« On est souvent un frein au développement de sa propre entreprise »
Guillaume Fitte, président du CJD Aquitaine depuis le début de l'année. Crédits : G. F.
Début octobre, à Bordeaux Lac. Plusieurs dizaines de chefs d’entreprise, membres du Centre des jeunes dirigeants (CJD) d’Aquitaine sont réunis. Certains font des exercices d’improvisation, d’autres exposent les risques futurs pour leur activité. Objectif : avancer sur le plan technique, mais aussi travailler sur des notions de développement personnel. Une approche qu’explique Guillaume Fitte, président du CJD Aquitaine et dirigeant de l’entreprise Pylot Consulting.
Quelle est aujourd’hui la principale difficulté des chefs d’entreprise, d’après vous ?
La première, c’est encore et toujours la solitude du dirigeant. On ne peut pas forcément s’appuyer sur des équipes qui n’ont pas certains leviers pour attaquer de nouveaux marchés, prendre des risques… C’est d’ailleurs pour ça qu’on organise des moments de formation, car nous devons nous remettre en question en permanence, en tant que dirigeants. Je m’en rends encore plus compte depuis que je suis élu au CJD : nous sommes dans un apprentissage permanent.
Avez-vous un exemple de cet apprentissage ?
Par exemple, il y a quelques années, j’avais une problématique de mésentente entre deux opérateurs. Je me souviens d’une plénière organisée sur l’intelligence collective, j’y suis allé en me disant que je connaissais déjà, que ça ne serait pas intéressant… L’intervenant nous a demandé de réfléchir collectivement à une problématique, je me suis dit que j’allais tester, avec mes équipes. Le lendemain elles ont trouvé une solution, et les opérateurs, comme leurs collègues étaient là à témoin, ont trouvé un compromis pour avancer.
Un changement de posture du dirigeant
Ce « pas de côté » peut sembler loin de certaines préoccupations de trésorerie, liées à la conjoncture économique…
Quand on arrive au CJD, c’est souvent pour des problèmes « techniques ». Une entreprise pas assez rentable, des difficultés de trésorerie, pour gérer les ressources humaines… Et on se rend compte, généralement, que la cause du problème c’est soi-même. Qu’on est souvent un frein au développement de sa propre entreprise. C’est tout un travail de formation, de développement personnel à effectuer avant de revenir aux sujets techniques. Ça demande une remise en cause et surtout de l’humilité. Et ce n’est pas possible pour tout le monde !
Voyez-vous évoluer, surtout ces dernières années, le métier de chef d’entreprise ?
Oui, il y a un changement de posture, c’est certain. À plusieurs niveaux, car déjà en tant qu’humain, on évolue nous-mêmes. Mais aussi, en tant qu’entreprise faisant partie d’une société dont les enjeux - environnementaux, sociaux, sociétaux, économiques - évoluent en permanence. Peut-être même plus rapidement qu’avant. Et puis, les rapports de force s’inversent aujourd’hui ! Les salariés ont plus de choix, de possibilités de claquer la porte et partir. Cela force les dirigeants à se dire « je dois revoir ma manière de gérer, de motiver mes équipes, de communiquer également ». Pour que nos salariés ne restent pas uniquement pour l’argent, qu’ils trouvent du sens à venir travailler.
C’est ce que l’on appelle désormais la RTE, responsabilité territoriale des entreprises…
Absolument. Au-delà de créer un environnement de travail qui permet aux gens de pouvoir évoluer et être performants, c’est réfléchir à la manière d'intégrer un écosystème - une ville, une agglomération, une région, un pays -, comment travailler intelligemment et idéalement en circuit court. En résumé, comment je m’adapte, en tant que chef d’entreprise, au changement climatique, à l’épuisement des ressources… Le plus intéressant, c’est que cette vision, ces valeurs remontent à 1938 lorsque Jean Mersch a fondé le CJD. Lui et d’autres dirigeants avaient vécu les grandes grèves de 1936, il y avait des tensions avec les salariés, la proximité de la guerre… Ensemble ils se sont dit que s’ils ne se rendaient pas plus désirables en interne, et qu’ils ne rayonnaient pas sur leur territoire, sur le plan sociétal, ils allaient au-devant de problèmes.