Topaketa - Revivez l’interview de Jurgi Camblong (Sophia Genetics) - Premium

C’est la rentrée des classes pour les Topaketa de Placéco Pays basque. Ce mercredi, pour ce premier événement mensuel, nous avons reçu nos adhérents au Connecteur de Biarritz, notre partenaire, sur le rooftop. Une centaine de personnes étaient présents pour assister à l'interview de notre invité du mois, Jurgi Camblong, cofondateur et président de Sophia Genetics, société spécialisée dans l’analyse de données médicales. Si le siège de l’entreprise est basée en Suisse, elle dispose d’une antenne située sur la zone d’Izarbel à Bidart. Pendant un peu plus d’une demi-heure, nous avons échangé avec lui sur les différents enjeux de son entreprise, et de son engagement en matière de RSE. Extraits. Le sujet est un peu technique, qu’est-ce qu’on fait concrètement chez Sophia Genetics ? Et en particulier dans les locaux de Bidart ?Jurgi Camblong : Prenons un peu de recul. Jusqu'à il y a environ 30 ans, certaines maladies, comme le cancer et les maladies rares, étaient très mal comprises. Le cancer représente aujourd'hui 30 millions de nouveaux cas par an, et les maladies rares touchent environ 6 à 8% de la population mondiale, soit environ 400 millions de personnes. Il y a 20 ans, une technologie révolutionnaire est apparue : le séquençage du génome, qui permet de décoder notre code génétique. Cela a considérablement changé notre compréhension des causes de ces maladies. Avant, dans les années 70-80, on traitait le cancer en fonction des organes touchés, un peu comme si aujourd'hui, on allait réparer une voiture en disant que c'était une Renault ou une Volkswagen, sans comprendre que c'était le carburateur qui était abîmé. Aujourd'hui, grâce au séquençage, nous savons que ce sont des mutations dans l'ADN qui sont responsables de ces maladies.Parallèlement, le développement du cloud et des algorithmes d'intelligence artificielle a permis de concevoir une plateforme qui connecte les hôpitaux et leurs données pour diagnostiquer chaque patient de manière plus précise. Cela permet d'améliorer le diagnostic, de comprendre l'évolution d'un cancer, et d'identifier les thérapies les plus efficaces pour chaque cas. Chez Sophia Genetics, nous ne produisons pas les données, mais nous avons une plateforme dans le cloud avec des algorithmes intelligents. Cette plateforme est aujourd'hui utilisée dans 70 pays par 750 hôpitaux. Chaque mois, environ 30.000 profils génomiques de patients y sont analysés, et près de deux millions de patients ont déjà bénéficié de cette médecine de précision. Pour revenir à une métaphore automobile, nos algorithmes sont le moteur et l'essence de la plateforme, et cela est principalement développé en Suisse, près de l'École Polytechnique fédérale de Lausanne - là ou Siri a été développé notamment - donc une des institutions technologiques les plus avancées d'Europe. En revanche, à Bidart et dans une certaine mesure à Pessac, nous travaillons sur la partie châssis et capot de la plateforme.Pourquoi avoir choisi Bidart pour cette implantation ? Nous avons évolué très rapidement, passant de 400 à 500 employés, avec une plateforme commercialisée dès 2015. Avec cette croissance, et le focus clients très important, la pression sur les équipes de développement en Suisse devenait énorme. Il devenait essentiel d’avoir deux temps : le temps rapide où on peut répondre aux besoins du client, et d’avoir un temps de moyen/long terme avec des développeurs qui ne soient pas dans la maison mère pour ne pas être pollués. C’est ainsi qu’en 2018, nous avons commencé à prospecter en France, car c’était notre principal marché, le pays où on a le plus d’impact. Plusieurs villes étaient envisageables, comme Lyon, mais finalement, Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine, est venu nous rendre visite, et nous a convaincus de venir ici. Et miracle, on s’est retrouvé au Pays basque (sourire) !Il y a donc un intérêt stratégique à cette implantation ? Absolument. Être à Bidart, dans le campus d’Izarbel, c’est un atout pour nous permettre de recruter des talents locaux et de développer des