercial
Cinq secondes après la mise à feu. Crédit : Arianespace
Ce jeudi 6 mars à 17h24 heure française, la fusée Ariane 6 a décollé pour son premier vol commercial. Placéco était à l’Hôtel de Région Nouvelle-Aquitaine, pour une retransmission en direct de l’évènement, avec de nombreux acteurs impliqués dans ce vaste programme. Reportage.
À quelques minutes de l’évènement, l’impatience autant que la tension étaient palpables, même si l’optimisme dominait. « Cette fois, c'est la bonne, on l'espère », sourit Éloi Petros, conseiller pour les affaires publiques régionales au sein d'ArianeGroup. « On l'espère, on l'espère… », reprend-il comme une incantation propitiatoire. Certes, on n’est pas dans la salle Jupiter, au cœur du Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou, saint des saints n’ayant rien à envier au cosmodrome de Vostotchny ou au Kennedy Space Center, sans convoquer le souvenir des historiques Cap Canaveral et autres Baïkonour. Le CSG, lieu hautement stratégique, en ces temps où l’Europe doit plus que jamais sécuriser ses enjeux de souveraineté face aux USA d’une part et à la Russie d’autre part. Mais à Bordeaux, au sein de l’Hôtel de Région du Conseil régional, l’émotion est à la mesure du moment au regard de l’aventure spatiale française et européenne. Mais aussi eu égard à l’impact économique, en Gironde comme à l’échelle de la région, de la chaîne de valeur Ariane 6.
Initié fin 2014, le développement d’Ariane 6 s’est poursuivi jusqu’au un vol inaugural, le 9 juillet dernier. Un tir de qualification globalement couronné de succès, même si une anomalie a empêché de rallumer une troisième et dernière fois le moteur Vinci de l’étage supérieur. Une faculté qui, justement, est l’un des apports technologiques majeurs d’Ariane 6 par rapport à sa devancière. Ce jeudi sous la coiffe de la fusée, Ariane embarque le satellite CSO-3, troisième et dernier item de la « composante spatiale optique », une série d’engins militaires d’observation de la Terre fabriqués par Airbus Defence and Space et par Thales Alenia Space France. Les deux premiers avaient été orbités en 2018 et 2020 par des lanceurs Soyouz (russes). Une collaboration remontant à l’avant 24 février 2022, date de l’offensive russe en Ukraine.
Un petit pas pour la souveraineté européenne
Initialement, la première mission commerciale menée aujourd’hui était prévue en décembre 2024. Elle avait été reportée au 26 février, puis au 3 mars. Ce lundi-là, à 17h12, h-12 minutes, Marie Gaudré, directrice des établissements d’ArianeGroup en Nouvelle-Aquitaine, douchait l’enthousiasme, annonçant en direct un nouveau report, devant un hémicycle du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine plein comme un œuf et soudain traversé de murmures et d’interrogations sur les raisons de ce nouvel ajournement. Il s’agissait, cette fois, d’une « anomalie au sol » apprenait-on dans un premier temps - mais pas immédiatement - liée à un équipement en interface avec le lanceur. L’empêcheur de décoller en rond était une vanne sur l’un des tuyaux d’avitaillement du lanceur, équipement de quelque 150kg et au comportement dysfonctionnel.
Axel Sergues, directeur des opérations du CNES. Crédit : Arianespace
Ce jeudi, la voix d'Axel Sergues, directeur des opérations du CNES, rythme depuis Kourou chaque instant d'une séquence synchronisée à la seconde près. Il égrène le compte-à-rebours. La fusée s'arrache du sol et, rapidement, les annonces s'enchaînent. « La propulsion est nominale… Pilotage calme… » Deux tonnes de carburant sont consommées à chaque seconde et, à peine plus de deux minutes après le décollage, séparation des boosters et Ariane6 ne pèse déjà plus qu'un tiers de sa masse initiale. H + 4'30" : la coiffe est larguée, elle a rempli sa mission de protection de son précieux passager. Le satellite CSO-3 contemple pour la première fois sa future maison, le vide spatial. « Tous les paramètres à bord sont nominaux », confirme Axel Sergues. H + 8 minutes, le moteur Vulcain s'éteint et le moteur Vinci prend le relai. Un peu moins de 20 minutes après le décollage, première extinction de Vinci. « L'orbite est correcte », entend-on depuis Kourou. « Je mesure l'émotion et la fierté de toutes les équipes », félicite le président Rousset.
« Vous n'avez pas prévu un pti "hello Poutine" ? », questionne-t-il d'un ton badin. Avant d'écarter la figure honnie de ses propos, « ne faisons pas de politique », pour ne parler que du succès. La tension retombe et les invités se détendent, s'accordant un instant convivial hors de l'hémicycle. Aucune déclaration n'est à attendre de la part d'ArianeGroup, la communication étant verrouillée jusqu'au moindre boulon. Les élus savourent et partage leur « fierté pour les équipes des entreprises régionales », sourit Christophe Duprat, qui représente Bordeaux Métropole. Les discussions se lancent, on se congratule mutuellement. « Il reste une étape importante », entend-on aussi, rappel qu'il faut atteindre l'exacte position en orbite héliosynchrone avant de larguer le précieux satellite. H + 56', deuxième allumage du moteur Vulcain, pour un rapide - 28 secondes - mais décisif boost… Deuxième extinction. « Orbite atteinte correcte », valide Axel Sergues.
18h31, heure française. « Séparation de CSO-3. » La mission est un succès. Tonnerre d'applaudissements, à Kourou, en Nouvelle-Aquitaine, sur l'ensemble des sites impliqués . « Vu le contexte, c'est un super symbole pour l'avenir », se projette François Buffenoir, directeur technique et scientifique de Way4Space.
Le satellite vient d'être déposé en orbite, la Nouvelle-Aquitaine savoure. Crédit : DM
Ariane 6, la Gironde et la Nouvelle-Aquitaine
ArianeGroup est maître d’œuvre complet du programme Ariane 6, lancé par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et qui implique au total 13 pays, pour quelque 13.000 emplois directs et indirects au sein de 600 entreprises. En France, la Nouvelle-Aquitaine abrite notamment le pôle d’excellence ArianeGroup de la propulsion solide (propergol) au cœur des boosters, qui sont les propulseurs latéraux de la fusée (deux ou quatre selon la version). Par ailleurs, cette coentreprise (Airbus et Safran) dispose en Gironde de plusieurs ateliers qui fabriquent des sous-ensembles majeurs pour Ariane 6. Les tuyères voient le jour au Haillan (atelier B-Line), tout comme une partie des protections thermiques, également produites sur le site d’Issac, à Saint-Médard-en-Jalles. Sont également produits des équipements de jupe arrière et des gouttières, qui câblent les boosters.
L’objectif assigné à Ariane 6 est d’assurer dix lancements par an à partir de 2027. Cette année, cinq décollages sont programmés, la majorité au second semestre. Le carnet de commandes compte à ce jour 32 tirs.
La Gironde compte 40% de l’effectif salariés d’ArianeGroup, soit 3.400 personnes, dont 400 ont été recrutées sur la période 2023-2024. La montée en puissance doit se poursuivre en 2025, avec plus de cent nouveaux recrutements pour faire face à l’augmentation des cadences de tir. À signaler qu’ArianeGroup accueille aussi annuellement quelque 200 apprentis et 100 stagiaires dans ses établissements néo-aquitains. ArianeGroup s’approvisionne auprès de 300 entreprises régionales de toutes tailles, représentant plusieurs dizaines de millions d’euros de commandes au titre de la sous-traitance.