Chute du gouvernement Bayrou : « Les entreprises demandent stabilité et visibilité », témoignent les décideurs locaux
François Bayrou lors des questions au gouvernement. Crédit : Assemblée Nationale
Alors que François Bayrou vient de remettre la démission de son gouvernement, Placéco a interrogé les représentants du monde économique néo-aquitain. Sans se concerter, ils s’accordent, entre lassitude et incertitudes.
Ce mardi 9 septembre, le Premier ministre François Bayrou a remis la démission de son gouvernement au président de la République. Celui-ci, qui avait annoncé dès lundi et le vote de censure de l’Assemblée Nationale vouloir désigner rapidement un successeur, a annoncé mardi soir la nomination à Matignon du ministre sortant des Armées, Sébastien Lecornu. La passation de pouvoir avec François Bayrou aura lieu mercredi à midi. En attendant la composition du prochain gouvernement, le monde économique néo-aquitain retient son souffle et témoigne.
Encore du temps perdu
En juillet 2024, au lendemain des élections législatives anticipées, Sébastien Labourdette, président de la Fédération du BTP des Pyrénées-Atlantiques, regrettait « l’incertitude » dans laquelle la dissolution de l’Assemblée Nationale avait plongé le pays. Alors que le Premier ministre François Bayrou a remis ce mardi à Emmanuel Macron la démission de son gouvernement, le dirigeant regrette « une remise à zéro de tout ce que l’on a pu travailler durant l’année. On avait obtenu des accords sur la remise en route de Ma Prime Rénov, sur le dispositif de bailleur privé, sur l’urbanisme… Je ne sais pas, maintenant, si tout cela sera validé. Je l’espère, mais je crains que le futur gouvernement n’en prenne pas la peine ». D’un futur Premier ministre, Sébastien Labourdette espère « ce que j’ai espéré de François Bayrou. Qu’il puisse faire consensus, au moins sur des questions comme le logement ou l’investissement public. Les entreprises ont besoin qu’un budget soit voté ». Cette démission, « on s'y attendait quand même un peu, confirme Nathalie Larroutis, présidente du Medef Béarn et Soule. La succession des gouvernements est très préoccupante, les entreprises demandent stabilité et visibilité et nous avons tout le contraire. Tout est à l'arrêt ». Quels échos des entrepreneurs de son territoire ? « Les investissements sont freinés et les recrutements mis en attente. Nous attendons de voir à quelle sauce nous allons être mangés. Quel gouvernement et quel budget aurons-nous en 2026 ? Est-ce que les entreprises seront taxées, encore et encore ? »
Avec un cinquième locataire de Matignon depuis le début du second quinquennat Macron en 2022, cette valse des dirigeants fait grincer les dents. Cécile Borg, représentante de la CPME 64 : « D’un point de vue assez général, l’instabilité politique crée des incertitudes, les entreprises sont à l’arrêt. On attend du concret pour travailler. On est tous dans l’attente. Ça fait déjà cinq ans que les difficultés économiques sont supportées par les entreprises, mais on n’en voit pas le bout, les entreprises sont essoufflées. Il faut arrêter les discours de séparation entre salariés et patrons. On est tous ensemble. » Pour Mathias Saura, président du Medef Gironde, cette situation d’incertitude renforcera l’immobilisme des dirigeants, très attentifs à leur trésorerie. « Tout le monde a peur de demain, car il s’agit du nerf de la guerre pour les entreprises. Aujourd’hui, on entend des injonctions à ne pas toucher aux trésoreries, ce qui génère des freins pour l’économie. » Or, rappelle-t-il, c’est avant par la croissance que l’on sortira du cercle vicieux de la dette. « Ne nous mentons pas, la dette sera toujours là. Mais elle sera beaucoup plus acceptable si le pays crée de la richesse. » Mathias Saura ne cache pas sa lassitude : « Là où l’on devrait se prendre en main pour progresser tous ensemble, nous sommes à l’arrêt pour des raisons purement personnelles de nos dirigeants. »
