Aérocampus : « une approche par compétences pour répondre aux enjeux de la filière »
A la tête d'Aérocampus : Jean-Marc Rebert (président) et Anne-Catherine Guitard (directrice générale). Crédit : DM
Ingénieur de l’Armement ayant terminé sa carrière général quatre étoiles, Jean-Marc Rebert a été nommé en octobre dernier président d’Aérocampus, qui porte notamment le campus girondin éponyme, installé à Latresne et spécialisé dans la formation initiale et continue aux métiers de l’aéronautique et du spatial. Expert du maintien en condition opérationnelle militaire, ancien de l’équipe en charge du développement du Rafale, ayant dirigé l’AIA, il a accepté cette mission bénévole, pour un mandat de trois ans. Aux cotés de sa directrice générale Anne-Catherine Guitard, il évoque pour Placéco l’avenir d’Aérocampus.
Que représente Aérocampus à ce jour et vers quoi s’oriente-t-il ?
Jean-Marc Rebert : Depuis le début, Aérocampus est géré par une association loi 1901, qui permet d’associer le public et le privé. Aujourd’hui, ce sont 80 salariés, contre une petite vingtaine au début. 300 élèves en formation initiale, les bac pro, BTS et formations complémentaires. Une vingtaine de pour cent de féminin, ce qui, pour ce genre de métier est plutôt un bon chiffre et qui se développe. 4.500 jeunes touchés par an, avec les stages de 3e, Aérocampus Junior, les visites industrielles, les Cordées de la Réussite. Mais aussi 1.800 personnels formés, c’est la formation continue, le gros de l’activité d’Aérocampus ainsi que 150 demandeurs d’emploi convertis dans l’aéro, l’année dernière. Le budget c’est environ 10 millions d’euros, avec 27% de subventions, qui ont vocation à se réduire de plus en plus. Quand on a démarré il y a 15 ans, c’était 70% de subvention.
Anne-Catherine Guitard : En 2022, à la demande du Conseil régional, il a fallu présenter notre nouvelle feuille de route stratégique, recentrée sur les trois grandes missions. Tout d’abord l’attractivité, avec une mission de promotion des métiers pour capter les talents et les convertir. Ensuite l’employabilité, c’est-à-dire former aux métiers, de façon initiale ou continue. Et enfin le rayonnement, à la fois régional mais aussi national voire déjà international. Ce qui passe notamment par l’accueil sur site (ndlr : à Latresne) de séminaires d’entreprises, d’évènements grand public… En 2019, on avait accueilli 85.000 personnes.
Un nouveau plan stratégique
Quelles évolutions ce plan stratégique va-t-il apporter ?
Jean-Marc Rebert : Il y a d’abord le maintien de nos labels et accréditations. Par exemple aujourd’hui on est reconnu par l’Agence européenne de l’aéronautique comme centre de formation, on est capable de sortir des formations labellisées, ce qui relativement rare pour une structure de ce type-là.
Anne-Catherine Guitard : il y a un axe fort avec ce qu’on appelle l’escadrille de partenaires, qui sont des commerciaux, des institutionnels ou encore des technico-pédagogiques, c’est-à-dire qui font la même chose que nous. Avec eux nous reprenons lien et attache pour avoir une assise diversifiée et large et pallier des défaillances d’un ou deux d’entre eux. Et plutôt que d’être dans une démarche de compétitivité, j’ai souhaité qu’on puissance clairement créer des contrats d’alliance stratégiques avec eux. Quand on a des grands donneurs d’ordres qui nous demandent de mettre en œuvre des formations; on sait qu’à deux on peut y répondre plus facilement que tout seul. C’est toujours mieux de pouvoir pouvoir être, à la limite, un capteur de demande quitte après à collaborer. Etre en « coopétition » mais pas en compétition.
