Viticulture : « Bordeaux doit s’adapter » pour redevenir attractive, selon Allan Sichel (CIVB) - Premium

Au sortir d’un printemps particulièrement pluvieux, et dans un contexte économique chahuté, comment vont les vins de Bordeaux ? Il y a en effet eu des challenges climatiques, avec des conditions météorologiques particulièrement favorables au développement du mildiou, qui s’est déclaré très tôt cette année. Cela a demandé beaucoup d’attention et un travail acharné de la part des viticulteurs du territoire durant de longs mois. Je crois que la pression est toujours là, les professionnels continueront d’être très vigilants jusqu’à la véraison du raisin, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il change de couleur. Et puis il y a eu des dégâts causés par la grêle et le gel en début d’année. Donc, malgré tout leur travail, on a des viticulteurs qui se retrouvent avec un potentiel de volume récolté significativement affecté [ndlr, l’an dernier 3,8 millions d’hectolitres ont été récoltés, soit 7% de moins qu’en 2022]. Qu'en est-il des difficultés de commercialisation ? Elles se font toujours sentir et sont sévères. On voit une baisse de la consommation en France - c’est une tendance ancienne qui se poursuit. À l’export, la commercialisation est aussi en peine [ndlr, 45% des bouteilles exportées] ; les exportations sont fortement freinées notamment en Chine [ndlr, -17% en 2023] et aux Etats-Unis [ndlr, -11% en 2023] qui sont nos deux plus gros marchés internationaux. Tout cela a des répercussions en cascade, les viticulteurs ne trouvent pas de débouchés donc cela crée une situation de sur-disponibilité des stocks, une tension sur la valeur du vin, même pour ceux qui arrivent à vendre leur production. Les prix baissent, cela crée des difficultés économiques… On voit l’effet cercle vicieux de la situation. Craignez-vous que des viticulteurs mettent la clef sous la porte ou soient placés en liquidation judiciaire ? Oui, il y a aujourd’hui des difficultés. Et un accompagnement du tribunal de commerce, pour les procédures de sauvegarde. On essaye d’alerter les viticulteurs sur la nécessité de faire appel à ces procédures suffisamment tôt, avant qu’il ne soit trop tard, pour essayer de leur donner un ballon d’oxygène. Certains viticulteurs se retrouvent en difficulté pour rembourser leur Prêt garanti par l’Etat, donc il faut les accompagner autour de la restructuration de la dette, avec un prêt bonifié par exemple. Après, l’Etat aide avec le plan d’urgence d’arrachage des vignes qui est toujours en cours.Vers une seconde phase d'arrachage de vignesOù en est-on, à ce niveau ? Y aura-t-il une seconde phase d’arrachage ? D’abord pour rappel, l’Etat mobilise 38 millions d’euros pour une renaturation des surfaces arrachées, et le CIVB, 19 millions d’euros pour une diversification de l'activité. Le plan actuel couvre environ 9.500 hectares, grâce à une enveloppe de 30 millions. Désormais on ouvre un second guichet pour absorber les huit millions d’euros restants promis par l’Etat, soit 1.300 hectares supplémentaires potentiellement arrachés. Par contre, ce second volet ne concerne que la renaturation, et non plus la diversification agricole - l’enveloppe du CIVB pour cela ayant été totalement absorbée. Le guichet sera ouvert jusqu’au 30 avril 2025, mais c’est une grosse contrainte pour les agriculteurs, de renaturaliser… Donc on verra s’ils y souscrivent. 1.200 dossiers ont été déposés lors de la première phase de candidatures. 700 concernent le dispositif de renaturation (abondé par l’Etat à hauteur de 38M€), pour 4.000 hectares. 500 dossiers s’inscrivent dans une volonté de diversification, soit 4.000 hectares (via l’enveloppe du CIVB, qui s’élève à 19M€). « Les premiers arrachages ont ainsi pu démarrer fin janvier pour s’étendre jusqu’au 31 mai 2024 », précise le CIVB.Vous l’avez dit en préambule, la baisse de la consommation de vin des Français ne date pas d’hier - elle aurait chuté de 70% entre 1960 et 2020. Face à ce constat, quels sont les moyens d’adaptation des vins de Bordeaux ? Vers quelles tendances devez-vous aller ? Si Bordeaux est appréciée, connue et reconnue pour la qualité de ses vins, le territoire est souvent associé à une image formelle, prestigieuse et parfois élitiste, un peu inaccessible. En matière de prix, l’image que l’on a des vins de Bordeaux est fortement portée par les très grands crus qui font l’objet d’une renommée mondiale. Notre challenge, c’est de raccrocher l’image qu’a le consommateur à la réalité de l’offre. Les grands crus ne représentent que 3 ou 4% des volumes produits, donc les 96 ou 97% restants ne sont pas du tout sur ce segment - on est beaucoup plus sur une consommation quotidienne, décontractée, facile. Nous devons continuer de faire évoluer l’offre, pour qu’elle corresponde à des habitudes de consommations plus contemporaines. Des vins plus légers, élargis vers les blancs, les rosés et les pétillants. Quand on regarde le marché mondial, on voit qu’on est sur un tiers de blancs, un tiers de rouges, un tiers de rosés et pétillants, or à Bordeaux, nous produisons 81% de vins rouges. Des vins structurés, qui vont bien avec la nourriture et peut-être, s’expriment le mieux lors d’un repas. Or, les repas structurés sont de moins en moins réguliers. Bordeaux doit s’adapter, proposer des vins qui vont bien à l’apéritif, devant la télévision, autour d’un barbecue. Des vins moins tanniques, plus portés sur le fruit, avec un élevage plus court - qui peuvent être consommés jeunes, dans les deux ans après leur conditionnement. C’est comme cela que l’on travaillera notre attractivité, et in fine la commercialisation de nos bouteilles.Les vins de Bordeaux comptent 5.000 vignerons, 300 maisons de négoce, 29 caves coopératives et trois unions. Au global, la filière génère 60.000 emplois directs et indirects selon le CIVB.

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