Ces lieux qui ont fait le Béarn, épisode 1 : « Sans le Petit Train d'Artouste, on ne serait plus là »
L'histoire de l'économie béarnaise est celle d'une série de transformations. Celles d'un territoire agricole, qui devient industriel, puis touristique et innovant. Cette semaine, Placéco vous propose de découvrir cette épopée au-travers de l'histoire de lieux emblématiques. Du Petit Train d'Artouste à l'usine Safran de Bordes en passant par Hélioparc, autant de hauts-lieux de l'économie béarnaise, et qui nous racontent son histoire.
Le Petit Train d'Artouste a attiré 140.000 touristes en 2024. | Photo : Anne-Sophie Estruch
Le plus haut petit train d'Europe se trouve à Artouste dans la Vallée d’Ossau. Retour sur l’histoire de ce train emblématique, né pour l'industrie hydroélectrique et devenu moteur économique d’un domaine skiable en déclin.
« Vous voyez les petites plateformes-là, montre du doigt le directeur de la régie d’Artouste, c’est là qu’il y avait les cabanes des ouvriers pour construire la voie. » Assis dans le dernier wagon de l’une des dix rames du petit train d'Artouste, Jean-Christophe Lalanne répond aux questions de deux touristes venus d’Alsace. Ce mardi de juillet, ce sont plus de 2.500 personnes qui sont venues vivre l’expérience du très médiatisé petit train béarnais.
Directeur de la régie d’Artouste depuis 2019, Jean-Christophe Lalanne connaît chaque virage du chemin de fer dont la construction a débuté en 1920, il y a plus d’un siècle pour bâtir le barrage hydroélectrique au lac d’Artouste. « On parle toujours de la conquête de l'Ouest par le train aux États-Unis. Nous on avait la même chose à Artouste à 2.000 mètres d'altitude », raconte fièrement, sourire en coin, l’enfant de la vallée. Car c’est vrai, monter à bord de ce train rouge et jaune, c’est voyager dans l’histoire industrielle de la Vallée d’Ossau.
Un chantier colossal
Figurez-vous que l’hydroélectricité a été inventée par un Pyrénéen ! Aristide Bergès, originaire d'Ariège. Après-guerre, c'est une énergie de pointe dont la Compagnie des chemins de fer du Midi devenue plus tard la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) se saisit. Le groupe entame la construction d'usines hydroélectriques pour électrifier son réseau pyrénéen de voies ferrées.
C’est ainsi qu’un premier barrage hydroélectrique voit le jour en 1910 au lac des Bouillouses dans les Pyrénées-Orientales puis à Soulom dans la Vallée d’Aure, suivi du Pays basque, jusqu’en Vallée d’Ossau au début des années 1920 avec le lac d’Artouste. Ce sera le plus grand barrage des Pyrénées. Pour réaliser cet ouvrage, un téléphérique est construit par une société allemande dans le cadre des dommages de guerre. C’est également à ce moment que la ligne de chemin de fer est construite au départ de La Sagette. Le train devient le moyen d’acheminer les marchandises et les hommes du téléphérique jusqu’au barrage situé à 2.000 mètres d’altitude.
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Une ligne de chemin de fer unique, longue de dix kilomètres, à flanc de falaise, le long des canalisations d’eau, enfouies sous la roche. Il faut s’imaginer entre 1920 et 1924, de deux à trois mille ouvriers grimper dans le petit train : « Le lac d’Artouste était un lac naturel assez profond, il y a eu une hausse de 20 mètres du barrage qui a été faite. Les ouvriers taillaient les pierres sur place, c’est un magnifique ouvrage », raconte Sophie Le Scaon, chargée de communication à la SHEM et incollable sur l’histoire du petit train.
Un outil industriel devenu un outil touristique
En 1929, le barrage est mis en eau et le train, lui, n’a plus vraiment d’utilité. Les rails doivent être démontés. Mais c’était sans compter sur l’intervention d’un homme qui sut voir dans le chemin de fer, le potentiel d’une future activité : « En 1932, il y a un visionnaire, reprend Sophie Le Scaon. L'ingénieur des travaux a proposé, plutôt que de démonter la voie, de la conserver et faire profiter d'autres personnes de ce cadre extraordinaire qui est le vallon de Soussouéou. » C’est ainsi qu’au début des années 1930, la préfecture demande à ouvrir le petit train d'Artouste aux touristes, d'abord seulement les dimanches après-midi durant l’été. En 1967, la station de ski d’Artouste est créée grâce aux infrastructures déjà présentes sur place et renforce l’attractivité de la Vallée d’Ossau.
Cent ans plus tard, la ligne de chemin de fer est toujours utilisée par les ouvriers de la SHEM une à deux fois par semaine, afin d'effectuer des travaux sur le barrage. Le petit train, lui, est devenu l’attraction touristique numéro un de la station d’Artouste, avec plus de 140.000 visiteurs en 2024.
« Sans le train, la station d’Artouste ne serait plus là »
Jusqu’en 2024, la SHEM était propriétaire du train, déléguant l’exploitation à différents organismes : Altiservice, une filiale d’Engie ou encore le département. « Entretenir un train coûte très cher. Nous sommes producteurs d’électricité, pas exploitants touristiques », explique l'entreprise. En 2019, la commune de Laruns récupère la gestion de la station et la place gestion directe à travers la Régie d’Artouste. Jusqu’en 2024, celle-ci versait 300.000 euros par an à la SHEM pour l’exploitation du matériel roulant. Cette dernière, elle, restait chargée de l’entretien des rames et payait jusqu’à 700.000 euros de frais annuels, une situation devenue trop compliquée pour les deux parties.
En juin 2024 un accord est trouvé, le Petit Train est vendu à la commune de Laruns pour un euro symbolique. Depuis, la régie communale gère l’activité touristique à 100%. La SHEM reste responsable de l'entretien des voies. Cette année, une convention tripartite a été signée avec la SHEM, l’Etat et la régie d’Artouste pour exploiter la voie de chemin de fer pendant encore 30 ans. Une garantie pour se projeter : « Sans le petit train, la station ne serait plus là », affirme Jean-Christophe Lalanne.
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Car face au changement climatique, le ski se fait de plus en rare dans la Vallée d’Ossau. Grâce à la diversification de ses activités quatre saisons (kart, VTT, tyroliennes à virage, base nautique), la station fait figure d’exemple. « En 2024, le chiffre d’affaires des nouvelles activités qu’on a mis en place depuis cinq ans supplante la seule activité du ski », se félicite le dirigeant. L’année dernière, le chiffre d'affaires de la station, toutes activités confondues, était de plus de quatre millions d’euros. 80% de ce dernier est réalisé l’été. Des investissements sont d’ores et déjà prévus pour acheter 11 wagons supplémentaires et attirer de nouveaux touristes. Avec 110 salariés l’été et une soixantaine l’hiver, Artouste reste un employeur important dans la vallée.
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