Placer la trésorerie de son entreprise en cohérence avec sa politique RSE
François-Xavier Lénier est fondateur de Facteur 7 gestion privée – cabinet de conseil en gestion de patrimoine - et titulaire de la certification « finance durable » délivrée par l’Autorité des marché financiers. Il met à profit la rubrique Opinion, réservée aux adhérents Placéco, pour parler de politique RSE.
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De nombreuses entreprises se lancent dans une politique RSE. Pour autant, la trésorerie doit s'accorder avec ses ambitions en matière de développement durable. Quelques clés.
Les entreprises engagées dans une démarche de responsabilité sociétale et, plus largement, toutes celles pour qui la durabilité apparaît comme une évidence, veillent à adapter leur activité afin de répondre au mieux aux objectifs de développement durable fixés par l’ONU.
Mais la recherche au sein de l’entreprise d’une performance extra-financière ne devrait pas être cantonnée au seul cycle d’exploitation de cette dernière. Car une fois les ressources converties en liquidités, vient le moment de placer celles-ci. Or une vision holistique de la RSE implique de se préoccuper également de l’intégration de critères ESG au niveau de la gestion de la trésorerie d’entreprise.
La trésorerie d’entreprise
Il est utile à ce stade de définir le concept même de trésorerie et particulièrement de trésorerie excédentaire. Lorsqu’une entreprise dégage des flux de trésorerie positifs, elle se retrouve, plus ou moins rapidement, avec une réserve de liquidités. Dès lors que cet excédent de capitaux n’a pas vocation à être utilisé à court terme par l’entreprise (pour financer son besoin en fonds de roulement, pour investir ou se désendetter par exemple), son dirigeant ou trésorier devra chercher à placer ces liquidités excédentaires afin de dégager un taux de rentabilité satisfaisant. À défaut, et mécaniquement, les liquidités qui ne seraient pas productives de revenus financiers sont susceptibles d’éroder la performance économique de l’entreprise.
Deux options de placement de trésorerie d’entreprise : le compte à terme et le compte titres
D’une manière générale, la trésorerie qui n’a pas vocation à financer le cycle d’exploitation de l’entreprise pourra, en premier lieu, être placée sur un compte à terme ouvert au sein d’un établissement de crédit. Le principe est simple : le chef d’entreprise dépose des liquidités auprès d’une banque et accepte de les immobiliser pendant une période allant généralement de 1 à 36 mois en échange d’une rémunération fixée à l’avance. En cas de déblocage anticipé des sommes en question, la rémunération initiale est revue à la baisse selon une grille définie dès l’ouverture du compte à terme.
Pour placer sa trésorerie excédentaire, le chef d’entreprise pourra également ouvrir un compte titres au sein d’une banque. Ce compte titres permettra d'investir dans une grande variété d’instruments financiers. Au sein d’un compte titres, le produit de placement le plus couramment utilisé par une personne morale consiste en des parts de fonds monétaires. Les fonds monétaires sont des OPCVM (voire des fonds d’investissement alternatif) qui investissent dans des actifs à court terme liquides ayant pour objectif d'offrir des rendements comparables à ceux du marché monétaire. Pour être agréé en qualité de fonds monétaire par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), les fonds en question doivent, entre autres conditions, investir dans des actifs strictement énumérés par un règlement européen (Article 9 du règlement européen 2017/1131). En raison de la nature court-terme et qualitative des actifs qu’il achète, un fonds monétaire est par définition peu risqué ; par ailleurs, les fonds monétaires sont valorisés quotidiennement et permettent à l’investisseur de récupérer ses liquidités du jour au lendemain. Par le biais d’un compte titres, le chef d’entreprise pourra également loger d’autres catégories d’OPCVM plus ou moins risqués.
Placement de trésorerie et critères ESG
On le voit, diverses solutions de placement s’offrent au chef d’entreprise. Mais alors quid de l’intégration des critères ESG en la matière ? Car il n’y a en effet pas de raison de considérer la trésorerie d’une entreprise comme un sanctuaire de mauvaises pratiques sur le plan de la durabilité, a fortiori lorsqu’on s’est évertué à déployer une démarche de développement durable au sein de son entreprise.
Pour autant, quand il s’agit d’appliquer des critères extra-financiers à la gestion de trésorerie de son entreprise, on se heurte très vite à une impasse si l’on recourt uniquement au dépôt à terme (DAT). En effet, le DAT ayant vocation à permettre à un établissement de crédit de financer ses clients (personnes physiques, entreprises, associations, collectivités locales, etc), plus le niveau d’intégration des critères ESG dans la politique d’octroi de crédits d’une banque est élevé plus la « coloration » ESG du DAT sera soutenue.
Mais malheureusement, il est encore impossible de savoir dans quelle mesure exacte les banques intègrent les facteurs ESG dans les financements qu’elles consentent aux différents acteurs économiques.
Si l'on s'intéresse uniquement au volet environnemental (le E de ESG), les banques devront obligatoirement publier à compter de cette année, un ratio appelé « Green asset ratio » (GAR) censé refléter la proportion de financements « verts » consentis à des grandes entreprises. Mais force est déjà de constater que ce ratio publié sur base volontaire par certains établissements bancaires depuis 2022 montre une très faible proportion de financements bancaires alignés avec la taxonomie européenne.
Ceci reflète en grande partie le fait que, à l’échelle européenne, seulement 7% du chiffre d’affaires des 450 plus grandes entreprises est aligné à la taxonomie (selon une étude de l'association des banques allemandes). Par ailleurs, il faudra attendre 2025 et la publication par les banques du ratio BTAR (Banking Book Taxonomy Alignment Ratio) d’application plus large que le GAR pour avoir une vision encore plus fine de la proportion de financements consentis par les banques à des entreprises vertueuses sur le plan environnemental. Dans ce contexte, connaître le niveau d’intégration des critères ESG d’un DAT est à ce jour impossible.
En revanche, au travers d’un compte-titres, en investissant sa trésorerie dans des OPCVM bénéficiant d’une labellisation (ISR, greenfin, finansol, notamment) le trésorier pourra disposer d’une certaine assurance quant à la proportion des liquidités de l’entreprise réellement allouées à des investissements ESG. Le cas échéant, son conseiller en investissement financier pourra l’accompagner dans la construction d’un portefeuille de placement répondant à ses exigences en matière de durabilité. C’est ainsi que le placement de la trésorerie excédentaire de l’entreprise entrera en résonnance avec sa politique RSE et bouclera la boucle de la recherche d’une performance extra-financière pleine et entière.