Comment Euralis veut réduire son empreinte carbone de 30% en 2030 - Premium

Qu’est-ce que l’Oleo100 et pourquoi l'avoir choisi ? C’est un biocarburant, ou agrocarburant, produit à partir d’huile végétale ou d’un corps gras, avec une transformation chimique assez simple, il peut être utilisé dans les moteurs diesel. On l'emploie depuis plus de vingt ans en France, en Europe, dans le monde. Ce sont des technologies éprouvées, mais historiquement plutôt pour les voitures légères. Dans le transport lourd, les solutions de décarbonation sont encore en construction. L’électrique n’est pas toujours performant sur des longues distances, l’hydrogène n’existe pas encore vraiment… Si l'on veut quelque chose immédiatement utilisable, avec un surcoût limité et une réduction immédiatement quantifiable des émissions de gaz à effet de serre, le biocarburant est une bonne solution. Nous avons donc mis en place un accord avec l’entreprise Saipol, une filiale du groupe Avril qui produit de l’huile et des biocarburants et nous livre depuis leur usine de Bassens [en Gironde, ndlr]. Nous travaillons avec eux depuis longtemps, nous leur fournissons du colza et du tournesol. Maintenant, une partie de ces livraisons vont permettre de produire des biocarburants pour notre logistique, avec pas, ou très peu, de surcoûts.Combien de camions sont-ils concernés par cette démarche ? Aujourd’hui, cette démarche est en train de démarrer. Elle concerne cinq camions et va nous faire économiser à peu près 300 tonnes de CO2 par an. Le chiffre peut paraître dérisoire, mais il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Nous avons quinze camions supplémentaires que l’on pourrait aussi faire passer au biocarburant dans les prochaines années, et donc économiser entre 1.000 et 1.500 tonnes par an d’équivalent CO2. La réalité fait que l’on ne peut pas atteindre 100% de notre logistique en biocarburant aujourd’hui : notre activité de transport a principalement lieu pendant la collecte de céréales, c’est-à-dire, pendant deux mois dans l’année.À lire également - Sanders Euralis : les dix ans d'une « bonne idée »Pourquoi lancer cette initiative maintenant ? Ça fait une petite année que l’on travaille sur le sujet. C’est une démarche volontaire, qui s’inscrit dans le cadre de notre stratégie RSE et de la stratégie de décarbonation qui en fait partie. Aujourd’hui, nous n’avons aucune obligation réglementaire de décarboner nos flux, mais depuis deux ou trois ans, nous nous sommes inscrits dans une trajectoire de décarbonation et de durabilité au sens large.Le scope 3 « représente 80% de nos émissions »D’où partez-vous ? Nous avons fait un bilan carbone il y a deux ans. Le groupe Euralis dans sa globalité, c’est-à-dire usines, salariés, agriculteurs, c’est à peu près un million de tonnes d’équivalent CO2 par année. Nous avons voulu prendre notre part dans la décarbonation de l'agriculture française. On a aussi choisi de labelliser notre démarche avec le label SBTi qui permet de se fixer des objectifs de décarbonation basés sur la science et de vérifier que les objectifs et les temps d’action que nous mettons en place vont dans la bonne direction et sont concrets. Nous avons par exemple un certain nombre de processus industriels qui fonctionnent au gaz, et nous avons comme projet de les faire passer en biomasse, soit avec les produits de nos usines, soit en développant des filières. Et s’il n’existe pas de solution technique viable pour une usine donnée, par exemple parce qu’elle est trop petite, nous travaillons aussi au pilotage de la consommation d’énergie. Mais la majeure partie du travail que l’on doit faire concerne le scope 3, c’est-à-dire, dans notre cas, les agriculteurs. Ils représentent 80% de nos émissions, notamment par l’usage d’intrants. Nous sommes en train de mettre en œuvre un gros chantier pour leur apporter de nouvelles solutions qui leur permettront d’émettre moins de carbone.L'initiative SBTi [Science-based targets initiative, initiative d'objectifs fondés sur la science] est un partenariat créé en 2015 dans le contexte de la COP 21, entre le Carbon Disclosure Project (CDP), le Pacte mondial des Nations unies, le World Resources Institute (WRI) et le Fonds mondial pour la nature (WWF). Elle propose aux entreprises de faire de leur transition vers une économie bas carbone un avantage compétitif. Pour cela, elle cherche à s'assurer de l'adéquation des objectifs de réduction des gaz à effet de serre que se fixent les entreprises avec les données des sciences du climat. En mars 2024, près de 8.000 entreprises participaient à l'initiative, dont plus de 3.000 s'étant engagées sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatibles avec l'objectif de 1,5 °C de réchauffement maximum Quelles sont ces solutions ? Par exemple, apporter des engrais verts, ou bien leur fournir des outils pour utiliser les engrais de façon plus intelligente avec de la pulvérisation plus précise, en faisant en sorte qu’il y ait le moins d’évaporation possible de l’engrais. Nous sommes très concentrés sur les intrants, les nouvelles façons de produire les cultures, à partir de cahiers des charges que l’on demande aux agriculteurs de respecter, en garantissant en échange des volumes et des primes. Pour ça on a besoin de l’aide de nos clients, pour qu’ils valorisent les changements de pratiques agricoles. Pour un agriculteur, changer ses pratiques, c'est prendre un risque, il faut le récompenser et le valoriser.Objectif 30% pour 2030Quels objectifs vous fixez-vous ? Notre objectif est de décarboner de l’ordre de 30% à l'horizon 