Economie montagnarde 5/5 : Les infrastructures au cœur des enjeux économiques et environnementaux - Premium

Dans les montagnes béarnaises, les infrastructures de transport sont essentielles au développement économique et aux échanges transfrontaliers. Mais le réseau de routes, ponts, tunnels, etc. présente des défis au plan technique, financier, sécuritaire, et environnemental. À l’image de la route nationale 134 qui sillonne la vallée d’Aspe depuis Oloron jusqu’au tunnel du Somport, lequel débouche en Espagne : selon la Direction Interdépartementale des Routes (DIR) Atlantiques, en 2022 le trafic moyen annuel sur cet axe était de 3.000 à 4.000 véhicules par jour, dont près de 15 % de poids-lourds, les chiffres englobant les deux sens de circulation. Or le tracé, contrairement aux larges routes qu’on trouve côté espagnol, n’a rien d’une sinécure, ni pour les véhicules légers ni pour les camions, et à plusieurs endroits la circulation présente des dangers, engendre de la pollution, et des nuisances pour les riverains, au point que les élus locaux réunis en collectif interpellent régulièrement les autorités. Dans une vidéo adressée au ministre des transports fin 2023, plusieurs maires de communes traversées par la RN134 ont ainsi tenu à alerter : « Les habitants sont soumis à une insécurité permanente », déplorait Jean Sarasola, maire de Gurmençon depuis 2008, réclamant « la déviation, toujours en attente » sur sa commune. Et de s’inquiéter notamment des « 27 camions avec matières dangereuses » qui passent dans les villages au quotidien. « Faut-il attendre qu’il y ait un accident grave pour que nos responsables réagissent ? », concluait l'édile. Le dossier quelque peu enlisé du contournement des localités concernées fait actuellement l’objet d’études pour 2,5 millions d’euros pour les déviations d’Oloron, de Gurmençon et d’Asasp-Arros.Le train Pau-Canfranc, une solution ?Dans ce contexte, la réouverture de la ligne de chemin de fer Pau-Canfranc – voyageurs et fret – pour rallier Saragosse entre autres, pourrait-elle apporter des solutions ? C’est en tout cas le credo du président de Région Alain Rousset, qui milite de longue date pour la réhabilitation de cet axe ferroviaire, abandonné en 1970 suite à un accident. Côté français, les trains ont pour terminus Bedous, et les travaux pour remettre en état l’ensemble des installations vers l’Espagne sont évalués à 800 millions d’euros. Dont la moitié pourrait être financée par l’Europe, et l’autre par l’État. D’où l’appel renouvelé du président Rousset au gouvernement cet été, en coordination avec les autorités espagnoles. « Le franchissement des Pyrénées est d’une importance capitale », a-t-il déclaré à cette occasion. Et de se réjouir des sondages d’exploration en cours en vallée d’Aspe.À lire également - Des trains français à Canfranc « à la fin de cette décennie »Gilles Mesplès, dirigeant de l'entreprise de transports du même nom, basée à Salles-Mongiscard (près d'Orthez) et comptant 320 salariés, se montre quelque peu circonspect. S'agissant de la N134 vers l'Espagne, que ses camions empruntent à raison de 500 allers-retours mensuels, il témoigne : « C'est assez paradoxal : on n'a pas envie de la prendre, mais on est obligés pour des raisons économiques, parce que c'est le chemin le plus court pour aller vers Saragosse, l'Aragon en général, mais aussi la Catalogne. » Évoquant la dangerosité de cette route, où les poids-lourds ont du mal à se croiser à certains endroits, et qui devient périlleuse en cas de pluie, il commente : « C'est un axe sur lequel les chauffeurs ne risquent pas de s'endormir ! Mais il n'est pas adapté : on doit rouler doucement, les voitures ne peuvent pas nous doubler. Pour faire la centaine de kilomètres entre Orthez et Canfranc, il nous faut 2h45, alors qu'on met 1h30 pour cette distance normalement. »Estimant qu'il faudrait élargir la route, indispensable pour les flux économiques des Pyrénées-Atlantiques, Gilles Mesplès pense que si cela n'a pas été fait c'est que ça n'a pas été jugé prioritaire au plan national : « Quand vous regardez la carte de France, depuis Pau, pour aller vers Lérida ou la Catalogne, le plus court c'est le Somport. Alors que depuis Bordeaux, le détour par Irun est un peu plus long en kilomètres mais on le rattrape en temps. » D'autant qu'entre Bordeaux et Pau, l'autoroute A65 « coûte tellement cher que personne ne l'emprunte ». Et plus à l'est, les flux vers l'Espagne filent via l'A9 et Perpignan. Le transporteur considère donc que le tunnel du Somport n'est réellement vital au plan économique que pour le Béarn et le sud des Landes.À lire également - Le Groupe Daniel mise sur l'électrique pour sa flotte de camions Aussi le volet fret prévu pour la Pau-Canfranc ferroviaire lui paraît-il peu pertinent, même s'il est plutôt favorable à l'idée dans l'absolu : « Si le tunnel rouvre, je ne mettrai pas mes camions sur des trains : ce n'est pas rentable », indique-t-il. « Un Espagnol qui part d'Irun le dimanche soir, il arrive en Belgique le lundi matin, illustre Gilles Mesplès. Alors le fret... C'est trop lent. C'est pour ça qu'il y a autant de camions. » Et il est d'autant plus difficile d'envisager l'option fret dans une période où « l'économie est vacillante », complète-t-il.« Un vecteur de développement industriel et touristique » Sur la réouverture de la voie ferrée Pau-Canfranc, Alain Rousset et son homologue aragonais Jorge Azcón ont cependant tenu à réaffirmer : « Il ne s’agit pas uniquement d’un projet d’infrastructure ou de transport. Il englobe des dynamiques beaucoup plus larges, constitue un vecteur de développement industriel et touristique, d’échanges économiques pour la cohésion territoriale et sociale. » Un pari sur l’avenir, et des coûts de chantier colossaux, qui rencontrent l’opposition d’une partie de l’opinion publique. « Les travaux pourraient commencer en 2027 ou 2028, suivis d’un chantier de deux à trois ans et donc d’une réouverture d’ici la fin de la décennie, ou le début de la suivante », veut cependant croire le président de la Région.

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