Pascal Pénicaud à B to Biarnes : « Tout l'enjeu de la décarbonation c'est qu’elle est possible, mais que c'est plus cher » - Premium

Parlez-nous de votre parcours. Comment devient-on un entrepreneur à la tête d'un grand projet industriel ?Je n’y étais pas du tout prédestiné au départ parce que je suis fils d'universitaires, de fonctionnaires, je suis arrivé là dedans un peu par hasard. Il y avait un sujet qui me plaisait, c'était le monde de l'énergie. C’était quelque chose d’utile, quelque chose de nécessaire, quelque chose au cœur des enjeux à la fois de souveraineté et de transition énergétique.Vous avez donc commencé votre carrière chez Enedis… Effectivement, j’ai commencé ma carrière chez EDF, car quand on s’intéresse à l’énergie en France, travailler chez EDF c’est une bonne idée. J’ai commencé ma carrière en 2008. Mais EDF, pour être tout à fait franc, c’est pas hyper entrepreneurial ! Je suis parti au bout de deux ans avec un double constat : tout d’abord, que rentrer chez EDF quand on n’est pas ingénieur ni polytechnicien, que l’on sort d’une école de commerce, ça n’est pas une si bonne idée que cela. Et deuxièmement, qu’il y avait beaucoup de mutations dans l'énergie, qu’EDF avait un rôle central, parce que c'est un ancien monopole pour la production, et ça l'est encore pour la distribution avec Enedis et le transport avec RTE -, mais aussi une ouverture à la concurrence sur la fourniture et sur la production. On est à la fin des années 2000, il y a des nouvelles façons de produire de l'énergie, notamment des énergies renouvelables. Quand j’ai quitté EDF, je voulais quelque chose de plus dynamique que j'ai rejoint une entreprise qui venait de se créer, Tenergie, qui avait un rêve un peu fou puisque cette entreprise voulait être producteur d'électricité solaire. On est en 2009.C’était effectivement assez précurseur à l’époque. Tout à fait, et c’est là que j’ai appris l'entrepreneuriat ; parce que c'est un métier, et comme tous les métiers, il s’apprend. J'ai eu la chance de côtoyer les trois fondateurs de l'entreprise, qui étaient des entrepreneurs chevronnés dans la grande distribution et dans les télécoms et qui m'ont transmis les différentes compétences nécessaires pour entreprendre et en particulier pour entreprendre dans des filières émergentes dans l’énergie. Dans cette aventure, je suis resté dix ans, j'ai commencé comme directeur des financements, j’ai ensuite été directeur financier, puis j'ai été directeur général pendant quatre ans. Pendant ces dix ans, j’ai eu la chance de pouvoir investir dans l'entreprise, j'ai pu acheter jusqu'à 15% du capital de la société. Et il s'avère que cette entreprise est devenue le premier producteur indépendant du solaire en France, a développé plus de 1.000 projets et financé plus de 2,5 milliards d’euros d’investissements.« Il y avait un vrai enjeu pour pouvoir décarboner les mobilités, en particulier l’aviation et le maritime »Comment avez-vous fait la bascule vers l’entrepreneuriat ? Est-ce une innovation qui vous a donné l’envie de vous lancer, ou bien aviez-vous ce projet qui vous a conduit à chercher un concept innovant ? Je vais peut-être vous choquer, mais je ne suis pas quelqu'un d'innovant ! J’ai commencé ma carrière comme directeur financier, et ce n'est pas la qualité première, l’innovation, chez un directeur financier. L’innovation est dans les modèles économiques, dans la capacité à dérisquer, c'est ça le sujet sur un objet industriel comme celui que porte Elyse Energy. Pour moi, tout part d’un constat très simple, c’est que l’on est dans une époque où il faut tout revoir. On est face à une impasse, celle de notre modèle énergétique, de notre modèle industriel, et ce constat ouvre énormément de défis dans tous les domaines. Quand j’ai arrêté en 2019, je voulais continuer à être engagé dans le domaine de l’énergie et pouvoir agir sur une, deux ou trois problématiques. Au départ, j’ai créé un petit fonds d’investissement avec la vente de mes actions, et j’ai choisi d’accompagner comme investisseur des projets dans les nouvelles énergies, notamment les batteries, l'hydrogène, le carbone. En investissant dans différentes sociétés, j'ai été frappé par le fait qu’au niveau du carburant, il y avait un vrai enjeu pour pouvoir décarboner les mobilités, en particulier l’aviation et le maritime. Les solutions existent et on peut les produire en Europe.C’est ce qui vous a donné l’envie de lancer cette production en France ?Exactement. Ces nouveaux carburants ont en commun une chose, c’est qu’ils sont produits à partir d’électricité principalement. La France est une puissance électrique majeure, c’est le pays le plus électrogène au monde grâce au nucléaire. Donc, ça me semblait être une évidence de regarder comment on pouvait positionner la France sur ces sujets. C’était en 2020, on était encore très en amont par rapport à tous ces sujets qui sont aujourd’hui dans le débat public.