Topaketa : Revivez l'interview de Thierry Le Balc'h (Decathlon) - Premium

Ce mercredi, Placéco Pays basque tenait son Topaketa, notre rendez-vous mensuel à destination des adhérents de notre média. Comme chaque mois, nous invitons un ou une chef d’entreprise du territoire afin de décrypter son modèle économique, mais aussi de parler des différents enjeux, et de leur engagement RSE. Ce mois-ci, nous recevions au Connecteur de Biarritz, notre partenaire, Thierry Le Balc’h, directeur du Watersport, le centre de conception pour la marque Tribord de Decathlon à Hendaye. Extraits de l’entretien. Concrètement, vous faites quoi au Watersport ?Thierry Le Balc'h : Decathlon est, en effet, connu pour sa chaîne de magasins, mais ce que l'on sait moins, c'est que 75% des produits que vous trouvez en rayon sont conçus par nos équipes. Depuis les années 90, nous essayons d’intégrer la chaîne de valeur de toute la conception : de l'idée du produit à sa production, même si les usines ne nous appartiennent pas. La France compte neuf centres de conception, et celui d'Hendaye est spécialisé dans les sports d’eau. Ici, nous sommes environ 270 collaborateurs, principalement des ingénieurs, des chefs de produit, des modélistes et des ingénieurs composants, etc. Ensemble, nous développons des produits comme des maillots de bain ou des combinaisons, ainsi que des innovations importantes dans l'univers des sports nautiques.Quels sont les délais entre l’idée initiale et la mise en rayon des produits ?Il y a deux types de processus. Pour des produits standards, comme des maillots de bain sans innovation majeure, cela prend entre 15 et 18 mois avant d’arriver en rayon. Cela inclut l'observation des pratiquants, la définition d'un cahier des charges, les tests et les ajustements nécessaires jusqu'à la production finale. Nous restons très proches des pratiquants tout au long du processus pour recueillir rapidement leurs retours et les intégrer. Le centre de conception Quechua est présent au pied du Mont Blanc, etc. On veut être au cœur des pratiquants les plus exigeants pour pouvoir les écouter et leur faire tester rapidement. Une fois que les chefs de produits ont observé, et eu des idées produit, cela devient des cahiers d’usages techniques avec les ingénieurs. Et on commence à faire des itérations prototypes sur place. On est en général sur deux ou trois prototypes. Pour des produits plus innovants, les délais sont plus longs. Par exemple, le masque Easybreath a demandé cinq ans de recherche et une trentaine de prototypes avant d’aboutir à une version finale. Ce type de développement nécessite des compétences parfois externes, car nous ne maîtrisons pas tout en interne.Comment gérez-vous toutes ce processus ?Nous fonctionnons comme une start-up. Chaque équipe est dédiée à l’un des cinq sports nautiques que nous couvrons et est autonome. On a une communication aisée et un management participatif. Les chefs de produit sont responsables de la prise de décision dans leur domaine. Cela permet d’être réactif et d’avancer rapidement. Nous impliquons également les pratiquants très tôt, lors des tests de prototypes ou dans des missions avec nos clients. Leurs retours sont essentiels pour ajuster nos produits en temps réel. On récupère aussi leurs insights sur leurs obstacles dans leur pratique, mais aussi leurs rêves et leurs envies, et c’est une source incroyable d’innovations et d’idées.Et par rapport au siège, comment ça se passe ? Qui décide, qui valide, vous êtes autonomes ?Chaque centre de conception chez Decathlon fonctionne comme une petite entreprise. Ici, nous définissons notre stratégie pour les sports d'eau et la présentons à la direction générale une fois par an pour validation. Nous partons toujours d'une "promesse magique singulière", c’est-à-dire ce qui va orienter nos innovations. Par exemple, pour le masque Easybreath, la promesse était de permettre à l’utilisateur de respirer sous l’eau aussi facilement que sur terre. Cela venait d'un retour utilisateur, et notre rôle est ensuite de concrétiser cette idée.« Aujourd’hui, 40% de nos produits sont éco-conçus » Vous travaillez sur un projet de réaménagement du site d’Hendaye. Pouvez-vous nous en parler ?Le site fait actuellement 10.000m², avec 80% de la surface dédiée à la conception et 20% au magasin. Chaque année, environ 100.000 visiteurs viennent sur place, mais la plupart pensent qu’il n’y a qu’un magasin, ils ne se rendent pas compte que nous avons ici un centre de conception. Nous voulons changer l’organisation de tout le bâtiment, et renverser le bâtiment et en faire un site où on montre tout ce qu’on fait. En rendant le site plus interactif, avec des espaces où les visiteurs pourront découvrir toutes les étapes du développement de nos produits, de l’idée à la production. Nous réfléchissons aussi à ajouter un restaurant, un centre de plongée et des