Loïc Rubio : « Il y aura un gros boom des véhicules électriques dans cinq ou six ans » - Premium

Comment définiriez-vous votre activité ? Nous sommes une casse automobile, mais c’est un mot qu’on essaie de gommer petit à petit, pour parler plutôt de « centre de traitement de véhicules hors d’usage ». Notre entreprise existe depuis la fin des années 1970, elle a été créée par mon grand-père, puis reprise par mon oncle et aujourd’hui par moi. Jusqu’en 2018, nous étions une vingtaine d’employés, avec un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros, et nous rentrions entre 2.500 et 3.000 véhicules par an. En 2018, nous avons racheté une entreprise d’environ la même taille et déplacé notre site principal sur la zone Induspal de Lons, pour atteindre une capacité de 10.000 véhicules par an, puis en 2021 et 2022, nous avons repris un autre confrère, cette fois-ci à Bordeaux. Nous avons gardé leur site commercial mais les véhicules sont traités ici également. Sur le site d’Induspal, nous rentrons aujourd’hui entre 7.000 et 8.000 véhicules par an : on les stocke, et on les démonte pour les valoriser en matière et en pièces de réemploi. En fait, on fait de l’économie circulaire depuis toujours, même si on n’appelait pas ça comme cela dans les années 1970 !Le fait de le désigner sous ce nom signifie-t-il que votre métier évolue, ou au moins, veut changer d’image ? Il y a quelques années, on vivait encore un peu cachés, on faisait le travail sans le faire savoir. Mais c’est grâce à des centres comme le nôtre qu’il n’y a pas de véhicules qui traînent dans la rue. Depuis une dizaine d’années, il y a une prise de conscience sur l’environnement, qui met en avant les métiers du recyclage. C’est un travail de longue haleine, un changement de mentalité qui doit s’opérer chez le client.Le réemploi, tiré par l'essor de l'économie circulaireEst-ce que ce changement se produit, aujourd’hui ? Aujourd’hui, nous avons deux types de clients : les particuliers et les professionnels. Les professionnels sont principalement des garages, qui réparent des véhicules, ont besoin de pièces détachées, et utilisent de plus en plus de pièces de réemploi.Pourquoi cette tendance ? Parce qu’en 2019, un arrêté a imposé aux réparateurs de proposer quand c’est possible aux clients une alternative en pièces de réemploi. Ça ne s’est pas senti tout de suite, faute de décret d’application. Mais peu à peu, les grands donneurs d’ordres ont commencé à imposer à leurs garages attitrés un taux de pièces de réemploi. En fait, la loi a poussé à une prise de conscience, et toute la filière est en train de changer de mentalité : il y a aujourd’hui des assureurs qui commencent à proposer des pièces de réemploi, elles sont autant garanties qu’une pièce neuve, et elles ont toutes une traçabilité.Qu’en est-il des clients particuliers ? Les particuliers sont à la fois ceux qui nous fournissent les véhicules, et parfois aussi des clients pour des pièces de réemploi. Mais le profil de nos clients particuliers a beaucoup évolué : il y a 10-15 ans le particulier était très bricoleur et pouvait changer un alternateur tout seul… Aujourd'hui, on vend surtout des pièces qui n’ont pas de technicité, comme par exemple des pare-soleil.À lire également - Comment le groupe Luciat s'est résolu à abandonner son activité historique Aujourd’hui, quel est votre modèle économique ? Nous avons deux types d’entrées : les véhicules dont la réparation est supérieure à la valeur, qui nous viennent des compagnies d’assurance et nous sont vendus à un pourcentage de leur valeur de marché. Ensuite, tout ce qui est véhicules hors d’usage issus des concessions, qui sont destinés à la destruction. Enfin, il y a tous les véhicules dont les particuliers veulent se débarrasser. On peut décider, pour certains véhicules, de les reconditionner, les réparer avec des pièces de réemploi, pour les revendre en tant que véhicules d’occasion. Sinon, on les destine au démontage. Pour ce cas-là, nous avons créé un système informatique qui permet de définir les pièces dont nous avons besoin sur un véhicule donné, en fonction des demandes et des ventes, pour savoir quelles pièces sont valorisables. Le