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Entretien : comment Libourne et la Cali veulent faire émerger de nouvelles filières économiques

Écosystème
lundi 01 mars 2021

Philippe Buisson, maire de Libourne et président de la Cali - photo mairie de Libourne

Grands projets touristiques, développement de l'aérodrome, marketing territorial, relation avec Bordeaux et la métropole... Quel avenir pour le développement économique du Libournais? Philippe Buisson, maire de Libourne et président de la communauté d'agglomération du Libournais (Cali), répond aux questions de Placéco et adresse quelques messages au maire de Bordeaux Pierre Hurmic.

Grand complexe oenotouristique, centre aquatique, vague de surf artificielle... les projets d’envergure ne manquent pas à Libourne. Après la décennie bordelaise, peut-on parler de la décennie libournaise ?
J’espère ! C’était l’autre belle endormie de la Gironde. Libourne est à la fois une ville-centre, au cœur d’un bassin de vie de plus de 200.000 habitants puisqu’elle se situe à la confluence des deux vallées de l’Isle et de la Dordogne, mais aussi une ville péri métropolitaine, ce qui est extrêmement rare. C’est une grande chance de Libourne que de pouvoir se nourrir de son identité - ville bastide, portuaire, viticole, ville du Père Noël - tout en surfant sur la dynamique qu’a acquise la métropole bordelaise ces dernières années. Cette double fonction, que j’ai assumée et amplifiée, est clairement un atout en matière de développement économique. Venir développer de l’économie à Libourne, c’est finalement la même chose que le faire sur la Métropole, mais avec un cadre de vie en plus et un foncier nettement moins cher. Ce sont ces éléments qui font que Libourne semble, depuis quelques mois, redresser à la fois son image et son attractivité. J’avais promis lors du précédent mandat un électrochoc, il a eu lieu, sur la base d’un projet urbain qui a donné envie à des investisseurs de venir s’implanter ici. C’est le cas de Michel Ohayon, de Laurent Hequily, ou de Marc Prikazsky, qui a choisi de rester à Libourne et d’y asseoir l’implantation de Ceva Santé Animal pour contribuer au renouveau de la ville.

Il y a le vin, très identifié bien sûr, et les grands projets liés au tourisme ou aux loisirs. Quelles sont selon vous les autres grandes filières d’avenir du Libournais ?
Dans le Libournais, tout va mieux, mais tout ne va pas bien. Vous savez qu’on a dans la région cette « banane de la pauvreté » qui débute dans le Médoc, traverse le Blayais, le Nord-Libournais, Castillon, la Dordogne et le Lot-et-Garonne. C’est un phénomène qu’on retrouve dans tous les territoires de monoculture, comme la viticulture où il y a moins besoin de personnels qu’avant. Le Libournais a une économie essentiellement dépendante de la vigne. L’ambition que je porte est de développer une logique de filière économique nouvelle sur ce territoire, indépendante de la filière viticole pour éviter l’effondrement social qui intervient en cas de crise, liée à l’économie ou au climat. Avec le muscle de la Cali, l’idée est de réfléchir à la création de clusters propices au développement d’autres filières.

Il y a Ceva, qui reste un acteur central susceptible d’essaimer comme l’a déjà montré l’exemple de Fermentalg, et puis il y a ce qu’on peut faire avec la Métropole et d’autres en s’appuyant sur les outils structurels du Libournais pour apporter des solutions à des problématiques de développement économique. Je souhaite par exemple qu’on puisse créer à l’aérodrome des Artigues-de-Lussac, aujourd’hui propriété de la CCI, une zone économique dédiée à des acteurs de l’aéronautique, avec comme première perspective l’implantation d’une filière drone.

On a également à Coutras, sur le site initialement dédié au Village des Marques, projet que je n’ai objectivement pas aidé, et sur le foncier qui l’entoure, une zone d’activités de plusieurs dizaines d’hectares prêts à l’emploi qui devraient nous permettre de candidater sur de grands projets nationaux d’implantation d’entreprises. C’est un dossier sur lequel travaillent nos équipes et ça peut être une chance, en excluant a priori la logistique, de redonner un totem économique à ce territoire qui a perdu son industrialisation au cours des deux derniers siècles. Enfin, il y a bien sûr tout le travail de consolidation de la filière vin et de l’identité viticole, qui s’incarne demain avec l’inauguration d’un nouvel incubateur à Libourne.

Pourquoi la Cali monte-t-elle ce projet d’incubateur Foodtech et Winetech avec Bordeaux Technowest ?
L’une des grandes réussites du mandat précédent est d’avoir enfin réussi à nouer des liens entre le Libournais et la Métropole. Alain Juppé avait bien compris l’intérêt de construire une Métropole qui irrigue plutôt qu’elle n’assèche, et Alain Anziani a confirmé cette volonté, il l’a même élargie à l’ensemble du territoire girondin. Il y avait plusieurs thématiques de collaboration entre nos territoires, les mobilités, le tourisme, le logement, et l’économie, avec notamment la création d’une zone d’activités à Vayres, qui se ferait en entente économique. Nous avions aussi la volonté de démontrer qu’il était possible de créer une activité de R&D à Libourne ou sur le territoire de la Cali, en profitant de l’outil métropolitain qu’est Bordeaux Technowest. J’ai donc demandé à Alain Anziani, qui présidait alors Bordeaux Technowest, qu’une huitième antenne se créée à Libourne. Ca n’existait pas sur le territoire, j’espère que ça va démontrer la pertinence de faire de l’innovation même à quelques encablures des grands labos de recherche de Pessac ou de Talence.

