"On peut fabriquer à La Rochelle l'avion léger de demain" - Premium

Comment est née l’idée de votre entreprise ? Je voulais proposer un avion de formation pour les futurs pilotes de ligne, plus propre et globalement meilleur que ce qui existe sur le marché. Les avions actuels ont été conçus dans les années 1950 donc on a soixante-dix ans de technologie à rattraper, ce qui est une énorme opportunité de faire mieux. En revanche, s'il n'y a eu personne pendant tout ce temps, c'est que la barrière à l'entrée est colossale. Ceux qui se sont installés à l'époque ont réussi à créer des réglementations très dures à abattre pour qu'un nouvel entrant puisse y parvenir. Il y a deux majors américaines qui pèsent des milliards et trois autres à l'international qui pèsent pas loin du milliard chacune. On est un peu le petit poucet à essayer d'aller faire notre place sur ce marché avec à peu près 140 personnes à plein temps, plus des prestataires. Depuis la création d’Elixir Aircraft en 2015, le parcours réglementaire a été très difficile puisqu’on a pu livrer notre premier avion seulement en 2022. Aujourd’hui, l'objectif est d'être capable, d’ici trois à cinq ans, de livrer à peu près 400 avions par an du modèle que l'on a et d’atteindre entre 500 et 1.000 collaborateurs à l’échelle locale. Notre marché va être principalement à l'export et on s'attend à ce que 70 à 80% de nos livraisons se fassent vers l'Amérique du Nord. C'est aussi une grosse opportunité de faire rentrer des capitaux sur notre territoire. Pour décarboner vos avions, vous utilisez notamment une technologie issue du monde la voile de compétition… Quels sont les liens entre le nautisme et l’aviation ? La petite aviation n'a pas innové depuis soixante-dix ans et en fait on est quasiment resté au niveau des pionniers qui ont fait voler des avions avec du bois, du tissu et des moteurs de moissonneuse-batteuse, il y a un peu plus de cent ans. Cela a un peu évolué pendant les cinquante premières années de l'histoire de l'aviation, puis ça a stagné complètement dans l'aviation légère. Les avions font du bruit et utilisent de l'essence plombée alors que dans l'automobile, ça fait pas loin de trente ans que c'est interdit. Ils ne sont pas très performants et tombent souvent en panne donc coûtent de l’argent au lieu d’en rapporter. L’idée était de proposer un avion beaucoup moins cher à l'utilisation et beaucoup plus propre en réduisant les émission de CO2. En 2014, je suis allé voir l'électrique, les piles à combustible, l'hydrogène mais il n’y avait rien d’industrialisé. J’ai donc voulu tirer la quintessence de tout ce qu'on peut trouver : le meilleur moteur à essence disponible pour faire un avion le plus léger et le plus aérodynamique possible. C’est là que le nautisme de compétition avec la course au large est très intéressant car des technologies basées sur le composite ont été développées avec des types de structures qui font qu'on fait moins cher, plus vite, plus solide. C'est aussi moins lourd donc il y a besoin de moins d'énergie pour le déplacer. Cette technologie utilisée depuis vingt-cinq ans pour faire des mâts, des safrans ou encore des dérives, on l’applique à l’avion. Un avion classique c'est 16.000 références, un Elixir c'est 700 références. C’est beaucoup plus facile à fabriquer, à entretenir et moins cher. On peut donc le fabriquer en France, à La Rochelle, face à des gens qui le font dans des pays à bas coût. C’est une fierté pour nous d'arriver avec un produit qui coûte le même prix sur le marché mais qui est fait en France, là où les autres ne peuvent pas le faire. Vos objectifs sont d’industrialiser la production de votre avion et de développer d’autres modèles pour devenir l’un des constructeurs qui remplacera la flotte des avions de formations des années 1970, ce qui représente près de 20 000 aéronefs. Quelle est votre stratégie pour y arriver ?En 2014, Airbus et Boeing tiraient déjà la sonnette d'alarme en disant que dans quarante ans, il n'y aura pas assez de pilotes si on continue à en former aussi peu à l'échelle de la planète. Il y a plein de problèmes qui font qu'on ne sait pas former autant de pilotes du jour au lendemain mais l'avion de formation est le plus gros problème. C’est un des critères qui fait que l’on vise ce marché des avions pour la formation. Airbus est aujourd'hui notre plus gros client car ils sont conscients de ce problème de formation