restant, c’est ce que l’on appelle de la valorisation matière : on récupère les matériaux, avec l’objectif que la carcasse du véhicule soit, à la fin, le plus à nu possible. C’est un objectif à la fois économique et réglementaire, il y a des taux de valorisation à atteindre. Toutes les pièces que nous récupérons sont démontées, contrôlées, et stockées, puis nous les vendons via différents canaux : dans nos magasins, nos garages, mais aussi sur internet via des marketplaces tierces.Préparer l'arrivée de l'électrique Comment voyez-vous l’évolution future de votre métier ? Aujourd’hui, le grand enjeu, c’est de nous adapter aux évolutions futures du marché avec l’intégration du traitement des véhicules électriques.Est-ce fondamentalement différemment du traitement d'un véhicule thermique ?La seule différence c’est le traitement de la batterie. Mais c’est une différence de taille. Il faut s’adapter au traitement de cette batterie : cela représente des équipements supplémentaires, des formations aux risques de chocs électriques, aux risques d’incendie… Pour l’instant, la filière de traitement des batteries est en cours de constitution et nous voulons être moteurs dans la construction de cette filière. Nous pensons qu’il y aura plusieurs façons de valoriser ces batteries.Lesquelles envisagez-vous ?La première, ça sera de les revendre en tant que pièces de réemploi, avec tout ce que cela implique en matière de contrôle, de qualité de stockage… La deuxième solution, c’est l’idée que les batteries peuvent avoir une seconde vie, par exemple dans des conteneurs de stockage pour l’industrie. Le troisième débouché, c’est la valorisation matière : extraire la batterie du véhicule, l’ouvrir, récupérer chacun des modules, les tester individuellement, et envoyer au recyclage ceux qui ne sont pas réutilisables. Le mois dernier, nous avons formé nos équipes à l’ouverture et au démantèlement des batteries. Si tout se passe bien, en début d’année, nous pourrons commencer à envoyer des modules dans une usine pilote de recyclage de batteries située en Haute-Vienne.À lire également - Accord entre Stellantis et Carester pour la production de terres rares à Lacq Toutes ces transformations doivent représenter un investissement assez conséquent…Aujourd’hui, nous investissons au fur et à mesure que la filière se construit, c’est difficile de dire combien cela va représenter au total. Nous sommes en train de créer un atelier pour extraire les batteries des véhicules et les démanteler. Nous avons créé des zones de stockage dédiées pour les véhicules électriques, protégées par des blocs de béton anti-feu. On va aussi recevoir dans quelques semaines une « piscine », c’est une benne remplie d’eau pour immerger un véhicule électrique qui prendrait feu… ce sont beaucoup d’investissements dans la sécurité, avec un îlot séparé pour les véhicules dits « à risque », quand leur batterie a été choquée.Ces investissements sont-ils un pari que fait votre entreprise, ou un virage pris par tout le secteur ? Ce que je pense, c’est que ceux qui ne le font pas vont avoir un problème pour continuer d’exercer dans quelques années. Qu’on le veuille ou non, nos politiques ont décidé que notre parc serait électrifié, et il faudra bien le traiter. Mais ça implique de l’investissement pour un espace dédié. Après, la question c’est « jusqu’où va-t-on dans le traitement de la batterie ? » Nous, nous voulons aller jusqu’au démantèlement du module, et nous avons la chance d'avoir un écosystème adapté en Nouvelle-Aquitaine.Vous disiez traiter aujourd’hui entre 7.000 et 8.000 véhicules par an. Quelle est la proportion de véhicules électriques parmi eux ? Pas plus de 2 ou 3%. Aujourd’hui, en France, l’âge moyen d’un véhicule traité, c’est 19 ans et 7 mois. Les véhicules électriques sont souvent plus récents que cela, mais ils vont commencer à arriver, ce n’est qu’une question de temps. Je pense qu’on va vraiment avoir un gros boom des véhicules électriques dans 5-6 ans. Sans compter qu’il y a aussi les hybrides, avec un volume plus important que les tout-électriques dans les années à venir, mais les mêmes problématiques.

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