Nous devons garantir une offre de formation qui soit diversifiée, parce que dans la formation continue, on fait à peu près 80% de sur-mesure. Demain, on sait que la décarbonation aura des impacts sur le contenu, ce sont des réflexions qu’on met en place. Mais aujourd’hui, le sujet c’est la digitalisation de nos formations. L’année dernière, on l’a fait pour Airbus, tout notre PART 147. La règlementation est en train d’être revue cette année, on va devoir refaire une grande partie. Donc on digitalise, pour pouvoir avoir des formations réglementaires disponibles en ligne. Au niveau de la formation, on est sur une approche par compétences. De sorte, puisqu’on fait du sur-mesure, à pouvoir modulariser des enseignements par blocs de compétences et venir les imbriquer en fonction de la demande du client et non pas réinventer la poudre à chaque fois. Depuis peu, on met à disposition nos plateaux techniques pour les industriels comme par exemple Airbus Helicopters Training Academy, qui forme aussi à l’année sur nos plateaux techniques. Et puis l’idée est aussi de travailler sur la territorialité de notre offre, notre capacité à déployer des formations chez l’industriel, pour éviter de saturer nos espaces. Nos clients industriels, au moins les grands, souhaitent que leurs équipes restent sur place.
Vous le disiez, 20% de vos élèves sont des filles. Comment est-ce qu’on rend ces métiers et ces formations toujours plus attractifs auprès d’elles ?
Jean-Marc Rebert : Déjà leur montrer que l’industrie ce n’est plus le 19e siècle, ce ne sont pas obligatoirement des métiers physiques mais où elles ont toute leur place. Il faut le montrer au travers des stages en 3e, une fois qu’elles sont en terminale c’est trop tard.
Anne-Catherine Guitard : Et on actionne quelques leviers. On est en lien avec l’association Elles Bougent, dans le Rallye des Pépites… pour y placer des jeunes filles. Récemment on a investi dans Forindustrie, une virtualisation de toute l’industrie, notamment aéronautique. C’est en ligne et donc là on arrive à capter des filles. Et on essaye de capitaliser sur les filles qu’on a et qu’elles fassent des témoignages, dans des lycées, dans le nouveau site web il y aura beaucoup de vidéos. On a aussi Aérocampus Junior, on prend les jeunes de 7 à 17 ans et on leur montre que c’est ouvert.
Vous allez avoir une implantation au sein du site Cockpit, bâtiment totem que Technowest implante à Mérignac. Pour y faire quoi ?
Jean-Marc Rebert : déjà toute la partie drone, puisqu’à l’origine Cockpit était là pour accueillir les activités drones de la région bordelaise. Et on en profitera pour y transférer certaines formations qu’on a ici aujourd’hui, pour se rapprocher des industriels qui sont sur le bassin de l’aéroport.
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Aérocampus, ce n’est pas que l’aéronautique mais aussi l’espace. Quel regard portez-vous sur l’écosystème spatial local et sur son potentiel pour vous ?
Jean-Marc Rebert : On est présent dans la formation de gens pour la filière spatiale, puisqu'aujourd'hui on forme des gens pour Ariane Espace. Il y a Telespazio qui est présent sur notre site depuis l’origine quasiment. On a une petite navette pour montrer tous les métiers qu’il y a autour du spatial. On discute aujourd’hui pour aider la Guyane, faire de la formation sur place pour le centre de Kourou.
Anne-Catherine Guitard : D’ailleurs on les a aidé pour monter un bac pro et on leur envoyé par la barge Ariane du matériel, des avions, des aéronefs directement sur place. Et on est inscrit dans ce partenariat pour co-construire des bac +, c’est-à-dire les BTS etc.
Jean-Marc Rebert : c’est une demande forte, aussi bien de la région là-bas que de l’industrie, qui doit avoir des gens formés sur place et ne pas tout faire venir de la métropole.
Aérocampus en tant que marque
Il y a des projets industriels assez ambitieux qui se dessinent dans la région, comme Flying Whales ou Hynaéro. On pense à d’autres sujets que l’aéroport de Bordeaux essaye de faire venir sur son foncier, dans le domaine du spatial. Quel potentiel cela représente pour Aérocampus ?
Jean-Marc Rebert : Ce qu’on essaye c’est d’être capable de faire de la formation à l’emploi pour tout un paquet de choses, c’est le gros axe de développement qu’on a aujourd’hui. il y a un vrai besoin, on a un changement de génération qui n’est pas fini.
