Bordeaux Place Financière et Tertiaire : « avoir une approche de désintermédiation et de fonds propres »
Crédit : Bordeaux Place Financière et Tertiaire
Créée à l’initiative de dirigeants de banques et de cabinets de conseil financiers et juridiques, Bordeaux Place Financière et Tertiaire fête ses 10 ans. L’occasion pour son président, Axel Champeil, de mesurer le chemin parcouru et de se projeter sur les prochains défis, entre ESG, fonds propres et attractivité de la filière elle-même.
Quel bilan peut-on faire de cette première décennie d’existence de Bordeaux Place Financière et Tertiaire ?
Le premier point positif est d’avoir réussi à mettre ensemble différents acteurs du monde financier et bancaire, complémentaires mais aussi concurrents, à travailler ensemble sur des actions communes sous la même bannière et les amener à se connaître et amener de la fluidité dans l’écosystème. On n’est pas un lobby, on n’est pas dans des relations d’affaires, on a des compétences et expertises qu’on essaye de partager avec l’écosystème notamment les entreprises, dans une relation non-commerciale.
Quels sont selon vous les enjeux nouveaux et problématiques récentes auxquels doit faire le secteur financier ?
Aujourd’hui, c’est le changement de structuration financière et notamment la hausse des taux et une moindre disponibilité de capitaux, notamment ce qui concerne le crédit. L’enjeu, c’est d’avoir une approche de désintermédiation et de fonds propres. On le sait, les entreprises françaises n’ont pas assez de fonds propres par rapport à leurs homologues PME et ETI étrangères. Dans un monde qui était très « drivé » par le crédit, l’enjeu est d’aller dans un mode où les financements alternatifs vont augmenter. Là on est moins dans une logique industrielle et on pense qu’avoir une place où les gens se parlent va permettre de fluidifier les relations. Et donc une plus grande efficacité dans le développement de ces nouveaux outils de financement. Un autre enjeu est évidemment le financement de la transition qui est un point très important car notre secteur financier est en première ligne sur tous les aspects ESG [ndlr : environnementaux, sociaux et de gouvernance]. La règlementation des institutions financières était en amont de celle des entreprises et on voit bien que la banque et la finance en général vont être acteurs clés de l’accélération de cette transition. Enfin, nous sommes très sensibles à la désirabilité de nos métiers, qui attirent moins les jeunes. On travaille là-dessus pour pouvoir recruter cette génération qui a des attentes différentes de celle d’avant. On a créé un club qui s’appelle BPFT Junior pour faciliter les relations avec les étudiants et faciliter les découvertes de nos métiers et les perspectives qu’il peut y avoir.
Dans ce cadre, quelle feuille de route se donne Bordeaux Place Financière et Tertiaire ?
Par rapport à ces trois axes, l’idée qui nous anime tous, c’est se dire qu’on sera plus fort en échangeant entre nous, qui sommes au service de l’économie, que ce soit l’expert comptable, l’avocat, le conseiller financier ou le banquier. La feuille de route dans ce monde qui change, c’est de créer de l’échange et de la fluidité pour gagner en efficacité dans tous ces nouveaux modèles qui sont en train d’émerger et sur lesquels on n’est pas dans de la standardisation. Et donc il faut aller davantage sur du sur-mesure, de l’accompagnement. Il faut que les entreprises et les différents acteurs de la chaîne puissent se parler. Et vis-à-vis des jeunes c’est aussi en étant accessible qu’on va pouvoir éclairer sur nos métiers. On favorise d’autant mieux ce dialogue quand on n’est pas dans une logique client-fournisseur. On reste une association dont l’ADN est la convivialité. Si on arrive à fédérer les acteurs du territoire - et il y a encore du travail là-dessus - et à être un point fixe pour l’écosystème, c’est-à-dire pour les entreprises et organisations qui interviennent dans l’économie, ça sera une bonne réussite. Et donc créer un cadre, des évènements et des sollicitations de rencontre pour que les gens puissent partager ensemble leurs problématiques et phosphorer sur des projets.
Le marché bordelais des services financiers a-t-il des spécificités par rapport aux autres places financières et tertiaires installées, comme Lyon, Strasbourg ou autre ?