À lire également - Projet Elyse Energy à Lacq : une concertation pour un projet géantJustement, comment se lancer dans un projet pareil ? Je suppose que c’est plus compliqué que d’aller voir son banquier en lui disant « Je veux construire trois usines et j’ai besoin de deux milliards d’euros »… C'est évidemment une somme d'étapes. Entreprendre, c’est d'abord pousser une idée, la confronter à un marché, s'assurer que étape par étape, elle passe différents tests et qu'elle prouve qu’elle est robuste. Le sujet numéro un sur ces carburants, c’est qu’en réalité, il y a zéro innovation technologique, ça fait cinquante ans qu’on pourrait les produire.Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Pourquoi ? Parce que c'est plus cher. Ils coûtent aujourd’hui entre trois à sept fois le prix du fossile. Et aujourd'hui personne, pas une compagnie aérienne, pas une compagnie maritime n’est prête à payer un centime de plus sur son litre de carburant que ses concurrents. Tout l'enjeu de la décarbonation c'est qu’elle est possible, mais que c'est plus cher.Et c’est en train de changer ? Aujourd'hui, ce qui fait que l’on a un modèle économique, c'est que la réglementation européenne qui est passée en juillet 2021 impose aux compagnies aériennes et maritimes de se décarboner et d'acheter un certain pourcentage de carburant durable. En France, aujourd’hui, c’est 1%, il y aura une augmentation par paliers avec 6% en 2030, et jusqu’à 70% en 2050.« La rencontre d'un projet et d'un territoire »Le modèle économique établi, comment trouve-t-on des financements pour un projet de l’ampleur du vôtre ? On trouve des financements parce que l’on a déjà fait des choses dans le domaine des énergies. Nous sommes cinq associés sur Elyse Energy. Trois sont issus de Tenergy, donc de la production d'électricité renouvelable avec ces investissements de plus de 2,5 milliards d'euros. Nous sommes aussi associés à un groupe français, producteur d'électricité et de gaz renouvelable depuis 25 ans, et donc on arrive avec une expertise et une reconnaissance. Le deuxième sujet, c'est qu'on ne vient surtout pas voir son banquier en lui demandant deux milliards d'euros. De toute façon, même si on les avait ne saurait pas quoi en faire. Ces deux milliards d’euros, ils sont nécessaires pour financer la construction d'une usine, pour prendre ce qu'on appelle une décision finale d'investissement et lancer les travaux. L’enjeu pour nous, ç’a été de structurer une démarche pour définir des étapes et financer ces étapes pour en arriver à cette décision finale d'investissement. Pour les projets de Lacq, on a initié le projets en 2022 et on vise une décision finale d’investissement en 2026. Auparavant, on devait faire une première phase qui était d’identifier les sites pertinents.Quels éléments recherchiez-vous ? Pour notre projet, il nous faut du foncier industriel. Il faut des compétences industrielles avec des bureaux d'étude, du savoir-faire, sachant que la France a beaucoup perdu sur ce point-là ces dernières années. Et puis après il faut toute une série d'intrants, électricité, biomasse…Cela dessine en creux le portrait de la plateforme de Lacq, mais aviez-vous d’autres candidats potentiels ? Tout ça, c'était nos critères. Mais une entreprise comme E-CHO, c'est la rencontre d'un projet et d'un territoire... et pour se rencontrer, il faut être deux. Donc, ce qui est aussi important, c'est la vision qu’un territoire a de lui-même : est-ce que le projet que l’on envisage s’inscrit dans une stratégie territoriale ? Le bassin de Lacq a été un instrument majeur de l'indépendance énergétique française, avec jusqu’à 30% du gaz consommé en France. Il est en reconversion depuis un certain nombre d’années, justement autour de la transition énergétique, avec un certain nombre d’acteurs déjà installés sur la plateforme. Ce type de projets ne peut pas exister s’il ne répond pas à la vision portée par les acteurs du territoire, en particulier les élus.

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