« En France, la fiscalité de l’innovation ne vit pas avec son temps » (Matthieu Bacquin) - Premium

Comment peut-on l’impact des aides fiscales sur l’innovation et l’investissement ?Au-delà du fait que le feuilleton de cette Loi de Finances 2025 a été beaucoup trop long, il faut savoir que quand on met un euro d’argent public dans une PME, elle réinvestit 1,4 euro, contre 70 centimes pour le même euro d’aide versé à une grande entreprise. Il y a un effet de levier à peu près deux fois supérieur pour une PME. Le Crédit d’impôt Recherche (CIR) et le Crédit d’impôt Innovation (CII) sont des dispositifs dont l’efficacité a été démontrée par des rapports d’évaluation de la Cour des Comptes, de France Stratégie, l’OCDE, qui disent tous la même chose depuis 10 ans. Il y a un effet de levier plus fort quand ces aides sont accordées à des PME. L’argent public est plutôt là pour être adressé à des entreprises qui en ont le plus besoin. Est-ce que nos impôts ont vocation à subventionner des entreprises qui font des superprofits ?Quel cheminement a suivi de volet des aides à l’innovation dans l’élaboration du budget 2025 ?Sur le volet fiscalité de l’innovation, on est un peu passé par tous les états. Avec le projet Barnier, c’était une disparition pure et simple du Crédit d’impôt Innovation, une aide vraiment destinée aux PME efficaces. L’année dernière, le CII pesait à peu près 350 millions d’euros. C’est une somme mais dans le budget de l’Etat, c’est une ultra niche. Et de l’autre côté, on ne touchait pas au Crédit d’impôt Recherche, qui pèse plus de 7 milliards dans le budget et qui est perçu à plus de 50% par les grandes entreprises et les ETI. Après la première version du budget, il y a eu beaucoup d’échanges parlementaires et, dans les amendements déposés, il y avait une forme de consensus vers la sauvegarde du CII. Le gouvernement est tombé et le budget travaillé par l’équipe Bayrou, sur le financement de l’innovation, est reparti assez largement de la dernière copie. Finalement, ouf de soulagement, le CII a été sauvé et renouvelé pour trois ans, mais il y a laissé des plumes. Son taux et son plafond ont été réduits de 33%. Ce qui est phénoménal.Financer l’économie de la connaissanceQuelles conséquences pour les PME et startups ?Quand on est une PME de 250 personnes qui investit massivement en innovation, qui touchait 120.000 euros d’aides et voit ça ramené à 80.000 euros, c’est assez ridicule. Le CIR a un taux de 30% jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses. Il y a des grandes entreprises en France qui touchent 30 millions d’euros de Crédit d’impôts Recherche dans l’année. Et au-delà des 100 millions d’euros de dépenses, il y a encore un reliquat d’aide CIR, à 5%. Et ça n’est pas une nouveauté, ça existait déjà et c’est maintenu. Dans les derniers échanges en commission mixte paritaire, il a été proposé de supprimer ces 5% d’aides au-delà de 100 millions de dépenses, mais ça a été rejeté. À coté de ça, il y a eu des coups de rabots choquants, par exemple la suppression du dispositif « Jeune Docteur », qui ne coûtait pas très cher à l’Etat. C’est contradictoire avec les priorités de l’OCDE, de toutes les économies développées, qui savent que dans les pays comme les nôtres avec un fort coût de main d’œuvre, il faut aller vers l’économie de la connaissance et les technologies très avancées. Et un des facteurs qui favorise ça, c’est de décloisonner le monde de la recherche et celui de l’entreprise.À lire également : En Nouvelle-Aquitaine, la filière santé et innovation se structure pas à pasQuelle balance entre le gain dans le budget de l’Etat et les conséquences sur l’innovation ?En fait, c’est peu d’économies et beaucoup de conséquences négatives sur l’innovation en général. Le dispositif « Jeune Docteur » qui disparaît, ça pénalise l’employabilité dans le privé des titulaires d’une thèse de doctorat. Le montant global des aides CIR et CII, on se rapprochait des 7,5 milliards d’euros. Les économies avec le budget 2025 vont être environ de 400 millions d’euros, donc au global à peu près 5% d’économies. Mais ça ne va pas du tout dans le sens des priorités d’un pays développé, qui doit investir sur les startups, les PME, sur les passerelles entre les universités et les entreprises…L'exemple de l'éco-conditionnalitéQuid des grands enjeux de transitions environnementales, énergétiques…?Il y a un vrai décalage, la fiscalité d’innovation en France ne vit pas avec son temps, contrairement aux subventions. Et il n’y a rien, absolument aucune réforme de la fiscalité d’innovation, pour prendre en compte et adresser le grand défi de la préservation de la nature et de l’humanité, pour nous et nos descendants. Quand on regarde les aides directes de Bpifrance, de l’Ademe, du Conseil régional ou autres… tous les grands guichets qui accordent des subventions publiques ont deux caractéristiques en 2025. La première, c’est qu’ils ont un taux d’intervention qui sont différenciés selon la taille de l’entreprise. C’est 45% quand vous êtes une TPE/PME, c’est plutôt 15% pour une grande entreprise, ce qui est cohérent avec les effets de levier que j’évoquais tout à l’heure. Et deuxièmement, aujourd’hui, quasiment tous les guichets évaluent la dimension impact d’un projet de recherche et d’innovation. Avec des conséquences si le projet a un impact néfaste sur l’environnement. On le voit par exemple avec l’éco-conditionnalité des aides du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. On voit ce souci sur les aides directes, mais il n’y a rien de ce genre cette année sur le CIR et le CII.Les entreprises utilisent-elles en masse les dispositifs auxquels elles sont éventuellement éligibles ?Difficile d’avoir des statistiques régionales. Si on extrapole notre part de marché régionale, on peut évaluer au bas mot entre 1.500 et 2.000 entreprises néo-aquitaines qui perçoivent le CIR, le CII ou qui ont le statut Jeune Entreprise Innovante. À l’échelle nationale, si on prend le CII, qui est récent bien qu’introduit en 2013, et qui est plutôt une spécificité de la France, ça reste méconnu. Environ 10.000 entreprises françaises, PME et startups, le perçoivent en France. Et quand on exploite les enquêtes de l’INSEE qui fait un travail de fourmi pour recenser les entreprises qui font de l’innovation en France, on arrive à des populations, au bas mot, de 100.000 entreprises éligibles au CII. Seulement 10%…À lire également - Transfert de technologies : « Plus une entreprise se développe vite, moins elle risquera de partir »

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