Il n’y a pas de spécificités particulières, modulo le fait qu’on voit que le nombre d’acteurs qui se sont implantés et la taille des équipes qui étaient déjà présentes a beaucoup crû, avec le développement du territoire ces dix dernières années et qu’on a aujourd’hui des niveaux d’expertise qu’on n’avait pas précédemment. Un des enjeux de Bordeaux Place Financière et Tertiaire était de dire « il y a des compétences en région, n’allez pas forcément à Paris ou ailleurs ». Le développement économique a attiré des compétences qu’on n’avait pas et des nouveaux métiers.
On parle beaucoup en ce moment des difficultés de financement des startups, au-delà des jeunes pousses, le phénomène touche-t-il plus largement le monde éco ? PME et ETI ont-elles elles aussi des difficultés de financement ?
Oui et non, on est dans un nouveau paradigme, avec il y a un an et demi des taux qui étaient à zéro ou négatifs et aujourd’hui autour de 5% et avec aussi une réduction de la liquidité. Parce que, notamment, les banques ont dû rembourser des avances et des prêts qu’avait faits la Banque Centrale, donc globalement il y a un peu moins d’argent. Ces changements créent certains blocages car il y a des impacts sur les valorisations, sur l’exécution des business plans et donc il y a une plus grande sélectivité. On sent bien qu’il va falloir un changement de référentiel pour que les choses redémarrent, avec un mix des outils de financement qui vont être plus diversifiés à l’avenir. D’où l’intérêt de lieux de dialogue et de diffusion de connaissances pour accompagner les différents acteurs dans ce monde économique qui a changé. Un financier raisonne beaucoup en termes de TRI [ndlr : taux de rentabilité interne]. Avec la hausse des taux, on n’est plus du tout sur les mêmes niveaux de rendement. C’est pour ça qu’on voit un petit ralentissement. Il y a eu une super période ces dernières années avec de l’argent disponible et un coût du financement qui était faible, une croissance économique… Aujourd’hui, ça n’est plus le cas et on va être plutôt dans une croissance plus saine et mieux maîtrisée.
Beaucoup d'acteurs essaient depuis quelques années de "disrupter" les services financiers, en B2C comme en B2B… Les acteurs du secteur doivent-ils se transformer et si oui comment ?
On l’a vu dans la jeune histoire de Bordeaux Place Financière et Tertiaire. Il y a 10 ans, c’était le développement des fintechs, qui arrivaient avec une volonté de disrupter. Finalement elles sont plutôt venues apporter des innovations auprès du secteur. On est beaucoup moins dans une logique de confrontation que de complémentarité. On a vu ce changement du fait qu’il faut avoir pas mal de capitaux pour s’implanter dans le B2C et donc ils ont plutôt privilégié le B2B. Il y a un 4e enjeu que je n’ai pas évoqué tout à l’heure, c’est l’innovation. Nos secteurs doivent innover. Dans le secteur bancaire, il y a eu en 10 ans un énorme saut dans la digitalisation et demain nos métiers, même ceux du conseil, vont être transformés par l’intelligence artificielle.
On parle beaucoup de RSE et d'entreprise durable, comment le monde bordelais de la finance accompagne-t-il ces sujets ?
Le secteur financier est en avance sur ces sujets, pour des questions réglementaires car les pouvoirs publics, notamment au niveau européen, considèrent qu’en s’attaquant au financement on va pouvoir accélérer sur le sujet. Amener à se dire que si je ne suis pas dans une logique de durabilité, de performance extra-financière, je serai moins bien financé demain. Les fonds dits ISR [ndlr : investissement socialement responsable] ont déjà au moins une dizaine d’années. La réglementation SFDR sur la finance a été mise en place l’an dernier, avec l’obligation pour tous les acteurs du secteur financier de divulguer leurs politiques d’investissement et leur critères en matière d’investissement durable. Tout le secteur financier a déjà dû s’adapter et va désormais accompagner les entreprises dans cette transformation, sinon elles seront plus difficilement finançables. C’est pareil pour le crédit : il va y avoir de plus en plus ces critères et ça va jouer sur les taux d’emprunt. Le secteur financier a besoin de prêter et donc a intérêt à accompagner l’ensemble de l’économie dans cette voie en partageant sa propre expérience. Il y a des équipes dédiées dans les banques, les fonds d’investissement, les cabinets de conseil…
A l’occasion des 10 ans de Bordeaux Place Financière et Tertiaire, l’association organise un évènement ce lundi 9 octobre à la Cité du Vin de Bordeaux. Au programme : conférence, remise de prix, cocktail et table ronde. Cette-ci aura pour thème « Finance et Territoire : le cas de la filière viti-vinicole » et sera animée par Rodolphe Wartel, directeur général de Terre de Vins.