Méga-usine EMME en bord de Garonne : « un projet sérieux, par des gens expérimentés » - Premium

Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet, ses ressorts initiaux et ce qui vous a décidé à vous lancer dans cette aventure ?Ça fait maintenant plus de 25 ans que je suis dans l'industrie, plutôt à l'international. J'ai travaillé pour Michelin, ensuite dans le groupe suédois Sandvik, qui est spécialisé dans les alliages de métaux. Puis, j'ai basculé vraiment dans le secteur des métaux de base, nickel, cobalt… J'ai pu voir que ce monde des métaux venait à la rencontre de celui de la chimie des batteries. Et que l’Asie avait pris 15 ans d'avance sur nous, tant dans la sécurisation de ses approvisionnements, de ses chaînes logistiques, mais également en termes de savoir-faire et de technologie. Il y avait une orientation stratégique des grands constructeurs européens et mondiaux d’électrifier leurs flottes et je voyais cette dépendance à la fois industrielle et technologique se créer. Il m’est apparu évident qu’on avait deux grands challenges à relever en Europe et en France en particulier. À savoir sécuriser une petite partie, une alternative, pour dérisquer les chaînes logistiques et moins nous exposer à des risques géopolitiques. Et contribuer à l’émergence d’une filière européenne. Si on ne s’empare pas de ces sujets et qu’on reste dépendant de ces sources d’approvisionnement, ce sont elles qui établissent leurs standards et leurs normes. Aujourd’hui, l’équation n’y est pas. Fabriquer une batterie pour un véhicule électrique, notamment en raison de l'empreinte carbone du nickel, juste la batterie, ça revient presque à la même empreinte carbone que de fabriquer un véhicule thermique en entier ! Donc il faut vraiment qu'on travaille ce sujet sérieusement et pour ce faire, qu'on soit un acteur dans ce jeu-là pour avoir voix au chapitre. C’est ce que j’essaye d’expliquer à ceux qui nous disent « on n’a pas envie d’une usine comme ça en France et en Europe ».Fabriquer en France, face à une concurrence chinoise très agressive sur les prix, n’est-ce pas un handicap ?Il faut déjà que nous-même utilisions la meilleure technologie. Je réponds à la concurrence en utilisant leurs forces. J’ai une ingénierie qui est occidentale, avec la société Hatch. Et j’ai également sollicité des ingénieurs chinois qui ont été au cœur de la transformation et du succès de leur industrie. On a un procédé qui est économe en énergie, en réactifs et en eau. On a une première phase à 20.000 tonnes de nickel et 2.000 tonnes de cobalt par an, soit la plus grande unité de France et on a la capacité d’augmenter la production si les choses se passent bien, ce qui nous donnera un effet de volume intéressant.L’autre partie du travail est au niveau de la régulation, de la réglementation européenne et française, avec deux grands mécanismes. Le premier, c'est une taxation des matériaux importés, qui pourrait être plus forte en fonction de leur empreinte carbone. Et d'autre part il y a un sujet qui s'appelle les passeports batteries, une règlementation à la fois européenne et nationale qui va graduellement imposer des spécifications carbone et également en termes de pourcentage de composants recyclés, pour autoriser la mise sur le marché de ces batteries. Si bien que, comme nous visons dès le départ ces standards, on pense être qualifié et compétitif par rapport à celles et ceux qui ne seront pas en mesure de présenter une traçabilité de leur production et les standards nécessaires, tant en CO2 qu’en critères ESG.Esquisse du site industriel. Crédit : Julien de Smedt Architects Pourquoi choisir la Nouvelle-Aquitaine et pas une autre région plus proche des méga-factories de batteries qui seront vos clientes ?On produit des matériaux [ndlr : sulfate de cobalt, sulfate de nickel] qui seront utilisés par les fabricants de composants [ndlr, les cathodes], donc trois ou quatre étapes avant la batterie. EMME, c’est une usine, mais aussi un laboratoire en sciences des matériaux et en génie du procédé. Cette dimension de la Nouvelle-Aquitaine sur la propriété intellectuelle, le capital humain et le réseau, avec des laboratoires de recherche, une filière déjà établie dans la région et des entreprises présentes comme ACC, Saft, Orano, Solvay… Ils sont à la pointe de la recherche et de l’excellence industrielle et ça nous intéresse de nous fondre dans cet écosystème. Quand une usine comme ça est construite en Chine, elle est sept fois plus grande. Nous sommes petits, c’est 200 personnes pour commencer, on va essayer de monter à 300 ou 400. On a besoin de faire du qualitatif et de nous insérer dans une filière très établie. Il y a un petit surcoût logistique, mais on pense qu’il est largement compensé.« On sera dans une écoute respectueuse »Pourquoi le terminal de Grattequina et pas ailleurs sur l’estuaire de la Gironde ?On a tout visité, en France mais aussi l’ensemble des options possibles avec le Grand Port Maritime de Bordeaux. Il nous faut un terminal portuaire, 30 hectares de foncier, la possibilité de se connecter au réseau électrique haute puissance… Très vite, les autres options ont été écartées. Un autre site potentiel, au Havre, posait d’autres difficultés, logistiques, de recrutement et d’intégration. Ce site girondin est déjà utilisé depuis un moment à des fins portuaires, il est aménagé et les parcelles derrière dont on a besoin pour construire l’usine sont « à industrialiser à long terme ». On demande juste qu’elles le soient maintenant. Subtilité des procédures à la française, il faut commencer à parler du projet alors même que l’ensemble des études, notamment de danger et d’impact, ne sont pas encore réalisées. Les gens posent légitimement un certain nombre de questions puisqu’on fait une concertation publique, que j’ai prolongée d’ailleurs [ndlr : procédure menée par le Port de Bordeaux, qui a formulé cette demande de rallongement jusqu’au 20 mai].Le site sera classé Seveso non pas pour des risques d’explosion ou d’incendie, mais pour les risques de pollution de l’eau. Le deuxième sujet, c’est le risque hydraulique d’inondation. Je n’écarte pas ces objections d’un revers de la main. Je me suis engagé à revenir vers les gens à l’automne prochain pour expliquer tout ce qu’on allait faire pour les rassurer là-dessus. On sait gérer ces questions, de façon tellement sérieuse que des ingénieurs hollandais, qui sont quand même les meilleurs au monde sur ce sujet, vont venir cet été expertiser l’ensemble de la zone, pour avoir un double regard sur notre conception qui, déjà, remplit tous les critères règlementaires. J’essaye d’éviter une caricature d’opposition pendant la concertation. Les gens peuvent être pour ou contre mais je leur dis deux choses. Ce projet est sérieux, conduit par des gens expérimentés. Et on sera dans une écoute respectueuse.Quel impact peut avoir la procédure sur le projet et sur quoi pouvez-vous le faire évoluer pour améliorer son acceptabilité ?Le projet est classé d’intérêt national majeur et on pourrait même demander à l’Etat de passer d’une certaine façon en force. On s’y refuse, on va respecter les compétences des collectivités, des élus, jouer le jeu et expliquer. Certains seront dans une position dogmatique, idéologique et je n’y peux pas grand chose mais on peut déjà expliquer qu’on essaye de faire le moins mal possible en essayant d’anticiper, de respecter tous les corridors écologiques, dont un qui coupe l’usine en deux. On ne touche pas à un arbre. Je fais appel aux meilleurs architectes d’Europe. Puisqu’on surélève l’usine, selon les premières modélisations hydrauliques, il y avait potentiellement un impact jusqu’à un centimètre dans certaines zones de la rive droite et les maires m’ont dit « non c’est tellement sensible, il faut que ça soit zéro impact ». Alors on a revu tout le design de l’usine, toute l’implantation, tous les schémas. La concertation a déjà eu un effet. Il est nécessaire d’avoir des mesures d’accompagnement, en termes d’emploi, de contrats locaux mais aussi de finances publiques. L’usine