Vins de Jurançon : « Si on n’évolue pas, on n’avance pas » - Premium

On ne dit pas « Jurançon pétillant », insiste bien Didier Capdevielle. Les vins mousseux que produit le vigneron viennent pourtant bien de son domaine sur les coteaux de Jurançon, mais ils n’en ont pas l’appellation. Le strict cahier des charges de l’appellation Jurançon ne permet en effet pas de se risquer sur les vins pétillants. D’ailleurs, peu de vignerons du territoire s’y aventurent encore. « Pendant la période covid, on s’est retrouvés fermés pendant un an. Plus de salons, plus rien, se souvient Didier Capdevielle. Ca m’a laissé du temps pour réfléchir. » Des amis du vigneron, raconte celui-ci, lui glissent alors l’idée de « faire des bulles, car ça marche bien en ce moment ». À l’époque, un seul autre domaine, Bordenave-Montesquiou, produit des vins pétillants sur toute l’appellation. Le domaine Capdevielle fait partie, lui aussi, des précurseurs. « J’avais cette idée en tête depuis longtemps, et là, j’avais enfin du temps. On a fait des essais avec différents cépages et on est partis sur un 100% gros manseng. C’est comme ça qu’on s’est lancé. »À lire également - En pleines vendanges, les vins de Jurançon lorgnent vers l'international« J’ai créé deux vins pétillants, un brut et un demi-sec », reprend le vigneron. Pour leur production, il choisit la « méthode traditionnelle » - pour les mêmes raisons d’appellation, le terme « méthode champenoise » est à bannir - selon laquelle de la liqueur est injectée dans une bouteille de vin blanc qui fermente une seconde fois en étant retournée à intervalles réguliers. « On peut aussi le faire en injectant du gaz carbonique dans les bouteilles, c’est la technique qui est employée pour faire du prosecco par exemple, détaille Didier Capdevielle, mais ça ne m’intéresse pas de faire comme ça. C’est de la triche ! » Impossible, cependant, de produire du vin pétillant sur place sans de très lourds investissements : « Il faut être équipé, il faut y consacrer beaucoup de place, il faut une machine qui retourne les caisses de vin, il faut une embouteilleuse spéciale », énumère Didier Capdevielle. Il se tourne donc vers une entreprise girondine, la Maison Célène, basée à Haux. Le gros manseng est récolté au domaine, vinifié sur place en un blanc sec, puis part en camion citerne en Gironde pour y être transformé en vin pétillant. Neuf mois plus tard, il lui revient embouteillé. « Il n’y a plus qu’à le vendre ! »Faire évoluer l'appellationLa première série est faite avec la récolte 2020, et sa vente démarre en 2021. « J’ai commencé par une cuve de 30 hectolitres, soit 4.000 bouteilles, la moitié en brut et l’autre en demi-sec. Aujourd’hui, j’en fais le double. » Les distributeurs accueillent favorablement l’expérience, et le « Cap de bulles » se vend bien en Béarn. « C’est surtout localement que ça marche, confirme Didier Capdevielle. Il y a une vraie curiosité pour ce produit, et les gens aiment bien remplacer le champagne avec quelque chose de local. » À l’heure actuelle, son vin pétillant se vend à parts égales aux professionnels et aux particuliers, mais le vigneron affirme se concentrer sur l’aspect B2B, auprès des cavistes et des traiteurs. « On propose beaucoup ce vin en dégustation, sur les apéritifs, les événements, confirme Ali Baldé, dirigeant de Toques et Gourmandise événementiel et client du domaine Capdevielle. Ça s'inscrit aussi dans notre approche de valorisation du savoir-faire local. »À lire également - Jean-Marc Grussaute à B to Biarnes : « J'ai mis trente ans à obtenir la reconnaissance ! » Pour compenser l’impossibilité de donner à ce vin l’appellation « Jurançon », comme d’ailleurs au vin demi-sec qu’il a également élaboré pendant le Covid, Didier Capdevielle a travaillé à un branding commun de ses huit produits. Pouvoir donner l’appellation à ces nouveaux vins « aiderait », reconnaît-il, mais « c’est de toute façon en train de se développer. Aujourd’hui, on est une bonne douzaine à faire des bulles sur toute l’appellation. Il en sort de plus en plus ». Et sortir du cahier des charges a aussi ses avantages : « on a que l’appellation “vin de France”, on est absolument libres », se réjouit-il. Le vigneron aimerait toutefois voir l’AOC Jurançon s’ouvrir plus à la nouveauté. « Si on n’évolue pas, on n’avance pas », affirme-t-il. Une évolution qu’il estime indispensable pour reconquérir la clientèle jeune : « C’est une clientèle qui aime aujourd’hui les vins très fruités, des vins légers. Le demi-sec, les bulles, donnent envie aux jeunes de revenir vers le vin, alors que la bière nous avait dépassés. Il faut bien prendre conscience du fait que c’est fini, les générations d’avant qui ne buvaient que du vin. » Une évolution de l’AOC permettrait également de s’adapter aux effets du dérèglement climatique, suggère-t-il. L’appellation Jurançon interdit en effet de planter des vignes sur les versants nord des coteaux. « Alors qu'on perd de plus en plus de pieds sur les vignes plein sud à cause de la chaleur. »Aujourd’hui, entre les vins pétillants et le demi-sec, « un bon quart de la production » du domaine se fait hors-AOC. « On ne peut plus vivre avec le passé, conclut Didier Capdevielle. Quand j’ai démarré, en 1993, je n’ai pas fait un salon en 15 ans et tout se vendait tout seul. Depuis, il faut se battre, bouger, innover. Ceux qui ne veulent pas évoluer vont s’enfoncer. » Domaine Capdevielle 2 salariés à plein temps ( 15 saisonniers en période de vendanges) Chiffre d'affaires 2023 : NC

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