partenariats avec des clubs de sports nautiques pour que le site devienne un lieu de vie autour des sports d’eau. Tout ça fait, c’est le résultat de la prise de conscience lors de l’arrivée de notre nouvelle directrice générale d’un besoin de communication, et donc de montrer ce qu’on fait, comment on le fait, avec une maîtrise des composants, et de la conception, et de la qualité. Il y a aussi une question de développement durable.Vous parlez aussi de la création d’une pépinière d’entreprises. Pourquoi ce choix ?Nous sommes en discussion avec la mairie d’Hendaye et la Communauté d’agglomération pour créer une pépinière d’entreprises sur notre site. L’idée c’est d’être complémentaire à ce qui existe. On veut mettre à disposition notre savoir-faire et nos infrastructures pour aider des entrepreneurs, notamment dans les domaines de l’innovation durable. On souhaite aussi se spécialiser dans la « confiance dans l’eau » pour accompagner les entreprises qui pourraient se lancer dedans, et faire des partenariats pourquoi pas. Qu’en est-il des engagements de Decathlon en matière de développement durable ?Notre engagement en matière d’éco-conception est au cœur de notre stratégie, et aujourd’hui, 40% de nos produits sont issus de ce processus. C’est un axe d’innovation essentiel, notamment dans le cadre de la conception des combinaisons de protection thermique pour les sports nautiques, qui sont historiquement fabriquées à base de néoprène, un matériau très polluant. La production de néoprène génère une empreinte carbone considérable et utilise des procédés chimiques lourds. Pour remédier à cela, nous avons noué un partenariat avec une entreprise américaine qui a développé le Yulex, un composant à base de caoutchouc naturel issu des cultures d’hévéa. Ce matériau innovant permet de réduire de 80% l'empreinte carbone de nos combinaisons tout en offrant la même protection thermique que le néoprène. Il s’agit d’un véritable tournant dans l'industrie des sports nautiques, et cela illustre parfaitement notre volonté de rechercher des alternatives plus durables, tout en conservant des performances techniques de haut niveau.En parallèle, nous développons des modèles basés sur la circularité. Actuellement, environ 3% de notre chiffre d’affaires provient de ces initiatives circulaires, telles que la vente de produits d’occasion, la location de matériel, ou encore la réparation. Ce modèle vertueux vise à prolonger la durée de vie de nos produits et à limiter le gaspillage. La location et l’occasion sont en plein essor, tout comme les services de réparation que nous mettons en place pour que les utilisateurs puissent entretenir leur matériel au lieu de le remplacer systématiquement. L’abonnement à ces services est également en phase de développement. Notre objectif est de montrer et d’expliquer toutes ces démarches à nos visiteurs.Mais votre production est en grande partie réalisée en Asie, impossible de relocaliser ne serait-ce qu’une partie ?Effectivement, lorsqu’on parle d’empreinte carbone, il est tentant de pointer du doigt le transport, mais dans notre cas, cela ne représente avec les magasins que 26% de l’impact total. Des panneaux photovoltaïques sont d'ailleurs installés au fur et à mesure sur nos magasins. Ce sont les matières premières et les procédés de fabrication qui comptent pour 74% de notre empreinte carbone. Une fois que nous finalisons nos prototypes, nous envoyons des cahiers des charges extrêmement précis à nos partenaires en Asie. Chaque étape est détaillée, que ce soit le temps de travail, la consommation de matières premières ou encore le type de matériaux utilisés. Nous avons également des responsables qualité sur place pour garantir le respect des normes, y compris en matière de droits humains. La production en Asie est incontournable pour nous aujourd’hui, avec environ deux tiers de nos produits fabriqués en Extrême-Orient. Cependant, il y a une réelle volonté interne de relocaliser une partie de cette production, même si le chemin est semé d’embûches.En France, par exemple, relocaliser augmenterait considérablement les prix de vente, au moins de deux à trois fois. Est-ce que les consommateurs seraient prêts à payer cette différence ? C’est une question à laquelle nous devons répondre. De plus, les compétences techniques et industrielles nécessaires ne sont plus aussi présentes en France. Certaines usines, même en Europe, restent polluantes, et il y a un équilibre délicat à trouver entre la réduction de notre empreinte carbone et les réalités économiques de la production. Nous avons commencé à explorer des pistes en Europe : nous travaillons beaucoup avec l’Italie sur le plastique, le Portugal pour les vélos et les chaussures, ainsi qu'avec le Maghreb, la Roumanie et la Turquie. Mais relocaliser en France reste extrêmement compliqué.

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