des pilotes et ont des écoles. Ce besoin global mondial d'avoir des avions de formation plus propres fait que l’État veut qu'on arrive à en livrer et en vendre à l'étranger. Nous avons donc reçu une aide de 13 millions d’euros en juin 2023 et en 2015, nous avions reçu une aide de la région Nouvelle-Aquitaine de 178.000 euros. En 2018, nous avons aussi participé à un concours européen des entreprises innovantes et nous avons terminé premier sur 2.000 entreprises. Nous avons reçu une subvention de 3 millions d’euros qui nous a permis de créer notre usine. On a réussi à prouver qu'on savait livrer des avions de A à Z, mais on ne sait pas encore le faire en masse. Nous allons donc signer en début d'année prochaine un permis de construire pour une nouvelle usine de 15.000 m² sur l'aéroport de La Rochelle. L’aide de l’État de 13 millions d’euros sera donc principalement dédiée à cette usine et à développer des moyens pour produire nos avions. Qui dit industrialisation, dit besoin de main d’œuvre, vous allez recruter plus de 1.000 collaborateurs à La Rochelle. Quelle est votre stratégie de recrutement ? Il n'y a pas de solution miracle pour trouver de la main d’œuvre, c’est un des principaux problèmes que l’on a. La solution, c'est de mettre beaucoup d'énergie. Depuis deux ans, on a quatre personnes à plein temps sur les ressources humaines dont des chasseurs de têtes en interne. On fait beaucoup d'efforts pour qu'on parle de nous localement mais aussi à l'échelle nationale pour attirer des gens qui s'intéressent à l'aéronautique. Il faut se donner à fond sur le sujet, être attractif, proposer des conditions de rémunération adaptée, aider les candidats pour le logement donc chasser des logements locatifs pour les périodes d'essai… Construire un avion c'est une chose, mais le faire certifier en est une autre, d'autant plus à l'échelle mondiale. Comment vous structurez-vous pour cette phase incontournable ? On a commencé par une certification européenne et en ce moment on travaille sur la validation aux États-Unis qui est la plus répandue, puis ensuite il faudra faire tous les autres pays du monde. Pour avoir le droit de vendre notre avion, c'est un peu comme un médicament, il nous faut une autorisation de mise sur le marché. Quand on a créé l'entreprise, on a cherché des fonds, des investisseurs et tous les gens qui étaient dans l’aéronautique nous ont dit « n’y allez pas, c’est impossible ». Ceux qui ont accepté d'investir chez nous ne connaissaient pas l'aéronautique et ont été assez fous pour nous accompagner à l'époque, notamment à cause de ces problèmes de réglementation. Un nouvel entrant sur le marché qui produit ses avions de A à Z, il n'y en a pas eu en France depuis trente ans. Il n’y avait plus personne sachant juger qu’un nouvel entrant était apte, que ce soit à la certification ou au contrôle de nos productions. Personne ne savait utiliser les procédures. Pour résumer, en janvier 2014, je m'inscris à une formation sur l'entrepreneuriat à la CCI de La Rochelle. En septembre 2014, deux amis me rejoignent à plein temps et m'aident à travailler sur la conception, le développement de l'entreprise, la réglementation… En août 2017, l'avion vole avec un pilote cobaye. Ensuite, il a fallu cinq ans pour avoir le droit de livrer cet avion à cause de la problématique réglementaire. Cela a demandé beaucoup d’énergie, de ténacité et de résilience.Au salon du Bourget, vous avez une commande d'une école de pilotage dans l'Arizona, ça veut dire que vous êtes déjà à la conquête du marché américain ? Quand on a créé l'entreprise pour prouver à des investisseurs, à des banques qu'il fallait nous faire confiance, on a mis en place un système de précommande. Cela nous a permis avant même de faire monter un premier client dans l'avion, d'avoir 150 précommandes exclusivement en France. Ensuite, on a réussi à mettre en vol l'avion et à prouver qu'il répondait aux exigences et aux espérances. Et on s'est dit qu’il fallait aller attaquer le marché américain donc on a emmené un premier avion l'année dernière sur un salon aux États-Unis. On est revenu de ce salon avec 90 précommandes alors qu’ils n’avaient jamais entendu parler de nous. Mais on ne veut pas de commandes fermes tant qu'on n'a pas la certification là-bas. Aujourd'hui, on a 350 précommandes pour les États-Unis et il y a cette école de pilotage américaine qui s'est intéressée à nous et en