Concernant l’aérodrome et la valorisation du foncier associé, où en est le projet de création d’une société d’économie mixte (SEM) réunissant la Cali, la Communauté de communes du Grand Saint-Émilionnais et la CCI ?
L’une des ambitions du projet était de capter une partie du tourisme d’affaires pour délester l’aéroport de Mérignac. Depuis un an, la question se pose moins, forcément. Nous avons donc redemandé une étude sur le projet pour juger de l’opportunité du rachat de l’aérodrome à la CCI et déterminer à quel prix, au regard des perspectives possibles, mais aussi déterminer ce qu’il serait possible de faire naître comme activités autour de l’aérodrome en matière d’aéronautique. Le projet a donc pris du retard en raison de la crise, mais nous devrions y voir plus clair d’ici quelques semaines.

Le marketing territorial permet d’attirer les touristes mais aussi les entreprises et les investisseurs. Quelle est votre cible en la matière ?
Faire venir des entreprises et faire venir des habitants ! On a une faiblesse sur ce terrain, c’est que l’acronyme Cali ne veut rien dire. La Cali est un nom diplomatique pour ne pas dire Grand Libourne, mais peut-être serait-il temps d’y passer ? La CUB ne s’appelle plus la CUB… Il a fallu faire naître une agglomération, un territoire, nous sommes encore au milieu du chemin, mais j’ai beaucoup investi le champ du marketing territorial pour montrer qu’il pouvait se passer quelque chose sur cette rive droite. L’ambition c’est donc le touriste, l’entreprise, le commerce et l’habitant.

A l’instar du Bassin d’Arcachon, vous êtes donc partisan d’un marketing territorial actif, au service du développement économique. Que vous inspirent les distances prises par Pierre Hurmic avec cette question de l’attractivité à Bordeaux ?
J’avais à plusieurs reprises invité Pierre Hurmic, que je connais depuis longtemps, à dialoguer, d’abord pendant sa campagne, puis depuis qu’il est maire, mais ça ne s’est pas fait jusqu’ici. Je pense que le maire de Bordeaux doit comprendre que sa responsabilité dépasse les frontières de la ville, puisqu’on peut très bien travailler à Bordeaux ou dans la métropole et choisir de vivre dans les communes alentours. Les politiques publiques de la ville doivent donc s’adresser à son électorat, mais aussi à tous ceux qui « consomment » Bordeaux, que ce soit pour le travail, la santé ou les études. La ville « inclusive » comprend aussi le fait d’inclure les non-bordelais qui doivent se rendre à Bordeaux, sauf à créer les conditions d’une fracture territoriale. Je ne prends pas l'exemple de Libourne, puisqu'on a le TER avec une desserte de cinquante trains par jour, mais Bordeaux à Vélo ne peut pas intéresser un blayais ou un habitant de Créon !

Ca n’est pas tant ce que produit l’ambition politique du maire de Bordeaux qui m’inquiète que l’absence de confrontation avec le point de vue des territoires qui l’entourent. J’entretiens ce dialogue avec le président de la Métropole, mais je n’oublie pas que le maire de Bordeaux porte une responsabilité singulière au sein de cet ensemble. Je ne remets pas en cause ses choix politiques, mais la gestion de l’attractivité ne doit donc pas se faire au détriment du reste du territoire et surtout pas sans dialogue. J’ai eu la chance d’accompagner Alain Juppé sur les grands salons de type Mipim (professionnels de l’immobilier) ou Mapic (immobilier commercial). Quand vous prenez la parole face à des chefs d’entreprise qui vont aussi écouter ce qui se passe ailleurs, à Paris, à Toulouse ou dans d’autres grandes métropoles, il faut que vous puissiez les rassurer sur vos intentions et la dynamique que vous souhaitez impulser.

La Cali est membre d’Invest in Bordeaux, dont l’avenir a pu sembler menacé, souhaitez-vous voir cet outil perdurer ?
Invest in Bordeaux est un vrai partenaire pour nous. Alain Rousset a eu raison de taper du poing sur la table pour dire que cet outil devait perdurer, et il perdurera au moins autant qu’Alain Rousset. 

Vous impliquerez-vous dans la campagne des régionales à ses côtés ?
Je m’y impliquerai autant qu’il aura besoin de moi, d’autant que Laurence Rouède, ma première adjointe, est sa directrice de campagne. il n’y pas meilleur candidat aujourd’hui à gauche qu’Alain Rousset, qui incarne pleinement le fait régional. Je le soutiens donc et j’espère que la division du premier tour à gauche ne va pas nous emmener vers des lendemains difficiles. En bon mitterrandiste, je crois beaucoup à l’union, et je pense qu’Alain Rousset peut porter de grands projets et faire converger des sensibilités d’horizons très divers.