François Gabart, du skipper au stratège : l’homme qui réinvente la mer et la mobilité durable - Premium

Il aurait pu se contenter de naviguer. D’ajouter quelques lignes à un palmarès déjà bien rempli, de collectionner les tours du monde en solitaire. Mais depuis quelques temps, François Gabart trace une autre route. L’ancien vainqueur du Vendée Globe a transformé son expérience de marin en un laboratoire d’innovations industrielles, où se croisent compétition, transition écologique et entrepreneuriat. Du large à la terre, du carbone au bois, il incarne une nouvelle génération de chefs d’entreprise où la performance se conjugue désormais avec sens et durabilité.François Gabart ne regarde plus uniquement vers le large. Il s’intéresse aussi à la mobilité terrestre — plus précisément, aux vélos en bois. Récemment, il a investi dans les Ateliers Gonnel, une jeune entreprise rochelaise qui fabrique des cadres en bois massif et fibres naturelles. Le déclic s’est produit au hasard d’une visite. Séduit, il découvre des problématiques communes : « Il y avait plein de points communs avec le nautisme : l’histoire, les matériaux, les composites, le bois. » Pour autant, son investissement reste modeste. « Je garde un lien avec les Ateliers Gonnel plutôt avec une casquette d’utilisateur, d’ambassadeur. » Le navigateur aime à tisser des passerelles : entre nautisme et cycle, artisanat et technologie, mer et terre. Une même philosophie du mouvement, durable et locale. Une vision cohérente, qui s’inscrit dans un parcours bien plus large : celui d’un marin devenu chef d’entreprise, sans jamais vraiment quitter le sillage de l’innovation.Un glissement progressif, presque naturel« Je vais relativiser un peu le propos, parce qu’en fait j’ai créé MerConcept quand j’ai voulu faire de la course au large mon métier, donc il y a quasiment vingt ans. » D’emblée, François Gabart refuse l’idée d’une reconversion. Pour lui, le passage du navigateur à l’entrepreneur n’a rien d’un virage, encore moins d’un renoncement. C’est une évolution continue, un double sillage. MerConcept, son entreprise basée à Concarneau, a grandi avec lui. « Au début, MerConcept, c’était un bateau, un sponsor, un skipper – moi à l’époque. Et puis, à un moment donné, on a basculé sur plusieurs bateaux, plusieurs sponsors, plusieurs skippers. » L’organisation s’est étoffée, la structure aussi. Aujourd’hui, l’entreprise ne se limite plus à la course au large, elle conçoit et construit des bateaux, mais aussi des projets liés à la décarbonation maritime.Lire également - Grand Pavois La Rochelle 2025 : l'éco-navigation et l'innovation durable en vitrineCe glissement s’est fait sans plan préétabli : « C’était ni prévu ni imaginé. Ça s’est fait un peu au fil du temps, un peu naturellement. » Avec le temps justement, l’homme de mer est devenu stratège, à la tête d’une PME d’innovation. Une manière aussi de rendre la structure plus solide : « Je me suis dit à un moment donné : tout était sur mes épaules en tant que skipper. Si jamais je me blesse, si je perds un sponsor, tout ça est fragile. » L’entrepreneuriat, chez François Gabart, est né d’un instinct de préservation autant que d’une quête de sens.Du skipper au chef d’entrepriseL’ancien champion voit peu de différence entre son ancien métier de marin et son rôle actuel de chef d’entreprise : « Faire une stratégie, c’est faire des prévisions, avoir un plan, et s’adapter quand il ne se passe pas comme prévu. » Sur l’eau comme dans les affaires, il faut savoir anticiper, improviser, s’entourer. « Construire un bateau, on ne peut pas le faire tout seul. Même si on fait la course en solitaire, on a une partie en équipe qui est super importante. »La comparaison ne s’arrête pas là : « Un bon navigateur est un bon chef d’entreprise. Les métiers sont proches. » Dans les deux cas, il s’agit de piloter un projet, de fédérer des talents, de chercher la performance. Pour lui, la course au large française est déjà une école d’entrepreneuriat : « Les marins du Vendée Globe ou de la Route du Rhum sont des porteurs de projets. Ils ont un rêve, une vision, une envie, qu’ils vont transformer en réalité en convainquant un sponsor, en construisant une équipe, un bateau. » Et d’ajouter : « Quand on est entrepreneur, on a souvent l’idée d’un produit, une vision, une envie. Il faut aller trouver des clients, des investisseurs, puis réaliser le produit et essayer de l’optimiser. » Une logique d’innovation, de stratégie et de résilience, autant de qualités forgées au large et transposées à terre.Un cargo à voile pour relier les continentsLa dernière illustration de cette dynamique se trouve du côté de Vela, jeune entreprise cofondée par François Gabart, dont le but est d’opérer dans le domaine du transport de marchandises à la voile entre la France et les États-Unis. Jeudi 23 octobre dernier, à quelques jours du départ de la Transat Café L’Or, l’équipe a d’ailleurs annoncé que le voilier cargo de 67 mètres, capable de transporter 600 palettes, actuellement en construction, aura Caen-Ouistreham (Calvados) pour port d’attache. Sa livraison est prévue en 2026.Lire également : Les Ateliers Gonnel passent à la vitesse supérieure Après les courses et les projets, François Gabart s’apprête à lever l’ancre pour un autre type d’expédition. À l’automne 2026, il partira pour un voyage de trois ans autour du monde, en famille. Une parenthèse qui prolonge, d’une autre manière, ses engagements. « Je garde un lien avec les sociétés que j’ai fondées, mais je ne suis plus dans l’opérationnel. » Ce tour du monde s’annonce comme une respiration, sans rupture. Et d’ajouter, presque en forme de devise : « Je ne quitte pas l’océan, je le regarde juste un peu autrement. »

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