Placéco Béarn, le média qui fait rayonner l’écosystème

Votre édition locale

Découvrez toute l’actualité autour de chez vous

Francis Stéphan : « L'engagement est rentable »

Inspiration
jeudi 03 avril 2025

Francis Stéphan a toujours été engagé dans l'économie du logement social et l'évolution urbaine. Crédit : Domofrance / Mathieu Anglada

Directeur général de Domofrance et président national de la commission RSE des entreprises sociales pour l'habitat (ESH), Francis Stephan constate un retour sur investissement « à deux ans».

Francis Stéphan est engagé depuis de nombreuses années sur les questions de RSE. Il croit en l'entreprise engagée, en l'innovation au service des actions durables et promeut l'action collective pour donner du sens au travail. Quelques jours avant l'édition 2025 du salon Résolution, ce 10 avril au Palais des Congrès de Bordeaux, il évoque sa vision de l'engagement dans la RSE.

Rentabilité financière et engagements vertueux sont-ils compatibles ?
Oui mais à une condition, être un peu patient. On constate, à observer les entreprises françaises, que les plus performantes sur le long terme sont celles faisant preuve d'un fort engagement RSE. Car répondre aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance [ndlr, ESG] oblige à réinterroger nos pratiques professionnelles régulièrement, à travailler sur les process de chaque métier et créer des conditions positives pour les salariés. On sous-estime trop la puissance du sens dans leur activité quotidienne. Or, nous en avons tous besoin pour nous lever le matin. L'engagement et la prise de responsabilités engendrent une meilleure performance et donc améliorent la rentabilité de l'entreprise.
Du point de vue financier, la logique est identique. Elle repose sur la prise de conscience systémique. Chaque structure fait partie d'un système et dès qu'un élément de celui-ci bouge, il entraîne les autres. Dans le bon comme dans le mauvais sens. Les investisseurs préfèrent suivre les structures engagées car eux-mêmes doivent répondre aux critères ESG. Une entreprise active séduira les donneurs d'ordre, aura une image positive devant les banques et donnera envie aux salariés de travailler avec elle. La mise en mouvement de l'écosystème engendre une envie qui se traduit par du business. L'actionnaire est prêt à remettre des fonds parce que son entreprise se place sur le devant de la scène. Cette visibilité génère de la confiance chez les acteurs de tout l'écosystème car cet engagement les valorise. Je considère que l'économie n'est pas un jeu d'échec mais un jeu de go, jeu de stratégie combinatoire, où toutes les parties prenantes croient en votre projet et vous soutiennent.

Cela paraît simple…
Ça ne l'est pas ! L'être humain a toujours le réflexe de regarder à court terme. Si l'on se décentre et que l'on regarde autour de nous, on peut jouer sur de nouvelles cordes sensibles, comme l'attractivité, le regard des clients, la valorisation de la marque employeur, etc.

Cela semble coûteux. L'engagement coûte-t-il cher ?
L'engagement peut paraître coûteux à court terme. Il est vrai que la démarche requiert du temps, de l'investissement humain, en énergie mobilisée et qu'au début on peut avoir du mal à constater des évolutions car le retour sur investissement n'est pas rapide. Néanmoins, à moyen terme, environ deux ans, le sens de l'engagement et l'envie d'avancer commencent à porter leurs fruits auprès des salariés. À long terme, à trois ans, la rentabilité de l'engagement se fait ressentir. Pour cela, il faut faire vivre les différentes manières d'avoir un impact positif car c'est le moyen de mettre en mouvement l'entreprise. Et une entreprise qui n'est pas en mouvement est en voie de dépérir.

Comment Domofrance parvient-elle à concilier sa mission sociale avec la nécessité d'assurer une rentabilité économique ?
Domofrance est une entreprise (300 millions d’euros de chiffre d'affaires annuel, 4 milliards d'euros d'investissement, 700 salariés) dont le cœur de métier est l'utilité sociale. Son modèle économique est basé sur le logement pour les personnes vulnérables. Le logement social n'est pas rentable, il faut donc aller chercher d'autres leviers financiers comme l’immobilier d'entreprise, l’accession à la propriété, la vente, le logement étudiant… pour apporter des finances. Notre modèle s'est fortement fragilisé ces dernières années car le secteur vit la plus grave crise immobilière depuis 1992. Notre modèle est assis sur le livret A qui est passé de 0,5% à 3%, c'est bon pour l'épargnant mais cela plombe la charge financière de notre budget [NDLR, le taux du Livret A finance les bailleurs sociaux, quand le taux du Livret A est bas, les prêts contractés par les bailleurs sociaux leur coûtent moins cher]. Ainsi, la dette nous a coûté 35 millions d’euros supplémentaires. Nous avons donc baissé nos charges de 10% et nous avons dû aller chercher encore plus de développement, notamment par l'accession à la propriété.
Cette situation a aussi des conséquences sur les entreprises qui ont parfois du mal à recruter car leurs salariés ne peuvent pas se loger. Il y a 183.000 demandes de logements en attente en Nouvelle-Aquitaine, dont 51.000 en Gironde. La demande a augmenté de 12% en un an. Il manque 30.000 logements étudiants sur l'agglomération bordelaise. Cela pose aussi un problème sur la capacité à innover car les étudiants partent ailleurs.

