Laurent Marti, président de l'UBB : « J'ai failli abandonner »
Laurent Marti, président de l'Union Bordeaux Bègles, a rencontré les adhérents de Placéco à Bordeaux. Crédit : D.M.
Le président de l'Union Bordeaux Bègles était l'invité de Placéco lors du Live de mercredi soir. Il a expliqué, sans langue de bois, comment concilier les finances d'un club de rugby professionnel, 2e club du Top 14, avec ses valeurs mais aussi les pertes et les bénéfices.
Laurent Marti est président de l'Union Bordeaux-Bègles depuis 2007. Ce mercredi, au Toit qui bouge à la Cité mondiale, il répondait aux questions de la rédaction de Placéco et à celles du public, une cinquantaine d'adhérents. Extraits.
L'UBB a budget de 34 millions d'euros, ce qui est dans la médiane du top 14. Sur quels piliers repose le budget d'un club de rugby professionnel ?
La partie du budget la plus importante, c'est le sponsoring, qui représente 15 à 16 millions, ça va du sponsor maillot jusqu'à tout ce qui relève du réceptif. Ensuite, les recettes guichets représentent 8 millions d'euros, ça comprend les abonnements grand public et les recettes des jours de match. Ce chiffre a bien progressé depuis deux ans. Les aides de la Ligue nationale de rugby s'élèvent à 6 millions d'euros. Les buvettes pèsent lourd : 2 millions d'euros. Et le merchandising rapporte à peu près 2 millions d'euros, ensuite on compte sur les subventions.
Aujourd'hui, où en est l'équilibre de l'UBB ? Comment passe-t-on d'un club qui connaît des pertes à des exercices bénéficiaires ?
Très vite. C'est là où le sport professionnel n'est pas comme le monde de l'entreprise parce qu'il est lié aux résultats sportifs. Je suis président depuis la saison 2007-2008 et j'ai eu beaucoup plus d'exercices déficitaires que bénéficiaires. La première année de la montée, nous avons eu un exercice bénéficiaire parce que, d'un coup, il y avait un engouement nouveau, on montait en top 14. Après, on a eu des passages difficiles, très difficiles même. En 2018-19, si ma mémoire est bonne, nous avions un budget prévisionnel d'une perte de 2,5 millions d'euros, qui avait fini à 1,8 million, donc c'est lourd. Puis le Covid est arrivé, on a été très inquiet. Après la crise, les résultats sportifs se sont améliorés. Depuis, cela fait trois exercices que nous sommes bénéficiaires.
Une cinquantaine d'adhérents de Placéco ont pu participer à l'interview de Laurent Marti. Crédit : L.G.
L'UBB a commencé à drainer des supporters mais aussi des partenaires. Combien sont-ils ?
Nous comptons 750 entreprises avec l'UBB Business Club dont 100 entreprises nouvelles, des grandes, des petites, des PME… Ce qu'elles veulent, c'est la visibilité médiatique, des places dans les stade et faire partie d'une aventure. Parfois nous nous demandons comment on peut attirer 32.215 personnes tous les les samedis au match ! Au-delà du résultat sportif, la manière dont on joue, l'émotion que l'on procure aux gens, c'est primordial. Je pense que les gens aiment cette équipe parce qu'ils sentent qu'elle est constituée de jeunes joueurs plutôt sains, qui pratiquent un rugby offensif. On sent que ce n'est pas un club qui a été bâti à coup de millions. On n'est pas sur l'histoire d'un milliardaire qui est arrivé qui a tout acheté. On voit cette construction progressive qui a une âme.
Les gens viennent passer un bon moment, mais en même temps, ils ont compris qu'être dans les salons réceptifs ou lors des événements permet de rencontrer des gens dans des conditions favorables. Ils passent un bon moment, se rapprochent et cela favorise les liens qui favorisent les affaires.
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Vous êtes un amoureux du rugby depuis l'enfance. Comment conciliez-vous votre amour du rugby à l'ancienne avec les impératifs financiers et les attentes de la performance actuelle ?
C'est un peu schizophrène ! Cela n'a pas été évident pour moi au début. J'ai même commis des erreurs parce qu'il y a des choses que je ne voulais pas trop payer. Je négociais certainement trop à la baisse la rémunération des joueurs, je voulais les faire venir pour moins cher qu'ailleurs et je voulais qu'ils adhèrent au projet du club avant tout. Cela m'a fait perdre un petit peu de temps. Par exemple, je voulais Matthew Clarkin mais je lui ai proposé un salaire trop bas. Plus tard, il m'en a parlé et j'ai compris que je devais m'adapter.
Laurent Marti, interviewé par la rédaction de Placéco à la Cité mondiale, à Bordeaux. Crédit : D.M.
En arrivant à Bordeaux, saviez-vous ce qui vous attendait ?
Je ne mesurais pas ce que je faisais, en fait. Je ne m'en rendais pas compte. Très vite, j'ai compris que c'était un drôle de challenge, risqué. La troisième année, j'ai failli abandonner. (Silence)
Qu'est-ce qui vous a retenu ?
Un coup de fil d'Alain Rousset. Je venais d'envoyer un mail à mes proches collaborateurs pour les informer que j'avais pris ma décision d'arrêter. Les journalistes m'attendaient. Suite à cet appel au cours duquel Alain Rousset m'a demandé de ne pas partir - pourtant le sport, franchement, ce n'est pas forcément sa tasse de thé ! - je me suis dit que si un président de Région me demande de rester, c'est que mon rôle importe et donc je dois continuer. La Chambre de commerce et d'industrie de Bordeaux m'a soutenu aussi. Ces deux aides ont beaucoup compté pour moi.
Pensez-vous que l'UBB profite de la moindre santé du club de foot des Girondins de Bordeaux ?
Certainement un petit peu, mais c'est infime. Il y a la place pour les deux. Le public du foot n'est pas forcément celui du rugby. Le supporter du rugby se déplace maximum sur 150 km autour de Bordeaux. Pour le foot, quand les Girondins de Bordeaux marchent bien, c'est de toute la Nouvelle-Aquitaine qu'il se déplace. On partage peut-être les partenaires, mais il faut savoir que le foot vit surtout des droits télévisés, pas trop du partenariat local. Le foot n'a jamais trop développé le partenariat local comme on peut le faire. Donc si les deux sports tournent bien, vous pouvez imaginer que les partenaires choisissent entre les deux sports, certains divisent leurs budgets en donnant un peu à chacun. Mais l'impact ne pèse pas lourd pour le foot. Pour le rugby, le poids des partenaires pèse un peu plus, mais ce n'est pas cela qui met un projet en l'air. J'ai connu une UBB qui se portait bien quand les Girondins se portaient bien. Et je préférerais que les deux se portent bien.
Au-delà des résultats sportifs, quel héritage aimeriez-vous laisser à l'UBB et à ses supporters une fois que vous aurez quitté la présidence ?
Il y en a un qui est gagné et l'autre qui n'est toujours pas gagné. Celui qui est gagné, je pense qu'on on peut en être fier tous ensemble, c'est le succès populaire du club. Ces émotions partagées, je pense qu'elles resteront très longtemps. Cette saison, ce sont 32.215 personnes au stade, on était à 28.000 de moyenne sur les dernières années. On dit que nous sommes le public le plus nombreux d'Europe. Mais si ça s'arrête là, personnellement, je le vivrais comme un échec, c'est-à-dire si on n'a pas un titre… Gagner le titre, voilà, je serais fier de l'héritage que je laisse.