collaborations. C'est un atout stratégique, tout comme l'était notre proximité avec l'École polytechnique à Lausanne en Suisse. Quels sont les développements actuels et les perspectives pour les prochains mois ? Il y a deux volets dans ce que nous faisons : un volet technique et un volet plus inspirant, visionnaire. Si je devais commencer par la vision, il faudrait qu’il y ait une plateforme (peut-être par Sophia Genetics) capable de prendre des décisions sur la base de données réelles pour chaque patient atteint de cancer. En gros, on aimerait que cette plateforme puisse analyser des milliers de cas similaires et, pour chaque patient, déterminer quel traitement a été le plus efficace pour des cas similaires. Par exemple, pour un certain type de cancer, la plateforme pourrait dire : "Voilà, pour 10.000 patients ayant un profil comparable, la meilleure succession de traitements a été de commencer par A et ensuite par B". Pour y parvenir, plusieurs étapes sont nécessaires. Il faut d’abord enregistrer tout ce qui définit l’origine du cancer, ce qui relève de la génomique. Ensuite, il faut suivre le patient sur le long terme, avec des outils comme l’imagerie médicale, IRM, scanners, etc., ainsi que les informations cliniques. Enfin, il faut être capable d’analyser les résultats des traitements administrés. Aujourd’hui, au-delà de permettre aux hôpitaux de bien identifier l’origine d’une maladie, notre plateforme peut maintenant suivre le patient de manière longitudinale, c’est-à-dire tout au long de son parcours.Prenons un exemple avec le cancer du rein : actuellement, tout le monde reçoit de l’immunothérapie en traitement adjuvant, mais en réalité, cela ne fonctionne que pour 10% des patients. Je ne dis pas qu’il faut se limiter strictement à ces critères, mais avec les algorithmes que nous développons dans notre plateforme, on pourrait imaginer un système capable de mieux cibler ces traitements. Par exemple, peut-être qu’en optimisant les traitements pour 20% des patients, 50% d’entre eux en bénéficieraient réellement, tout en évitant de la toxicité à 80 % des autres.D’un point de vue économique, cela pourrait représenter une économie d’environ 30 millions d’euros par an pour la Sécurité sociale. Ça, c’est la vision à long terme. Maintenant, sur le plan technique, on a commencé à développer la plateforme en 2011, les navigateurs étaient complexes. À l’époque, nous travaillions directement avec les hôpitaux, donc nous devions concevoir une technologie qui ne nécessitait pas l’intervention du directeur des systèmes d’information. Dans les hôpitaux, il y a des priorités plus urgentes. Nous avions donc opté pour une technologie basée sur JavaFX, qui était adéquate à ce moment-là. Mais aujourd’hui, cette technologie est dépassée. Nous avons donc dû moderniser la plateforme et migrer vers une architecture et aller sur une technologie dite web et microservices. Je sais que ça devient très technique, mais c’est l’un des défis dans le développement d’une application. Il faut savoir naviguer entre les technologies disponibles tout en continuant à grandir, sans se retrouver un jour bloqué par les choix technologiques faits dans le passé."La question de la protection des données a été résolu"Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face aujourd'hui ? Pour nous, l'enjeu principal réside indéniablement dans l'angle réglementaire. En effet, bien que la question de la protection des données ait souvent été mise sur le devant de la scène, je considère que ce problème est aujourd'hui largement résolu, notamment grâce la RGPD et des entreprises comme Microsoft. En revanche, c’est sur le plan réglementaire lié aux médicaments et à la biopharma. La médecine de précision, qui constitue un cercle vertueux, nécessite que l'industrie pharmaceutique prenne conscience que les traitements ne conviennent pas à tout le monde, mais plutôt à une population ciblée. Étant donné que le cancer est une maladie évolutive, il est crucial d’avoir la flexibilité de passer d’un traitement à l’autre. Pour l’industrie pharma, au niveau réglementaire, il y a énormément de considération. Et