Domofrance a-t-elle des stratégies spécifiques pour attirer des investisseurs tout en conservant son modèle d'entreprise à vocation sociale ?
Les banquiers nous font confiance. Ils savent que Domofrance est fortement engagée sur la RSE et ils sont eux aussi notés sur ces critères. Ils ont donc tout intérêt à soutenir des entreprises engagées puisque les bilans de celles-ci sont pris en compte dans les leurs, pour que la finance puisse avoir un effet de levier positif. Les investisseurs doivent rendre compte sur leur engagement et les projets durables qu'ils rendent possibles, donc ils prêtent plus facilement à des entreprises engagées. Les actionnaires nous font confiance non seulement car nous répondons à un problème public mais aussi parce que Domofrance est labellisée B Corp. Dans les écoles où je donne des cours, je vois bien que les jeunes ne rêvent pas de bosser chez Domofrance. En revanche, ils ont envie de franchir le pas grâce à ce label, parce qu'ils savent que B Corp est le plus exigeant. Donc ceux pour qui le sens importe ont la garantie de travailler pour une entreprise en lien avec leurs valeurs. C'est un argument de poids pour la marque employeur.

Comment intégrer les critères ESG, environnementaux, sociaux et de gouvernance, dans votre stratégie de développement de l'habitat inclusif ?
Je pense pouvoir dire que nous sommes l'opérateur le plus en avance sur l'économie circulaire. Dans nos activités de déconstruction d'immeubles que nous devons réaliser pour rénover, nous établissons des diagnostics sur ce qu'on peut recycler selon la loi [ndlr, RE 2020 est la nouvelle réglementation énergétique et environnementale de l'ensemble de la construction neuve]. Nous constatons que 60% de notre production de logements est en avance sur la réglementation, nous répondons aux normes de 2028 sur la consommation énergétique, le confort et l'impact environnemental. Nous avons signé un gros marché pour du béton décarboné avec Materrup, une entreprise des Landes et Hoffmann Green en Vendée. Ce sont les leaders de cette innovation. Leur technologie permet de baisser de 80% l'impact carbone de la construction. De nombreux bailleurs font ça aussi. En outre, nous avons accumulé 271 000 heures d'insertion professionnelle, soit 125 ETP [ndlr, équivalents temps plein], sur nos chantiers de construction. C'est important, sachant que 70% de nos locataires vivent sous le seuil de pauvreté.

Comment mesurer l'impact social et environnemental de vos actions, quels indicateurs clés utilisez-vous pour suivre vos progrès ?
Nous suivons nos évolutions grâce, notamment, au niveau de performance énergétique des logements, aux montant des factures avant et après travaux. Nous établissons aussi une politique de gestion de l'eau par des dispositifs pour diminuer la pression donc la consommation, en menant un important travail de lutte contre les fuites, en renforçant l'isolation… Tout cela se quantifie.

Quels sont les principaux défis à relever pour atteindre une neutralité carbone dans le secteur du logement social ?
Le gros sujet de demain sera l'écoconception pour les nouveaux projets car les normes seront très exigeantes. La RE 2028 constituera un changement de modèle qui va obliger à imaginer des modes constructifs différents. Je pense qu'ils seront souvent construits hors site, c'est-à-dire en atelier, puis posés sur site. En effet, demain il faudra que tout soit démontable pour pouvoir être déplacé ou réutilisé. Autrefois, on ne pensait pas comme ça. Aujourd'hui encore, on met un coup de pelleteuse pour démolir, demain, on nous demandera de penser les constructions pour qu'elles soient juste déconstructibles. Cela engendrera des changements de modèle dans leur conception, la logistique, les techniques... Je suis persuadé que l'IA et l'innovation vont nous aider. C'est la raison pour laquelle Domofrance est partenaire de startups spécialisées sur tous les sujets innovants, gestion des déchets de construction, gestion intelligente des bâtiments, domotique intelligente, etc.
Un autre enjeu fort sera la diminution des matériaux agressifs. Dans les peintures, les sols, les colles ou autres, la question de la santé publique sera un enjeu important. Il faudra régler la question des éléments volatiles dans l'air, surtout avec des logements plus isolés qu'aujourd'hui, la nécessité d'utiliser des matériaux non agressifs sera incontournable.

☞ « Résolution, la journée des solutions RSE », le 10 avril au Palais des congrès de Bordeaux : informations et inscription