2030. Cela passera à 20% par de la décarbonation, via les trois axes de travail que nous avons évoqué, le transport, l’énergie et les intrants. Les 10% restants seront atteints avec des mécanismes de compensation, en développant des cultures de biomasse qui captent beaucoup de carbone. Ce sont les objectifs qui nous sont donnés par SBTi. Nous acceptons cette contrainte et faisons tout pour construire un plan d’action qui nous permette de les atteindre.Avec des points de passage précis ?2030, c’est pratiquement demain. C’est ce que nous mettrons en place dans les 24 prochains mois qui nous permettra d’atteindre ces objectifs. Certaines entreprises se fixent des objectifs à 2040-50, notre ambition est déjà de réussir le court terme. Ce -30% que nous nous fixons sera labellisé SBTi. Pour l’obtenir, il faut faire valider sa stratégie RSE et son plan d'action par des tiers extérieurs, spécialistes du sujet. Nous avons deux ans pour le faire valider, c’est un premier jalon. Ensuite, nous nous sommes aussi fixé des objectifs annuels, pas uniquement sur le carbone, mais aussi sur la biodiversité, les politiques sociales… et nous réviserons tous les ans la mise en œuvre de notre plan d’action.« Nous recherchons des solutions économiques sujet par sujet »Quel budget avez-vous alloué à votre effort de décarbonation ? Nous n’avons pas un budget global, notre approche est différente : pour chaque initiative, nous cherchons un modèle économique. Typiquement, mettre en place des nouveaux cahiers de charges et des nouveaux itinéraires culturaux pour les agriculteurs, ça n’est pas évident, il faut les convaincre, trouver des solutions qui fonctionnent bien… il faut pouvoir compenser ou rémunérer le risque. Nous réfléchissons à des solutions pour le faire. Cela peut passer par des primes payées par les clients, mais nous avons aussi réussi à faire approuver un projet multi-acteurs, dans le cadre des appels à projets sur les démonstrateurs territoriaux de France 2030, pour créer un véhicule d'accompagnement de l'innovation agricole en Sud-Ouest. Cela représente plusieurs millions d’euros, qui vont nous permettre de mettre en place des fermes-pilotes, et de démontrer aux agriculteurs qu’il est possible de produire en émettant moins de carbone tout en préservant la biodiversité et en utilisant un peu moins d’eau… On peut aussi prendre l’exemple des chaudières biomasse sur notre site de Lescar. C’est un sujet entre 10 et 15 millions d'euros, nous cherchons des solutions de financement adaptées pour ne pas subir de surcoûts. C’est notre méthode : nous n’avons pas calculé une enveloppe globale, nous recherchons des solutions sujet par sujet. Ces solutions existent en France : France 2030, les fonds de l’ADEME…. Parfois c’est de la subvention, parfois c’est trouver un montage financier, parfois c’est le client qui paye… On assume le fait de se lancer dans l’action sans forcément maîtriser le coût et la méthode. Il faut être humble, on va apprendre aussi en marchant. Je ne peux pas vous dire s’il faut 100, 200 ou 300 millions d'euros pour décarboner Euralis, mais je peux vous dire que l’on a déjà décarboné cinq camions. On a voulu être actifs dès le départ plutôt que d'attendre de tout savoir avant de bouger.À lire également - Rencontres de l'économie agricole : un tableau sombre des perspectives du secteurCet effort, vous le disiez, repose principalement sur la décarbonation des pratiques des agriculteurs. Mais au vu du mouvement de protestation du début d’année, c’est un secteur qui semble très réticent aux réglementations écologiques… Comment faire accepter cet effort ?Notre stratégie de décarbonation est impulsée par le Conseil d’administration d’Euralis, c’est-à-dire par les représentants des adhérents. C’est le Conseil d’administration qui est responsable de ces ambitions, de s’assurer que l’ambition est bien traduite en plan d’action, en objectifs chiffrés et que ces objectifs sont atteints. Chez Euralis, la transformation vers une agriculture plus durable est à la fois commandée et suivie par les agriculteurs et leurs représentants, ce sont eux qui sont les plus gros moteurs de cette transformation. Ils sont conscients du fait que la façon dont on a produit ces cinquante dernières années n'est pas celle des cinquante prochaines, qu’il faut faire évoluer les pratiques. Oui, les anciennes pratiques étaient très confortables et rentables, et on va maintenant vers l’inconnu. Mais c’est leur impulsion qui est le moteur au quotidien.D’où vient ce volontarisme, par rapport aux manifestations du début d’année, qui exprimaient, entre autres, un rejet du plan écophyto ? Il y a une différence fondamentale. Ce que nous mettons en place est volontaire, et c’est aussi tiré par la relation avec nos clients. D’une part, le marché nous demande de produire différemment, et d’autre part, les actions que nous mettons en place sont basées sur le volontariat. C’est très différent psychologiquement d’un couperet réglementaire imposé. Je vois les agriculteurs avec lesquels on travaille tous les jours : aucun n’est anti-biodiversité ou pro-phytosanitaires… ce sont des gens ancrés dans leur territoire, dans le temps, qui ont la culture de la transmission et de la préservation. Par contre, ce qui est insupportable pour eux, c’est de subir des changements brutaux, sans alternative. Ils vivent la loi très différemment de notre travail avec eux : Euralis, c’est leur coopérative, leur projet, leurs clients, et c’est une transformation opérée sur plusieurs années.

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