Souveraineté numérique - Nicolas Leroy-Fleuriot : « Ne pas livrer nos secrets aux puissances étrangères » - Premium

Sur quoi repose la souveraineté numérique pour une entreprise ou une collectivité ? Et pourquoi est-ce devenu une priorité stratégique ?La réelle prise de conscience est récente et remonte à janvier dernier. Avec la présidence Trump, on réalise que les Américains peuvent être des alliés, mais aussi des dangers. La donnée numérique, c’est l’or noir du XXIe siècle et lorsqu’on l’expose à des opérateurs de cloud américains - je ne parle même pas des opérateurs chinois - on livre toutes nos recettes de cuisine à une puissance étrangère. Les Américains ont conçu une loi qui s’appelle le Cloud Act. Elle dit qu’un opérateur cloud de droit américain - je rappelle que les trois principaux, ce qu’on appelle les hyperscalers, sont Microsoft avec le cloud Azure, Google et sa Cloud Platform et Amazon avec AWS - est obligé de les fournir si l’une des agences gouvernementales américaines le demande, même si les datacenters en question sont en Europe par exemple. Il n’y a pas que la NSA, on dénombre 17 agences de renseignements américaines. L’entité concernée est informée, uniquement informée elle ne peut pas s’y opposer, que ces données sont communiquées, sauf si c’est un risque pour la sécurité du territoire. Trump, c’est « America first » et l’interprétation de cette notion de sécurité peut être suffisamment extensive pour considérer qu’une entreprise française dont un brevet menace le leadership d’un concurrent américain est une menace pour leur territoire. L’une des solutions, c’est ce que nous faisons chez Cheops, c’est utiliser les meilleures technologies du marché, elles sont souvent américaines, mais de façon souveraine, en les exploitant nous-mêmes.Entre le RGPD, le Cloud Act américain et les initiatives européennes comme les Data Governance Acts, comment les entreprises peuvent-elles naviguer dans ce paysage réglementaire complexe et garantir la localisation et la protection de leurs données ?L’Union européenne s’est dotée d’un cadre qui s’appelle le Cloud Sovereignty Framework pour mesurer la souveraineté numérique des services cloud utilisés par les entités publiques et privées en Europe. Par exemple, chez Cheops, nous sommes noté 3,1 sur 4, ce qui nous permet d’atteindre le seuil « Full Digital Sovereignty ». En clair, ça démontre une autonomie complète des opérations, de la sécurité et des données avec un ancrage juridique et économique français.Des sujets souvent mis en attenteLa certification SecNumCloud de l’ANSII est souvent citée. Est-ce l’unique gage de souveraineté pour un service cloud ou y a-t-il d’autres critères de confiance essentiels à prendre en compte ?Nous étions partis pour passer cette certification et finalement on estime que c’est un truc à la française, un peu difforme, pas adapté aux attentes du marché et aussi à ce que nous faisons, c’est-à-dire pas seulement du cloud « sec » mais des services managés. Les attentes des clients, aujourd’hui, sont davantage des certifications autour de l’hébergement de données de santé, qui est en train d’évoluer et qui est drastique en matière de souveraineté de la donnée médicale, ou aussi des attentes autour de l’ISO 27001 dans sa nouvelle forme. La certification EUCS, qui est justement une certification de souveraineté européenne, sort ces jours-ci, elle sera beaucoup plus adaptée au marché.Quels sont les leviers des collectivités territoriales pour l’adoption de solutions numériques souveraines ?Il y a une directive de la Dinum [ndlr : Direction interministérielle du numérique, placée sous l’autorité du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques] qui dit aux collectivités et administrations publiques « vous ne pouvez plus localiser de données chez les opérateurs de cloud américains ». Donc elles sont en train de s’adapter et cela suppose des projets de migration technologique. On commence à voir émerger des appels d’offres de clients publics qui veulent notamment changer de suite collaborative, dont la messagerie. Cheops Technology répond aux attentes de ce marché avec son offre Mail in France, car c’est une suite collaborative entièrement basée sur de l’open source, hébergée chez nous, non soumise au cloud et qui permet de ne pas modifier l’expérience utilisateur puisque l’interface va rester la même, mais tout le moteur de messagerie sera différent. Ce sont des sujets qui sont souvent mis en attente, jusqu’à ce que des accidents ou des espionnages industriels graves adviennent.Au-delà, comment les collectivités peuvent-elles stimuler l’émergence et le développement d’un écosystème de compétences et solutions numériques souveraines ?Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a été précurseur en créant le Campus Cyber NA, un super outil qui répond à une attente et fait de l’évangélisation sur la souveraineté. D’ailleurs ils utilisent Mail in France, à la fois pour leur messagerie interne, mais aussi pour proposer une messagerie de secours quand un client en Nouvelle-Aquitaine est hacké.La même approche souveraine avec l’IA qu’avec le cloudQuel est le coût réel, notamment financier, dans le choix de la souveraineté numérique pour une PME ou une ETI ?Je pense qu’il est neutre ou quasiment, car le « pricing » est dicté par le leader du marché. Changer de messagerie par exemple, à part la notion de souveraineté, ça n’apporte pas de valeur financière à la boîte, mais il faut se dire qu’on a la bonne solution avec un partenaire français, pour s’assurer que le concepteur du produit, souvent étranger, ne puisse pas accéder aux données.Si on se projette à cinq ans, pensez-vous que la souveraineté numérique sera un standard ou restera un facteur de différenciation pour les organisations françaises et européennes ?Je fais un vœu pieux, j’aimerais qu’elle devienne un standard. Les entreprises qui ont des données sensibles et les organisations publiques n’ont pas le choix, ça doit devenir un standard. Changer de messagerie, par exemple, se fait sans coût supplémentaire mais cela apporte de la souveraineté tout en garantissant la confidentialité et la sécurité des données.Cheops Technology vient de franchir la barre symbolique des 200 millions d’euros de chiffre d’affaires consolidé. Y a-t-il de nouveaux segments sur lesquels vous travaillez, notamment pour élargir votre offre de services en matière de souveraineté numérique ?Cette taille critique nous permet d’apporter des garanties de pérennité. On a des fonds propres, on est solides financièrement, le client est rassuré car les contrats cloud ou cybersécurité sont de trois ans minimum, cinq ans en général. Et on parle le même langage, à savoir une problématique d’ETI solutionnée par une ETI. Concernant l’avenir, l’IA est un métier nouveau pour nous et il y a des effets d’annonce chez beaucoup de gens, comme aux débuts du cloud. Le cloud, ce sont des datacenters sécurisés, c’est aujourd’hui une problématique de bilan carbone, des technologies sans arrêt nouvelles pour consommer moins d’énergie et avoir une meilleure efficience énergétique, c’est maintenant un sujet de souveraineté. Le cloud est un vrai métier à part entière et nous aurons la même approche avec l’IA. On va continuer d’investir dans de nouveaux cas d’usage. C’est un long chemin qui nous attend. On est encore à la préhistoire de l’intelligence artificielle, même si le rythme s’accélère de plus en plus.

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