précommandé cent. C'est colossal pour nous mais on s'attend de plus en plus à ce type de commande sur les trois à cinq ans qui viennent. Il y a d'autres entreprises sur le marché de l'aviation légère, comment arrivez-vous à vous différencier ? Et avez-vous le soutien des grands industriels du secteur ? A l'échelle de la planète, il y a deux nations aéronautiques principales : les États-Unis et la France. On a VoltAéro à Rochefort et Aura Aero à Toulouse mais nous ne fabriquons pas les mêmes avions donc nous ne sommes pas du tout concurrents. Nous avons un avion de formation de base biplace, VoltAéro aura un avion de formation de voltige biplace et Aura Aéro a un projet de développer un avion de transport régional de 19 places électriques. On a mis en place des groupes de travail où on partage énormément de compétences. Cette collaboration est juste géniale et on a la chance d'avoir un support massif de l’État avec des subventions, mais aussi des appuis réglementaires et du lobbying à l'échelle internationale. Pendant sept ans, les industriels ne nous ont pas aidé et dans les mois qui ont suivi notre certification, on a réussi à mettre en place un projet collaboratif avec Airbus et Daher, cofinancé par l'État pour travailler sur un avion six places, une sorte de d'avion à hélices. On leur montre comment nos innovations peuvent les impacter, comment ils peuvent les utiliser et en retour, Il y a aussi d'autres sujets sur lesquels ils se sont engagés à nous aider. On a fait beaucoup sans eux, mais on ne veut plus faire sans eux. Récemment, vous avez participé à une journée organisée par le Pôle Aerospace Valley qui a rassemblé des avionneurs, des opérateurs et des aérodromes pour faire le point notamment sur les leviers d’attractivité des territoires, les énergies et infrastructures à déployer. Quels vont être les points stratégiques sur lesquels l’ensemble des acteurs va devoir travailler ? Pour faire un avion plus propre, il faut faire plus léger et plus aérodynamique pour avoir moins de puissance donc consommer moins de carburant. C’est la seule vraie solution concrète pour décarboner dès maintenant. Notre avion consomme 70% de moins de carburant que nos avions concurrents donc on émet même un petit peu plus que 70% de moins de CO2 que nos concurrents. La deuxième étape va être de changer le mode de propulsion et c'est là où les aéroports et toute la chaîne vont devoir se remettre en question. Actuellement, les avions légers utilisent de l'essence plombée, chose qui est interdite dans nos voitures depuis des années. Notre avion peut consommer de l'essence plombée ou sans plomb donc on booste les aéroports pour mettre à disposition l'essence sans plomb qui fait gagner 15% de CO2 en moins. La suite, ce sera de changer complètement le mode de propulsion. Avec l’électrique, on ne vole pas longtemps donc ça ne répond pas à beaucoup de missions de formation ou même de voyage. L’hydrogène est génial sur le papier car on est capable d'avoir une bonne autonomie mais c’est dangereux et on ne sait pas stocker l’hydrogène liquide. Ce sont d'énormes défis technologiques qui vont prendre très longtemps et il va falloir que les aéroports soient capables de faire des changements massifs pour fournir des puissances électriques phénoménales pour charger les avions rapidement. En revanche, il y a une autre opportunité qui est de transformer le kérosène en bio kérosène, ce qui permettrait d’utiliser la chaîne de distribution actuelle. On a choisi cette piste car les gros avions n’auront pas d'autres solutions que d'utiliser du biocarburant. Il y en aura partout dans dix à vingt ans. Si tout va bien, au premier semestre de l'année prochaine, on fait voler un Elixir avec un nouveau moteur qui boit des biocarburants avec pour objectif d’avoir -90% d’émissions de CO2 par rapport à la moyenne des avions de formation qui existent. La conclusion de cette journée Aerospace Valley, c'était : mettez-nous à disposition les carburants ou les énergies dont on a besoin demain et le plus vite possible pour qu'on puisse tester, essayer, voir là où ça ne va pas et progresser.Tous à Bord #3 a réuni une partie des adhérents de Placéco Charente-Maritime au restaurant Le Zèbre à La Rochelle. Photo : Maxime Trève.Elixir AircraftSAS fondée en décembre 2014Siège social : La RochelleEffectif : une centaine de personnesCA : NC

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