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Innover dans les Landes, « c’est comme nager avec une enclume »

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vendredi 14 février 2025

Depuis Saint-Geours-de-Maremne, Anthony Gavend invente le futur. Crédit photo : Yannick Revel

Auditionné par les instances gouvernementales dans le cadre de la réflexion sur l'intelligence artificielle, Anthony Gavend développe une expertise rare. Avec ses sociétés Evotech et Shield Robotics, il se trouve à la croisée de deux sujets majeurs pour l’avenir de l’humanité : l’IA et la robotique. Entretien sans langue de bois.

Intelligence artificielle et robotique, la révolution est-elle vraiment en marche?
En fait, la robotique existe depuis très longtemps et l’IA existe depuis les années 1950. Cela fait très longtemps qu'on mécanise les robots et depuis seulement, à peu près neuf mois maintenant, il y a eu un changement absolument extraordinaire qui est qu'on ne programme plus ces robots, mais on fait des programmes pour que l'intelligence artificielle programme ces robots. Et ça change absolument tout parce qu'en quelques heures de traitement sur des supercalculateurs, on obtient l'équivalent de centaines de milliers d'heures de travail d'ingénieurs qui auraient cherché des algorithmes optimaux dans toutes les situations. C'est pour ça que l'IA est une révolution dans la robotique, pas vraiment dans ce qu'on imagine, mais dans sa capacité à gérer sa gestuelle, à imiter le comportement humain ou le comportement animal.

La France a organisé un sommet sur l’IA et annoncé un vaste plan à 109 milliards d’euros, pensez-vous que c’est primordial de développer ces technologies en Europe?
Ma réponse va être très nuancée. Le président a annoncé un plan à 109 milliards d’euros mais il faut regarder la décomposition de ce plan. En réalité, la France investit très peu, ce sont des États comme le Canada, l’Arabie Saoudite ou l’Inde qui y participent. Même les États-Unis ont mis dix milliards ! Alors la vraie question c’est pourquoi des pays extérieurs investissent des sommes aussi importantes en France ? Je veux bien qu'on soit la sixième puissance du monde, mais nous ne sommes pas les plus réputés dans l'innovation. Nous avons de très bons ingénieurs mais généralement ils partent ailleurs. Pour une fois, c'est étonnant car tout le monde arrive chez nous. Pour quelle raison ? La réponse est simple : notre parc nucléaire.

En réalité, ce n’est pas la faculté d’innovation de la France qui séduit les investisseurs mais sa capacité à produire de l’énergie ?
Oui, c'est pourquoi la France suscite un intérêt. Ce n'est pas pour nos avantages technologiques mais uniquement pour notre parc nucléaire. Les data centers sont très gourmands en énergie et cela peut créer des tensions sur le réseau électrique, pouvant entraîner des problématiques pour fournir l'électricité à sa propre population. Il faut donc se demander si c’est bon et sain de laisser venir ces data center alors qu'on n’en sera pas souverain parce qu'il est évident que dans les contrats qui vont être négociés, un pays comme l'Arabie Saoudite qui met 50 milliards, le fait avant tout pour lui. On peut donc se demander quelle sera la nature de ces contrats et à qui vont-ils vraiment bénéficier ? Parce que si ça ne bénéficie pas à la France, la seule chose qu'on est en train de faire c'est de vendre une partie de notre parc nucléaire.

Des robots augmentés pour les travaux pénibles

L’IA s’immisce peu à peu dans tous les domaines, quels sont les secteurs qui pourraient être prochainement bouleversés ? 
Le monde agricole sans aucun doute, c’est le premier à se robotiser aujourd’hui. Non pas dans une logique de course à la compétitivité car en fait mettre un robot à la place d’un humain, ça coûte plus cher. Mais la problématique, ce n’est pas la rentabilité, c'est qu'ils ne trouvent pas la main d'œuvre. Cela fait partie des secteurs où il faut des robots car on ne peut pas se permettre de ne plus avoir d'agriculture. Et le deuxième secteur auquel je pense est celui du grand âge et de l'assistance à la personne. J’ai longtemps été un farouche opposant à la robotisation pour les personnes âgées mais je reviens complètement sur ma position. Bien sûr, il faudrait des humains mais la réalité c’est que personne ne veut le faire. Donc le constat est que d’une part la population vieillit et d’autre part, les gens ne veulent plus faire de travaux pénibles, la réponse se trouve donc la robotique intelligente augmentée par de l'IA.

Tout au long de votre carrière, vous êtes restés fidèles aux Landes, n’est-ce pas trop compliqué d’être installé ici quand on travaille ces sujets innovants ?
C'est un peu comme apprendre à nager avec une enclume. C'est clairement un désavantage sur tous les axes. On n’a pas de Bpifrance, pas de French Tech, pas de structures qui comprennent nos enjeux. Tout est compliqué. Déjà en France, on part avec un désavantage important mais en plus, on se rajoute la difficulté d'être dans les Landes qui est pourtant une terre d'innovation d’un point de vue historique. Ici, on faisait de la térébenthine, on envoyait des fusées dans l'espace, on créait des hydravions, ceci avec un tissu industriel et économique fort. Mais tout ça s’est perdu avec le temps au profit d'une image rurale et purement touristique. En partant aux Etats-Unis ou ailleurs, j'aurais eu 20 fois moins de difficultés et j'ai refusé tellement de propositions… Mais je ne le regrette pas parce que j'ai grandi ici j’ai conscience de la chance d’avoir des enfants qui grandissent aussi dans un tel environnement. Les valeurs autour de ce territoire me portent et me donnent aussi l’envie d’aider ce territoire. Alors aujourd’hui, même si je râle parfois, la vraie question est plutôt dans l’autre sens : pourquoi je partirais ?

Evotech Group
Fondé en 2013 à Saint-Geours-de-Maremne
Effectif : 15 salariés
CA : 1M€

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