L’Italie, la Grèce… et la France
« Quelle image donnons-nous de la France aux investisseurs étrangers ? », s’interroge la présidente du Medef Béarn et Soule. Depuis ce 9 septembre, la France emprunte aussi cher que l’Italie : le taux des obligations du Trésor français à 10 ans s’établissait sur le marché à 3,47% ce mardi matin, autant que le taux des obligations italiennes. Jean-François Clédel, président de la CCI Nouvelle-Aquitaine, voit plusieurs conséquences en cascade à cette instabilité politique : « Je crains que l'investissement continue de se dégrader. Or c'est une forte part de la croissance d'un pays, donc de sa note. » Il s'attend « à une croissance négative dès la fin de 2025 car j’ai peur que les ménages préfèrent épargner plutôt que consommer et cela accélérerait le rythme des défaillances d'entreprises ». Et il redoute que ce contexte fasse le jeu des extrêmes politiques. Il se dit « dépité, consterné » par l'attitude des députés français qui « placent leur futur avant l'intérêt du pays ». Selon lui, « le gouvernement de François Bayrou n'est pas le meilleur de la Ve République mais la sagesse aurait voulu qu'on le laisse aller jusqu'aux élections pour assurer un minimum de stabilité. Ils n'ont pas voté le vote de confiance mais ils menaçaient aussi de censurer le budget. Nous sommes dans une situation financière où la stabilité politique assure un meilleur contexte économique. Provoquer l'instabilité c'est fragiliser l'économie, l'emploi et donc leurs électeurs. Avec le budget de monsieur Bayrou, nous étions sur une trajectoire en vue d'un redressement. Là, on prend le chemin inverse et on risque de finir comme la Grèce. Et à ce moment-là, la potion sera encore plus amère à avaler ».
Un sentiment de lassitude partagé par Francis Grimaud, président de l’Union Maritime et Portuaire de France et à l’Union Maritime de La Rochelle : « Les entreprises sont habituées à subir les moments d’instabilité politique » et à faire en sorte de poursuivre l’activité « malgré tout ». Francis Grimaud rappelle que le secteur maritime a lui aussi besoin d’anticipation et de visibilité « à l’heure d’investir et de décarboner. On ne navigue pas à vue mais avec un cap », insiste-t-il, alors que les obligations budgétaires, environnementales et la modernisation des infrastructures s’imposent simultanément aux acteurs portuaires. Le rôle de l’Union Maritime, dit-il, reste d’« amariner les élus, de les acculturer sur l’économie portuaire », afin qu’ils mesurent ce que représentent les quatre ports de Nouvelle-Aquitaine en matière d’emplois et de richesses. Les grands rendez-vous de la filière, comme les Assises de l’économie de la mer (prochaine édition les 4 et 5 novembre à La Rochelle), ont aussi besoin d’une présence forte de l’État : « J’espère que nous serons honorés d’un président ou d’un ministre, et que nous pourrons continuer notre travail de prise de conscience. » Dans un monde portuaire qui repose sur un fragile équilibre, « le partenariat public-privé fonctionne très bien », souligne-t-il, jugeant indispensable de préserver cette continuité « à l’heure où l’on parle de souveraineté ».
Et demain ?
« On a besoin de stabilité politique qui permet d’avoir une visibilité à long terme, et que les difficultés des entreprises actuelles soient prises en compte pour ne pas alourdir le manque de rentabilité qu’on peut rencontrer. Et ça c’est dans tous les secteurs, et sur tout le territoire », estime Cécile Borg. « Si au bout de tout ça, on se retrouve à nouveau avec une dissolution, je jette l’éponge… », se désespère pour sa part Sébastien Labourdette. Jean-François Clédel a-t-il un brin d'optimisme dans sa vision de la situation ? « Aucun », tranche-t-il.
☞ Sur le mouvement de mobilisation de ce mercredi 10 septembre, Nathalie Larroutis affiche son inquiétude : « On ne peut que l’appréhender, car on n'en connaît ni l’ampleur, ni la teneur. