Développement durable dans l’aéronautique : « Toute l'industrie manufacturière doit se transformer »
Pendant deux jours l'événement a réuni 500 personnes au Casino de Biarritz. Crédits : Anthony Michel
En fin de semaine dernière, le casino de Biarritz recevait le Forum annuel d’Aerospace Valley. Le pôle de compétitivité européen de la filière aérospatiale du grand Sud-ouest a rassemblé plus de 500 personnes sur deux jours pour une série de tables rondes autour de l’avenir de la filière, et comment dessiner « l’entreprise durable au cœur des territoires » . Le président Bruno Darboux a répondu aux questions de Placéco.
Comment l’aviation aborde la question de la décarbonation, et comment y parvenir ?
Des deux options, celle de moins voler, n’est pas la tendance du marché. On est sur un marché ouvert, on ne réglemente pas le nombre de vols que doit faire une personne au cours de sa vie, contrairement à ce que certaines ONG prônent. Nous sommes dans un monde ouvert et les tendances du marché sont que les gens dans le monde veulent voler, veulent se déplacer. Et donc la tendance est haussière sur le besoin en transport aérien. Il y a des vols superflus et ça va se réguler. Mais le besoin profond de l'humanité pour se déplacer est là et il faudra bien le servir. Donc on n'a pas d'autres options que de satisfaire ce besoin avec des modes de transport décarboné. C'est l'option que le transport aérien mondial prend : marcher vers sa décarbonation. En ce qui concerne le consensus international, c'est l'OICV qui le définit avec une vision de décarbonation progressive du transport aérien jusqu'à 2050. Dans ce consensus mondial, il faut reconnaître que c'est l'Europe qui a pris le leadership et qui a le rôle pionnier de définir comment on décarbone le plus rapidement possible. Il y a un volet « production de carburants alternatifs » et là, ce n'est pas l'Europe qui est en pointe, mais plutôt les Etats-Unis. Ils se sont mis sur le business de la production de carburant aéronautique durable, les SAF, qui est en train de monter en puissance de manière conséquente. On essaie de faire monter cette même offre de carburant durable en Europe. Et puis on voit que les autres régions du monde s'y mettent aussi. Et donc ça, c'est un bon levier. L'autre levier, c'est la technologie. Et sur la technologie, on a la bonne intention en Europe et plus spécifiquement en France et plus spécifiquement dans le sud-ouest de la France, d'être les pionniers des nouvelles technologies pour l'aviation décarbonée.
Justement, comment entraîner tous les acteurs de la chaîne de valeur dans cette transition ?
Nous sommes en phase technologique, mais quand il y aura des lancements de nouveaux programmes, on aura besoin de tout le monde. Parce que notre industrie fonctionne avec une chaîne de valeur et où chaque maillon est important. Et s'il manque un maillon, on ne fait pas. Donc, progressivement, il faudra que l'ensemble de la chaîne de valeur se prépare effectivement au lancement de nouveaux programmes qui se traduiront par des appels d'offres. Il faudra être compétitif, innovant et crédible sur la capacité à produire. Donc tout le monde va y passer. C'est progressif. Aujourd'hui, ce sont les gros de la filière qui travaillent, c'est Safran, Airbus, Thalès qui sont en pointe sur les programmes technologiques. L'enjeu sur les quatre ans qui viennent, c'est progressivement d'intégrer des sociétés innovantes de plus petite taille, des sociétés manufacturières. Les intégrer dans des projets de recherche et les faire passer en phase de préparation d'appels d'offre. Y compris les usines, donc les sociétés qui sont purement manufacturières, qui devront produire avec des méthodes différentes, avec une compétitivité accrue sur des typologies de pièces ou d'assemblage qui peuvent être similaires à ce qu'on fait aujourd'hui, mais aussi différentes.
Comment s’assurer que tous les acteurs soient intégrés dans cet enjeu colossal ?
Je dirais que pour l'industrie manufacturière, le premier pas, c'est d'être capable de faire la montée en cadence sur les programmes actuels dans de bonnes conditions. C'est la première réponse sur les programmes actuels qui va permettre de préparer les prochains programmes. Donc, on a une transformation industrielle qui doit s'opérer dès maintenant, quels que soient les programmes applicatifs, que ce soit l'A320 qui va être produit dans les années qui viennent, ou l'A350 ou le futur avion qui va être lancé. Donc, toute l'industrie manufacturière aéronautique doit se transformer. Ça, c'est le volet fabrication. Ensuite, sur le volet positionnement sur les prochains programmes, ce n'est pas uniquement de la fabrication qui va être demandée, mais c'est de la nouvelle conception d'appareils, de nouveaux matériaux, de nouvelles motorisations. Donc tout un faisceau d'offres technologiques où là, le plan est de progressivement embarquer dans des projets collaboratifs davantage d'acteurs de petite taille. On est soutenus dans cette démarche par les régions qui ont bien en tête la défense et le maintien de leurs PME. Mais on est aussi soutenu par l'Etat dans le plan de financement pluriannuel que l'État accorde à la préparation technologique d'un l'avion bas carbone. Une part de plus en plus importante va être fléchée vers les PME et avec un engagement qu'a pris la filière pour réaliser ça. Et donc ça, c'est sur le plan de poids de financement 2024 2027. Dans le cadre du CORAC, le comité d'orientation de la recherche aéronautique civile qui gère le financement d'État. Donc on va allouer une part de plus importante d’aide d’Etat, aux PME pour participer au projet. Il y aura toujours une part d'investissement de la part des sociétés. La société qui n'investit pas aussi sur ses fonds propres, elle aura du mal à être au niveau. Et le pôle Aerospace Valley, dans ce contexte-là, il est en phase d'information de l'ensemble de la supply chain au travers d'événements dédiés. On en a fait un à Bordeaux et à Toulouse avec des événements de communication vers les patrons de la filière. Et puis au-delà de la communication, on a lancé un appel à manifestation d'intérêt pour collecter des propositions de la part des PME pour embarquer sur des projets collaboratifs avec les équipementiers.
« Dans l’aviation du futur, on a un consensus pour dire qu'elle doit être capable (...) de relier ce type de territoires ruraux »
Pour reprendre les thématiques abordées pendant ce forum, comment faire de l’entreprise aéronautique de 2030 un maillon entre les territoires ?
La filière aéronautique, c'est une filière qui est complètement ancrée dans les territoires. Ce n'est pas une affaire de Parisiens, ce n'est pas une affaire de Toulousains ou de Bordelais ou quoi que ce soit. On a un maillage dans le territoire qui fait sa force. C'est bon pour les territoires d'avoir de l'emploi industriel dans des villes, y compris des villes moyennes ou petites. Et c'est bon aussi pour l'industrie, qui arrive à drainer des compétences qui sont partout sur le territoire. C'est une force aujourd'hui, notre écosystème et c'est une force qu'on doit conserver. Donc ça suppose quand même d'être un peu au chevet de l'ensemble des sociétés et de voir à les développer de manière personnalisée. En premier lieu, c’est le rôle du chef d'entreprise, de voir comment il développe son entreprise. Mais les régions d'un côté, le pôle Aerospace Valley de l'autre, on a ce devoir de vigilance. La DGA, pour ce qui est du secteur de la défense, ce devoir de vigilance et d'accompagnement des entreprises pour qu'elles fassent les bons choix.
Il a aussi été question des territoires ruraux, comment relier ces territoires aux grands pôles de décisions mondiaux ?
On a eu un bon témoignage du député du Gers, David Taupiac, qui va à Paris souvent. Et qui témoigne des difficultés qu’il peut avoir lui et ses administrés pour se rendre à Paris. L'aviation du futur et du futur proche, on a un consensus pour dire qu'elle doit être capable, avec des petits avions, des émissions de carbone largement réduites, de relier ce type de territoires. Une force qu'on a dans le Sud-ouest et en France en général, ce sont beaucoup d'aérodromes un peu partout, donc une capacité, sans construire d'infrastructures, d'aller au plus près des gens. Après, il faut avoir une offre compétitive et décarboner, pour aller relier ce qu'on a un peu perdu. On veut collectivement retrouver ça et on a de nouvelles offres qui apparaissent avec des constructeurs locaux sur ce type de marché.
Justement, comment amener la filière vers cette évolution de marché ?
On a une chaîne de valeur qui doit se mettre en place avec des opérateurs, des gens qui fournissent les machines. Et on a eu un bon témoignage de Green Aerolease, qui est sur ce créneau-là, qui est actuellement sur les petits avions d'aéro-club, mais qui veut se positionner sur des solutions, sur la mise en commun d'avions de transport réguliers, petite capacité. Et puis il faut des constructeurs. Et là, on a des constructeurs à citer comme VoltAero qui est en train de construire son usine à Rochefort ou Aura Aero et il y a d'autres acteurs qui sont potentiellement sur ce créneau-là.