en elle-même va permettre de rétablir les finances publiques de la commune de Parempuyre par exemple.Le projet sort du bois ces dernières semaines. Pourquoi, depuis deux ans, cette discrétion voire ce secret vis-à-vis du public et de certaines collectivités ?Pas du tout, ça fait deux ans que tout le monde le savait. Les maires, Bordeaux Métropole… Et la Région aussi. Tout le monde était au courant, de façon responsable pour la conduite du dossier. Il n’était pas question qu’on lance les procédures de concertation sans que le projet ait un certain degré de maturité. Nous-mêmes on n’était pas sûr et on continue à dire que ce n’est pas encore complètement validé. La décision finale d’investissement sera prise cet été. Le tour de table complet sera finalisé en milieu d’année, peut-être en juillet. Il faut que l’ensemble des parties prenantes, les investisseurs, banquiers, équipes techniques, clients potentiels, institutions, évidemment la population, il faut qu’on sente que ça prenne. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on déposera les demandes permis de construire et d’autorisations environnementale avec l’ensemble du dossier. Il sera soumis à enquête publique et tous les gens auront accès à l’ensemble des informations.« On rajoute 20% de capacité à un système européen largement déficitaire »Quelles assurances avez-vous sur le financement et notamment le volet aides publiques, nationales comme régionales ?Le projet a le soutien de l’Europe, de l’Etat, de la Région, des maires. Je ne peux vraiment pas me plaindre du soutien institutionnel. Le soutien financier est solide. On a un effet de levier qui est parmi les plus conservateurs, on ne charge pas le projet avec de la dette, il a plus de la moitié de ses financements en fonds propres et en aides directes. L’ensemble des grandes banques françaises veulent venir avec nous. Le projet sera annoncé ce 13 mai par le président de la République dans le cadre du sommet Choose France, ce qui officialise le soutien de l’Etat. Mais ça ne veut pas dire que toutes les conditions sont réunies de notre côté. Notre projet entre dans les critères de la loi dite « Industrie verte », d’octobre 2023 et pourra à ce titre bénéficier d’aides directes de l’Etat dans ce dispositif. La Région Nouvelle-Aquitaine est actionnaire d’un certain nombre de fonds, au travers desquels une participation éventuelle pourrait se concrétiser. Ou pas. On n’a pas demandé d’aides à la Région, on leur a proposé de participer à l’aventure, avec un éventuel siège au conseil d’administration. Mais ce n’est pas pénalisant s’ils n’y vont pas.Les technologies évoluent assez vite dans le monde des batteries. Dans quelle mesure l’usine sera-t-elle préparée ou adaptable à l’émergence d’une nouvelle demande ?La technologie NMC nickel-manganèse-cobalt, majoritaire sur les segments de voitures qu'on commercialise le plus fréquemment en Europe et en France, même si elle est appelée à évoluer vers moins de cobalt et plus de nickel, toutes les perspectives montrent qu’elle représente 40 à 50% du marché, même à horizon de 10 ans. Les modèles sont déjà créés, les technologies bien balisées. Quand on parle avec les grands constructeurs, ils évoquent 2030-2035. Je suis pas spécialement inquiet sur la mise en service, la montée en puissance, l'atteinte de la capacité nominale et le besoin de nickel et de cobalt de la chaîne. Je rappelle que pour alimenter les giga-factories européennes annoncées, il faudrait 600.000 tonnes de nickel par an à l’horizon 2030. À peu près 100.000 tonnes seront produites en Europe. Donc nous on rajoute 20.000 tonnes, 20 à 30% de capacité, à un système européen qui est largement déficitaire. Compte tenu de notre de notre positionnement, je pense qu’on est vraiment bien, pour de très nombreuses années.À lire également : Tout savoir sur le méga-projet EMME en bord de Garonne.

Méga-usine EMME en bord de Garonne : « un projet sérieux, par des gens expérimentés » - Premium

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