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« Kerviel : un trader, 50 milliards », dans les coulisses de la série documentaire

Stratégie
lundi 17 février 2025

Jérôme Kerviel. Crédit : Max/Warner Bros

Série documentaire évènement, « Kerviel : un trader, 50 milliards » est l’une des premières productions originales françaises à avoir vu le jour sur Max. Qui sont les Bordelais qui se cachent derrière cette réalisation ? Comment fonctionne leur modèle économique ? Le producteur Jean-Louis Pérez lève un coin du voile.

L’un des plus gros scandales politico-financiers français du début du siècle. Autant dire un sujet en or. Encore fallait-il que les planètes s’alignent pour voir le projet se concrétiser. Comme souvent, ça commence par une rencontre. Celle de Jean-Louis Pérez, producteur au sein de la société Grand Angle, filiale du groupe Ecrans du Monde - acquis en début d’année 2024 par le Groupe Sud Ouest* - avec le principal protagoniste, celui dont le patronyme donne son nom à l’affaire, Jérôme Kerviel. « C’était un peu le moment pour lui de raconter son histoire sur la longueur, il était prêt », rembobine le producteur, qui rêvait depuis des années de travailler sur cette affaire impliquant la Société Générale, employeur du trader par qui le scandale est arrivé.

« Notre métier, c’est d’initier les bons projets, savoir les vendre, aux bonnes personnes et bien les produire », résume Jean-Louis Pérez lorsqu’il se retourne plus de trois ans en arrière sur la genèse du projet. « J’ai tâté le terrain avec plusieurs diffuseurs et Max a répondu tout de suite. » Lancée le 27 mai 2020 par HBO (groupe Warner Bros) aux Etats-Unis, la plate-forme de streaming Max n’est arrivée en France qu’en juin 2024. À la tête des productions originales de Max en France, HBO embauche une pointure : Vera Peltekian, tête pensante du pôle Créations Originales de Canal+ pendant des années. Elle manifeste son intérêt, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Assumer le risque initial

Les premières discussions s’initient. « On se demande ce qu’on veut faire avec ce projet et sous quelle forme. À un moment il était question d’un unitaire, puis d’une série. » Max estime rapidement avoir une place à prendre et un coup à jouer auprès du public adulte. La personnalité du réalisateur - Fred Garson - s’avère aussi capitale. « Ça cochait les cases de ce que voulait Max, cette capacité à faire une série pas uniquement avec les codes du journalisme ou ceux du documentaire, mais à aller chercher ceux de la fiction. C’est ce qu’il y a de plus dur aujourd’hui. Il fallait quelqu’un qui a cette capacité à inventer un peu le récit. Par exemple dans les deux premiers épisodes, on parle de la même période, sous deux angles différents. Il faut une dramaturgie et toutes les affaires ne s’y prêtent pas. » La réflexion est menée aussi « sur les intervenants qu’on rêve de faire venir ». Une phase de plusieurs mois - environ quatre mois sur ce projet - sans réelles certitudes d’aboutir. « On est en mode risque producteur, c’est notre boulot de prendre ce risque, ça ne marche pas à tous les coups. Ça n’est pas juste un brainstorming. Ce sont quantités de réunions, notamment avec la chaîne, des recherches, on paye déjà des gens… »

Quel mode de production ?

Avec un premier feu vert de Max en poche, « on entre en développement et le risque commence à s’inverser. Ils sont un peu rassurés et commencent à mettre de l’argent. Très peu par rapport au budget global de production, mais pour payer l’écriture d’un scénario ». Un gros semestre où, en plus du réalisateur et du producteur, deux journalistes commencent leur travail et s’y consacrent à temps plein. L’un est une permanente en CDI chez Grand Angle, l’autre une externe « avec qui on bosse au coup par coup et qu’on connaît bien. « Après quoi on a rendu ce qu’on appelle une bible, avec le découpage des quatre épisodes. » Un épais dossier qui remonte le fil hiérarchique, de la direction française de Max jusqu’aux pontes Europe et monde. À la clef : le feu vert officiel de mise en production de la série.

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« La plupart du temps, en France, on est producteur délégué, raconte Jean-Louis Pérez, c’est-à-dire que Grand Angle est propriétaire du programme et cède les droits au diffuseur, mais conserve l’exploitation ultérieure. On peut aussi négocier à l’international quand on a signé avec des diffuseurs français. » Les plateformes passent en général par un autre modèle. « Sur la série Kerviel, Grand Angle était producteur exécutif et Max fait ce qu’on appelle un full buyout. C’est-à-dire que tout leur appartient, les rushes, le montage, c’est très courant aux Etats-Unis, même s’il y a quelques cas notamment avec Netflix où on peut se retrouver producteur délégué. » Ce dernier statut « permet de bénéficier du système français, notamment les aides du CNC ([ndlr : Centre national du cinéma et de l’image animée], des aides à l’écriture… mais pas quand on est producteur exécutif. Dans ce cas, c’est à vous de négocier le manque à gagner pour boucler le budget ». Sur ce dernier point, impossible d’en savoir plus. « J’ai des clauses de confidentialité, ce sont des choses totalement secrètes », s’excuse le producteur.

Le grand barnum

Une équipe dédiée est mise en place. « C’est Sylvain Marquet, des Films Jack Fébus [ndlr, autre société du groupe Ecrans du Monde] qui devient directeur de production. On a fait ce choix plutôt que d’aller chercher à l’extérieur. Ce job exige une disponibilité totale, car les séries pour les plateformes sont très chronophages, avec beaucoup de reportings, de discussions… Sur le plateau on était souvent une quinzaine de personnes, avec tous les métiers techniques du tournage, chef décorateur, éclairagiste, assistants, ingénieur son, directrice de la photo… J’étais moi-même mobilisé pour les interviews de Jérôme Kerviel, les journalistes étaient sur le plateau pour faire du fact checking. C’est quand même un grand barnum », reprend le producteur.

« Pour la post production, on a eu jusqu’à trois salles de montage en même temps. On travaille le rythme, s’ajoutent les infographies, les images d’archives pour lesquelles il a fallu obtenir et négocier les droits. » Le 29 novembre dernier, les quatre épisodes de 45 minutes chacun étaient mis en ligne sur Max. « Clairement la série est un succès, sourit le producteur, à la fois auprès de la presse et aussi en audience. » Là encore, impossible d’avoir des chiffres. Même le producteur n’a pas accès à ces données. « On est censé les avoir à un moment mais pas encore. » Tout juste indique-t-il que ses clients « sont très contents ». Véritable zone d’ombre dans le modèle des plateformes de streaming, les chiffres d’audience pourraient devenir un peu moins secrets, Médiamétrie prévoyant une première avancée sur ce sujet dans le courant de l’année 2025. Même si les premiers résultats devraient être, dans un premier temps, moins détaillés et complets que l’analyse des chiffre d’audience sur la télévision linéaire, on aura là une première méthode, une analyse extérieure et un pied d'égalité.

« Cette série valide une nouvelle corde à notre arc et nous a donné une visibilité pour discuter de prochains projets, même s’il y a pas 50.000 interlocuteurs sur la place. Et puis dans ce métier, on remet son titre en jeu à chaque nouvelle proposition. »

* Groupe Sud Ouest est également le principal actionnaire du média Placéco

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