même chose pour les outils d’aide à la décision pour les hôpitaux. En préparant l'entretien, nous avions abordé la question du temps long. Effectivement, en ce qui concerne l’adoption dans les hôpitaux, chaque changement technologique doit se faire à coût équivalent à la technologie précédente tout en offrant une meilleure fiabilité. Cela requiert une conviction forte, car les cycles d’adoption dans les hôpitaux sont longs. Pour nous ce sont des cycles de trois ans. Tous les trois ans, on a l’opportunité de s’engager avec un hôpital dans une transformation. Pour revenir à la cybersécurité, ce n’est pas un sujet alors ? Absolument, et en fait, nous avions anticipé cette problématique dès le départ. Nous avons commencé par le calcul des données génomiques, ce qui, à l’époque, était perçu comme une sorte de boule de cristal. L’idée d’avoir accès à des données génétiques pour prédire l’avenir d’un patient n’est pas réaliste. Nous étions conscients de la sensibilité de l’intimité des données et l'architecture qu’on avait planifié était déjà en ligne avec la RGPD. En 2015, notre plateforme a même été présentée comme un exemple par Jean-Claude Juncker [ndlr, à l'époque président de la Commission européenne], démontrant que l’on peut appliquer les principes de protection des données tout en innovant. Pour moi, la RGPD est un sujet assez simple : c’est respecter l’intimité des données et la décision de l’individu. Le cloud c’est le plus sécurisé, mais question privacy, on peut se demander si les données sont éliminées. Donc en gros, la RGPD dit qu’il y a un sujet de l'étude, dans notre cas le patient ; il y a un contrôleur des données, en France, on parle d'entrepôt de données santé, c'est l'hôpital ; et il y a un hébergeur de données santé, donc un processeur des données qui est Sophia Genetics. Donc nous, en tant que processeur des données, à partir du moment où on exécute le calcul des données sur la base des contrats qu'on a signés avec le contrôleur, on respecte la RGPD. Par contre, les hôpitaux devraient donner leurs données aux patients, ce qu’ils ne font pas aujourd’hui. Cela demeure un enjeu, surtout en ce qui concerne des données aussi sensibles que celles liées à la santé, telles que celles concernant le cancer. Oui, il est tout à fait normal que la protection de ces données soit un enjeu. Toutefois, il est erroné de penser que le cloud est la principale raison pour laquelle certaines personnes refusent de s’y engager ; c’est souvent une excuse. En réalité, il est plus risqué de conserver des données sur un serveur hospitalier, où parfois il y a le nom de l'individu avec les résultats de l’analyse, et que quelqu’un prenne ce serveur.Nous avons tous entendu parler de cyberattaques visant certains établissements, en particulier des hôpitaux. Comment cela est-il possible ? En général, c'est souvent le résultat d'un sous-investissement dans la cybersécurité. Il est essentiel de rester à jour avec les dernières versions des logiciels pour éviter les failles de sécurité. En règle générale, 99,9 % des problèmes peuvent être résolus avec du bon sens. Nous, on a tous les jours des patients qui nous remercient d’utiliser leurs données pour améliorer nos algorithmes, car cela pourrait potentiellement aider d’autres patients à l’avenir. En parlant de RSE, quels sont vos principaux marqueurs sur le sujet ? En tant qu’entreprise côtés au Nasdaq (ndlr, l'un des principaux marchés d'actions américains), nous sommes tenus de déclarer tout ce qui est lié à la durabilité et à l’éthique. Sur le plan écologique, par exemple, le passage au cloud contribue à réduire notre empreinte carbone, parce qu’on élimine beaucoup de plastique. On calcule les données de manière plus pertinente, on permet aux hôpitaux en produisant moins de données et moins d'instruments d’avoir plus de réponses. Ensuite, il y a l’enjeu de la diversité, par l’influence américaine. Moi par exemple, on m’a mis dans la minorité basque. Et ce n’est pas une blague ! Côté parité, nous avons environ 40 à 45% de femmes dans nos équipes. C’est très équilibré.

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