Touch Sensity lève 1M€ pour « faire parler la matière »
Anna Pugach et Mehdi El Hafed, cofondateurs de Touch Sensity - photo DR
Touch Sensity développe une technologie sans capteur qui permet de détecter, mesurer et caractériser en temps réel les interactions physiques ou mécaniques avec un matériau. Tournée en premier lieu vers les usages industriels, sa solution intéresse déjà les secteurs de l’aéronautique, du ferroviaire et de l’industrie.
Sera-t-il possible demain de détecter en temps réel les pressions, chocs et déformations subies par l’aile d’un avion ou le nez d’un train lancé à grande vitesse ? C’est en tout cas la promesse formulée par la startup Touch Sensity, qui vient de lever 500.000 euros auprès des fonds d’investissement Newfund Nouvelle Aquitaine – Euskal Heria (NAEH), NACO (animé par Aquiti Gestion), SkalePark et Techno’Start. Ce tour de table est complété par un montant équivalent obtenu sous forme de dette bancaire et de subventions en provenance de Bpifrance et de la région Nouvelle-Aquitaine, ce qui porte à 1 million d’euros les fonds réunis par la startup pour assurer son développement.
Touch Sensity prend naissance dans les projets de recherche menés par Anna Pugach au cours de son doctorat en robotique et sciences cognitives, avec comme idée de départ le développement d’une peau « sensible » destinée à des robots. L’idée est ensuite déclinée ensuite en direction d’un textile connecté capable de mesurer les angles articulaires pour la prévention des troubles musculosquelettiques lors de travaux menés à l’Inria. Suite à sa rencontre avec Mehdi El Hafed, Anna Pugach réoriente finalement le projet en direction du monde industriel, avec l’idée de concevoir une technologie capable de mesurer, modéliser et caractériser en temps réel les contraintes mécaniques subies par un matériau. La startup, accompagnée par Bordeaux Technowest depuis sa création et lauréate du Medispace Challenge d’Airbus, voit le jour en décembre 2019.
« Nous avons conçu un système embarqué, de la taille d’une carte de visite, qui est capable d’envoyer un signal à l’intérieur d’un matériau, puis de le récupérer pour en étudier les déformations par comparaison. Nous sommes ainsi capables de mettre en évidence des changements structurels, que ce soit sur des matériaux souples de type polymères ou des matériaux rigides comme des composites », résume Anna Pugach. Le système est non invasif, par opposition à des outils de mesure basés sur de l’infrarouge ou des ultrasons, qui supposent la mise en place de capteurs dédiés. « Nous utilisons plusieurs points de contact, à partir desquels nous réalisons une sorte de triangulation. A partir de là, nous sommes capables de mesurer et localiser en temps réel les déformations. On peut ainsi se positionner sur de la maintenance prédictive, en mesurant en temps réel l’état de santé d’une pièce, ou sur du contrôle non destructif, pour mesurer par exemple la qualité des pièces en sortie de chaîne de production », complète Mehdi El Hafed.
Touch Sensity développe à la fois le système embarqué dédié à la mesure, mais aussi les algorithmes mathématiques qui vont mesurer les déformations. La startup, qui compte aujourd’hui 9 collaborateurs à plein temps, utilise l’intelligence artificielle pour compléter sa modélisation quand le nombre de paramètres est insuffisant pour exercer son modèle mathématique. Elle ambitionne ainsi de proposer un système complet, allant de l’acquisition au traitement des données. L’ensemble fait déjà l’objet de plusieurs expérimentations (preuves de concept), chez des industriels de l’aéronautique ou du ferroviaire. Elle envisage plusieurs niveaux d’intégration : d’abord au niveau des bancs d’essai, puis sur les lignes de production, et enfin directement sur des pièces en exploitation, pour réduire les délais de maintenance ou lever les alertes en cas de soupçon de défaillance.
La levée de fonds doit permettre à Touch Sensity, jusqu’ici financée sur fonds propres, de poursuivre sa R&D tout en disposant du fonds de roulement nécessaire à la mise en œuvre de projets plus conséquents, notamment autour des matériaux composites. Au-delà des usages industriels de type maintenance prédictive, la startup étudie des débouchés prometteurs en matière d’interfaces homme machine (IHM), puisque sa technologie permet de concevoir des surfaces tactiles sans capteur, un peu à la façon de ce que proposera bientôt une autre jeune pousse implantée dans la région, Symbiose, spécialiste de la plastronique. « La seule chose qui change pour nous, c’est le traitement du signal, pour déclencher une rétroaction », illustre Anna Pugach. Les deux fondateurs indiquent avoir déjà noué des contacts avec une quarantaine d’industriels intéressés par leur « sensity tech », et prévoient une nouvelle levée de fonds à l’horizon 2022 pour porter leur projet plus largement à l’international. Ils seront fin juin au salon Vivatech de Paris avec onze autres startups girondines via la délégation Nouvelle-Aquitaine.