Nicolas Chabanne : « Le consommateur a un super-pouvoir, protéger les producteurs » - Premium

Sa brique de lait bleu au logo ultra-simple parle à beaucoup. Nicolas Chabanne, fondateur de la marque C'est qui le patron?!, défend le modèle coopératif de consommateurs. Forte d'une fulgurante ascension, C’est qui le patron ?! est devenue la marque alimentaire la plus vendue en France parmi celles créées ces dix dernières années. Alors que la tendance est à la baisse drastique des coûts, elle se développe sur des prix un petit peu plus élevés mais assurant l'engagement des consommateurs. La marque parisienne affiche 126 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024 avec une croissance de 11,8 %. Comment est née la société C'est qui le patron?! ?En 2016, lors de la crise du lait, nous sommes plusieurs consommateurs ne supportant plus que les producteurs ne gagnent pas leur vie. Ils disparaissent les uns après les autres, les exploitations ferment. À l'époque, il y a un suicide par jour. Alors que c'est notre argent, nos achats, qui alimentent le marché global. Sur le lait, on se rend compte que les producteurs dans la Bresse perdent 120 euros par jour. Quotidiennement, ils démarrent les machines en sachant qu'ils perdront de l'argent le soir. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche et on redémarre le lundi… Tout ça pour nourrir les autres. Donc on se tourne vers les grandes marques pour leur demander ce qu'elles peuvent faire car on n'a pas envie d'être complices de cette situation. Elles ne font rien. Donc on prend les choses en main. On part de la question « combien d'argent manque-t-il sur un litre de lait pour que le producteur puisse vivre correctement ? » On se rend compte que c'est huit centimes par litre. Un habitant consomme 50 litres par an. Il faut donc quatre euros par an à rajouter pour que le producteur gagne sa vie. Depuis presque neuf ans, la marque bénéficie d'une forte croissance. Comment l'expliquez-vous ? C’est un succès au-delà de nos espérances. Nous sommes la nouvelle marque (née depuis dix ans) la plus vendue en France, parce que nous sommes solidaires. Les gens veulent avoir un impact. Ils savent que leur acte d'achat est un acte de soutien pour une société plus juste. La marque commercialise plus de 128 millions de produits, sur le même principe. Notre brique de lait est la plus vendue en France, les œufs sont troisièmes et les yaourts, deuxièmes. Il faut bien comprendre l'espoir que cela représente pour les producteurs. Ces chiffres démontrent que le monde économique classique n'a pas créé une marque qui se vend plus que la nôtre. Et, contrairement à ce que le système classique promeut, elle n'est pas première parce qu'elle est la moins chère, mais parce qu'elle permet aux gens de changer la vie des producteurs avec seulement quelques centimes. Cela démontre que la mécanique du prix le plus bas des modèles « d'avant » n'a pas d'avenir face à la volonté des consommateurs d'agir, de vérifier à quoi est employé leur argent.À lire également : Pourquoi les fromageries Onetik et Etxaldia financent des remplacements d'agriculteursSur quelles bases, au tout début, avez-vous construit le prix du litre de lait solidaire ? On s'est basé sur le prix du lait le moins cher du marché. C'était 68 centimes d'euros. On a rajouté les huit centimes qui permettent au producteur de vivre de son métier. Puis on a ajouté cinq centimes pour une alimentation animale sans OGM et quatre centimes encore pour garantir un élevage des vaches pendant trois à six mois dans les pâturages. Voilà comment, en 2016, nous avons fixé nos prix. Par la suite, les sociétaires ont voté une augmentation pour suivre le cours de l'inflation. Les prix votés par nos sociétaires sont affichés sur nos produits donc difficile, ensuite, pour les grandes entreprises d'essayer de négocier ! Le fait que ce soient les sociétaires, donc des consommateurs, qui choisissent le prix qu'ils sont prêts à payer assure le vendeur que le produit sera acheté.Votre modèle économique est donc fondé sur un acte politique ? Oui en quelque sorte ! Celui du consommateur, du « consomm'acteur ». Si à un moment donné les consommateurs sortent du « poussage de caddie » et de leurs habitudes à acheter ce que leur propose la com' et le marketing, ils agissent. Ils prennent conscience qu'il y a une solution à portée de main, à peu près dix centimètres de notre main droite ou de notre main gauche. Ça s'appelle un acte d'achat.À lire également : Francis Stéphan : « L'engagement est rentable »À quel moment l'acte d'achat isolé devient un phénomène? La marque compte 15 000 sociétaires et commercialise une trentaine de produits. Les sociétaires ont commencé à donner un peu plus que leur argent - leur temps pour gérer la structure. Puis le bouche à oreille a joué. Chez les animaux, c'est ce que l'on appelle la « murmuration ». Dans un vol d'étourneaux ou un banc de poissons qui évoluent dans une coordination parfaite, il n'y a pas un individu qui donne l'impulsion. C'est une intelligence collective qui s'empare du groupe et lui fait faire ce qu'aucun individu n'aurait pu faire faire au groupe tout entier. Donc, sans doute y a-t-il une part de murmuration dans l'explication du succès solidaire de l'aventure de C'est qui le patron?! Aujourd'hui, la marque compte 16 millions d'acheteurs.Néanmoins tous les consommateurs n'ont pas le budget pour choisir un produit un peu plus cher et solidaire. Prenez-vous en compte cette réalité ? Oui, il y a 30 % de familles en France qui ne peuvent faire ce choix et il faut faire tout ce qu'on peut pour qu'elles puissent quand même arriver à nourrir leurs enfants. Prendre aussi conscience que 30 % c'est énorme. Mais n'oublions pas que 70 % des gens peuvent rajouter quelques centimes pour être utilisés à des choix utiles.À lire également : « Arrêtons d'opposer rentabilité de l'entreprise et épanouissement individuel »Ressentez-vous une prise de conscience globale ou une plus forte envie d'agir chez les consommateurs ? Je trouve qu'il y a une nouvelle prise de conscience. Je pense que nous sommes nombreux à comprendre que le court terme en économie finit par se payer. Nous sommes nombreux à prendre conscience que si j'économise aujourd'hui, les conséquences seront beaucoup plus coûteuses. Dès lors que l'on traduit les conséquences climatiques, sanitaires ou sociétales en données financières, on comprend que payer le juste prix aujourd'hui évite une addition salée par la suite. Ça, c'est nouveau selon moi. Le choix des consommateurs ne se pose plus uniquement sur les produits alimentaires ou vestimentaires. Aujourd'hui, on choisit telle assurance parce qu'elle partage nos valeurs, on investit dans tel Ehpad parce qu'on sait que les pensionnaires y sont choyés et la nourriture est bonne, etc. La conscience est plus ouverte sur ces points. Les entreprises qui y sont attentives prendront donc une longueur d'avance.Quelle est la prochaine étape, collective, selon vous pour avancer vers une société de consommation plus équitable ? Quand on comprend que l'acte d'achat est un levier d'action, un acte politique, on sait que l'on détient un pouvoir. Il n'y a pas un centime du monde économique qui ne provienne pas des poches des consommateurs, citoyens. Cela représente 1 600 milliards d'euros, soit la dépense des ménages en France. Donc l'urgence maintenant est d'identifier les entreprises qui méritent que cet argent, pas facile à gagner, soit amené jusqu'à elles.

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