Pourquoi le bassin de Lacq est à l'arrêt - Premium

C’est sans doute le paysage qui caractérise le mieux le bassin de Lacq, une image en deux plans pleins de contraste à l’arrière-plan les sommets enneigés des Pyrénées, au premier plan, une forêt de cheminées fumantes. Mais ce jour-là, à l’arrière-plan, la neige fond à vue d'oeil, et au premier plan, pas trace d’un volute de fumée. Depuis le 3 avril et jusqu’au 28 mai, le bassin de Lacq est arrêté. Il est même en « Grand arrêt ». C’est une exigence réglementaire : tous les six ans, les machines s’arrêtent pour une grande opération de maintenance.« Ça fait deux ans que l’on a une cellule arrêt qui liste les travaux nécessaires, les unités à réparer, que l’on recherche des prestataires qui vont pouvoir intervenir sur ces travaux », se souvient Yves le Borgne, responsable de la communication de la Sobegi et coordinateur de l’association Universlacq. L’arrêt de son entreprise est d’une importance toute particulière : celle-ci fournit aux autres industriels du bassin électricité, eau, vapeur… « Quand on s’arrête, souligne-t-il, les autres entreprises ne peuvent plus tourner ». Plus précisément, la production s’arrête… mais le Grand arrêt est très loin de signifier une pause dans l’activité sur le bassin. Au contraire, durant ces deux mois, il se transforme en une véritable fourmilière. « On ouvre toutes nos unités, on fait de très nombreuses réparations, sur les vannes par exemple, on vérifie l’état des canalisations, on remplace des torches, on nettoie des pièces… », dénombre Yves le Borgne.Des opérations planifiées depuis deux ans« Toutes ces choses-là sont timées, minutées, organisées, prévues depuis deux ans, raconte Bertrand Leroux, directeur de l’établissement Arkema de Lacq-Mourenx. On est à 1.400 éléments à inspecter sur notre site, 600 sur le site de Mont ». « Une inspection, pour une grande cuve, ça signifie la vider, l’assainir, la nettoyer, développe son homologue du site de Mont, Thierry Chassagne. On fait ensuite pénétrer des gens à l’intérieur avec des équipements de protection et on l’inspecte pour vérifier que l’équipement répond à la réglementation, qu’il n’a pas de défaut et peut refaire un run de 6 ans de production. »Le Grand arrêt est aussi l’occasion de déployer de nouveaux équipements. « Ces arrêts sont toujours des moments privilégiés pour faire des investissements sécurité et environnement », explique Bertrand Leroux. Par exemple, les conduites reliant les deux ensembles du site de Lacq-Mourenx, qui passaient au-dessus du gave de Pau, vont être remplacées. « En octobre dernier, on a fait un forage et passé deux nouvelles conduites sous le gave, détaille-t-il. Lors de l’arrêt, on va les connecter au réseau, pour qu’elles soient opérationnelles au démarrage ». Le site remplacera également son ancienne fosse à soufre, qui montrait des signes de corrosion et posait des difficultés de maintenance, par « un stockage aérien de soufre dans lequel on a pu beaucoup mieux positionner les postes de travail pour la maintenance ». Du côté de Mont, le Grand arrêt va permettre des optimisations de procédé afin de réduire l’impact environnemental de la production. Au total, pour Arkema, les investissements réalisés durant la période se chiffrent à plusieurs dizaines de millions d’euros.À lire également - Usine Alpha Chitin : 2024 sera l'année de la montée en puissanceC’est aussi un bouleversement logistique. Un peu comme l’arrêt progressif d’un paquebot, l’arrêt de l’activité doit être soigneusement organisée et planifiée. En aval de l’entreprise, d’abord : « Quand on prépare un arrêt comme ça, reprend Thierry Chassagne, il faut faire une montée en stock de produits finis, pour permettre de passer cette phase d’arrêt tout en continuant de livrer. Selon les produits, cela prend entre un et deux ans ». Et en amont, ajoute le directeur du site de Mont, « on définit avec nos fournisseurs un timing d’arrêt progressif des livraisons de matière première pour pouvoir finir à zéro le jour de l’arrêt. »Des milliers de sous-traitants« On change aussi d’organisation, souligne Bertrand Leroux. D’une organisation usine classique, on passe à une orga projet, avec un responsable d’arrêt qui gère toute l’équipe ». Il faut aussi gérer les employés des très nombreux sous-traitants qui débarquent sur le site durant ces deux mois. « On installe des bases de vie, des bureaux où ils vont pouvoir s’installer, détaille Yves le Borgne. C’est toute une logistique spécifique ». Sur le site de Lacq-Mourenx d’Arkema, on dénombrera 800 intervenants extérieurs au pic de l’activité, 350 sur celui de Mont, et des dizaines d’entreprises sous-traitantes allant de la maintenance industrielle classique aux opérateurs de drones nécessaires à certaines inspections. Il faut permettre leurs déplacements, leur trouver des places de parking, mais aussi assurer leur sécurité sur des sites parfois très sensibles. « C’est aussi pour cela que notre personnel est important pendant cette période, ajoute Bertrand Leroux. Il a une fonction d’encadrement pour ces équipes, qui arrivent de partout et ne connaissent pas nos équipes, nos produits : il est important qu’on les encadre pour s’assurer qu’ils vont appliquer correctement nos règles et ne pas se mettre en danger. »D’autant plus que tous ces sous-traitants ne sont pas issus des entreprises locales. « Des milliers de sous-traitants vont graviter sur toute la plateforme de Lacq, explique Thierry Chassagne. C’est impossible de trouver cette main-d'œuvre qualifiée uniquement en local, les entreprises béarnaises sont saturées pendant cette période ». Ce sont donc des travailleurs venus de toute la France qui vont se presser dans les usines de Lacq, mais aussi d’ailleurs en Europe… avec, à la clé, la nécessité d’assurer la traduction des consignes. « On a prévu des interprètes qui seront là à la fois lors des formations de sécurité et lors de la phase de travaux, des personnes parlant italien, polonais, roumain… » détaille Bertrand Leroux.À lire également - Le territoire d'industrie Lacq-Pau-Tarbes reconduit, 4 milliards d'euros d'investissements prévus« Chaque entreprise gère son Grand arrêt individuellement, explique Yves le Borgne, avec ses propres équipes et prestataires, mais il y a une coordination sur les sujets communs que sont par exemple la sécurité et la voirie… ». Chacune prévoit aussi, dans son budget 2024, une activité amputée de deux mois sur douze, avec un impact à l’avenant sur le résultat opérationnel et le chiffre d’affaires. Quant au redémarrage de l’activité des usines de Lacq, il débutera le 4 mai prochain. Sur tous les sites du bassin, la production reprendra alors peu à peu. « La phase de remise en production de l’unité prend une dizaine de jours, explique Thierry Chassagne. Il y a un peu d’inertie avant retrouver notre capacité nominale, nous avons pour objectif d’être revenus à notre niveau de production habituel d’ici à la fin du mois de mai ». « Quand on arrête une installation comme la nôtre, ajoute Bertrand Leroux, on démonte 1.500 instruments. Derrière, il faut tous les retester, vérifier l’étanchéité de tous les équipements, la montée en température… C’est forcément assez long. »

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