Anne-Catherine Guitard : les besoins industriels sont tels qu’on ne pourra pas répondre à tout mais il faut qu’on participe à l’effort global. Par exemple les eVTOL (ndlr : aéronef électrique à décollage et atterrissage vertical) ce n’est pas encore tout à fait mature mais effectivement, tout développement, notamment de spatial et de drones, constitue pour nous des axes de diversification de nos formations. Mais on n’ira pas non plus aux antipodes de ce qu’on sait faire aujourd’hui et aller se dire « demain je vais faire des fusées ». On sait que l’industrie aéronautique demande énormément de ressources et n’en trouve pas assez, donc on essaye de combler ce besoin en ayant, bien sûr une veille sur les métiers du spatial et des drones. Il faut bien suivre l’évolution des métiers dans l’industrie pour caler notre niveau de formation aux vrais besoins de l’industrie. C’est ce qu’apporte la souplesse d’une organisation comme la nôtre par rapport à une structure lourde qui a des programmes.
Et c’est aussi pour ça que vous développez cette approche modulaire ?
Anne-Catherine Guitard : Exactement, c’est l’approche par compétences. Parce qu’aujourd’hui on fait 80% de sur-mesure, demain peut-être qu’on aura un socle existant qui fera 50-60% et il faudra qu’on aille chercher les 40% restants et on devra se doter de nouvelles compétences. Aujourd’hui on a tout ce qu’il faut en termes de compétences et d’expertise mais demain, si on s’oriente vers l’hydrogène-énergie, il faudra qu’on évolue, qu’on revoit nos installations et que tout sera à réfléchir sur ce module.
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Un autre pan de l’activité d’Aérocampus, c’est l’audit et le conseil…
Anne-Catherine Guitard : Ce modèle est unique en Europe, très envié. De nombreuses régions ou départements, voire même pays, viennent nous voir pour nous dire « aidez-nous à faire pareil ou en tout cas à monter des écoles comme la vôtre ». C’est ce que nous avons fait en Inde, on a envoyé quatre formateurs sur place, qui ont monté à partir de zéro des ateliers de drapage, de câblage… Ce sont aussi des régions qui nous sollicitent. C’est ce qui s’est passé avec Aerotech OI, ils sont venus nous chercher en disant « on a un vrai besoin à La Réunion d’avoir des mécanos, notamment pour les hélicos, pour pouvoir se déplacer… ». On leur a dit d’accord et ils voulaient que ça s’appelle Aérocampus. C’est pour ça qu’on a fait une licence de marque avec eux et on les accompagne avec des experts dans chacun des pôles, dans ce qui fait les clés de la réussite de la création d’un campus.
Comment continuer ici à Latresne à toujours mieux valoriser ce site ?
Jean-Marc Rebert : les infrastructures du château sont déjà très fortement utilisées et il n’y a quasiment pas de capacité de construction. Toute la partie parc, on ne peut pas y toucher, en dessous on est sur un terrain carrières, instable et restera en l’état, ça devient très compliqué de rajouter du bâtiment dessus. Aujourd’hui ce qu’il nous faut, surtout si on veut faire de la formation, c’est des locaux industriels, sur la partie basse du site, où beaucoup d’investissements ont déjà été faits mais qui aujourd’hui arrivent à saturation, parce qu’on a eu une forte croissance dans la formation complémentaire, qui a doublé en termes de chiffre d’affaires.
Anne-Catherine Guitard : Il y avait un projet, qui avait été déposé avant le Covid, d'un bâtiment, sur le site en bas, pour venir y loger des salles de classe, des ateliers… Il a été mis en stand-by, le Covid est passé par là. Le site n'appartient pas à Aérocampus, puisque nous le louons à la Région. C'est une des raisons pour lesquelles on modifie un peu notre modèle économique, notre façon de produire, en allant directement chez les industriels, ce qui est aussi une demande de leur part. Mais j'aurais vraiment besoin d'un grand bâtiment, avec plein d'étages, de salles de cours, des établis…