Vélotaf (1/3) : sur la métropole de Bordeaux, la sécurité contrainte par le manque de foncier
Alors que le nombre de vélos augmente sur la métropole bordelaise, la cohabitation entre usagers se fait parfois difficilement. Quelques semaines après qu’un cycliste de 27 ans a été écrasé, à Paris, par un SUV roulant sur un aménagement cyclable, lumière sur une question d’urbanisme fondamentale : comment aménager un territoire déjà dense de façon sécurisée et acceptable pour tous les usagers ? Dossier en trois temps pour explorer ce qui est fait, ici comme ailleurs, ce qui bloque, et se projeter à demain.
Sur les quais, la cohabitation est parfois difficile entre piétons et cyclistes. Crédits : IN
Si le nombre d’aménagements cyclables augmente année après année sur les 28 communes de Bordeaux Métropole, tous ne sont pas sécurisés… et ceux l’étant ne concentrent qu’un tiers des usagers. En cause : des pistes cyclables difficilement aménageables ailleurs que sur la chaussée par endroits, car le foncier dans l’espace public se fait rare.
À Bordeaux, de plus en plus de vélos sillonnent les artères de la ville - et plus largement de la Métropole. Mais où en est-on dans les aménagements urbains ? « Le nombre de cyclistes augmente de 8% par an », répond Isabelle Rami, conseillère métropolitaine chargée des mobilités alternatives et notamment des infrastructures routières. « En 2024 la progression a été un peu moins importante du fait de la météo, mais on voit que lorsqu’on fait de la place aux cyclistes, ils la prennent. » En parallèle, précise-t-elle, le nombre de voitures diminue très légèrement, entre -2 et -3%. La conséquence d’une politique métropolitaine tournée vers le vélo, et d’une feuille de route 2021-2026, consacrant notamment 70 millions d’euros pour construire un Réseau vélo express. Avec un objectif, inscrit plus globalement dans le Schéma des mobilités : porter la part modale du vélo à 18% en 2030, contre 10% aujourd’hui.
Des pistes, oui, mais sécurisées !
Mais revenons quelque temps en arrière. Géovélo, application dédiée aux cyclistes et qui travaille notamment sur le référencement des infrastructures spécifiques, enregistrait il y a trois ans 585 km de pistes sécurisées sur l’ensemble de la métropole. Puis 783 km en 2022, et 812 l’an passé. « Une partie de ces kilomètres existaient déjà, et ont été ajoutés à notre base de données grâce à notre travail de numérisation, nuance avant tout Antoine Laporte-Weywada, directeur marketing de Géovélo. Malgré cela, on est clairement sur une tendance à la hausse, et Bordeaux Métropole fait partie du peloton de tête des métropoles créant de nouveaux aménagements. » À noter également que ces données ne prennent en considération que les voies séparant les vélos des voitures, assurant une meilleure sécurité pour les cyclistes.
Ces pistes cyclables sont justement l’un des deux grands axes de la Métropole sur ses 28 communes. Elles constituent le Reve, Réseau vélo express : un projet de 14 itinéraires s’étalant sur près de 275 km. De quoi relier les territoires en quelques coups de pédale… et en parfaite sécurité. « Il s’agit de pistes isolées, larges de deux ou quatre mètres selon qu'elles sont unilatérales ou à double sens », illustre Isabelle Rami. Qui précise : « Ces itinéraires sont gérables jusqu’aux boulevards entourant Bordeaux. Après, c’est plus compliqué de trouver des bandes disponibles, donc on bascule sur le deuxième axe de notre plan vélo, les contrats de développement. » Des crédits alloués à l’ensemble des collectivités, leur permettant de déployer bandes et pistes cyclables en ayant la totale main sur les chantiers.
La rareté du foncier, le cœur du problème
Mais aujourd’hui, ces aménagements sécurisés sont-ils tous privilégiés par les usagers ? Pas suffisamment, à en croire les données de Géovélo. « C’est un indicateur toujours très intéressant à suivre, reprend Antoine Laporte-Weywada. Et c’est un point sur lequel Bordeaux Métropole peut s’améliorer car selon nos statistiques, seulement 23% des trajets réalisés avec notre application le sont sur des pistes sécurisées. Cela signifie que les trois quarts restants le sont ailleurs - parfois ce n’est pas trop mal, comme des couloirs de bus, mais globalement ce ne sont pas des aménagements sur lesquels on est à l’aise avec un enfant en bas âge. » Si ce taux est en progression (19,5% en septembre 2022), il reste moins élevé que celui d’autres métropoles françaises : 30% à Nantes, ou encore 27% à Paris. « C’est bon signe, cela signifie que les nouveaux aménagements répondent en partie aux besoins, commente Antoine Laporte-Weywada. Et puis, il y a des villes qui frôlent les 10 à 15% seulement, notamment dans le Sud-Est. »
Le problème, Isabelle Rami le sait bien, concerne la disponibilité du foncier dans l’espace public. « C’est le nerf de la guerre », lâche-t-elle en prenant un exemple concret : l’itinéraire du Reve 11 qui s’étirera sur une vingtaine de kilomètres et empruntera notamment la rue Judaïque, l’avenue d’Arès et la rue Georges-Bonnac. Avec quelques contraintes : « Il faut arriver à placer les voitures, les bus, les vélos, les marcheurs, la végétalisation, le stationnement pour tous, les aires de livraison, les bornes à déchets, énumère Isabelle Rami. Et pour cela, il faut discuter, se concerter et s’adapter ! Les gens doivent pouvoir avoir le choix de leur mode de déplacement. » Cela signifierait-il, à terme, supprimer des places de stationnement pour voitures, comme à Strasbourg ? « C’est un choix politique à faire. Mais il est vrai que l’automobile utilise aujourd’hui 90% de l’espace public… Il serait tout à fait envisageable de repenser les plans de voirie sur des axes assez circulants en voiture, mais il faut le faire intelligemment », esquisse-t-elle, sans fermer aucune porte.
À découvrir demain : Vélotaf (2/3) - « Reprendre des voies aux automobilistes » pour aménager ses pistes cyclables, l'exemple de Strasbourg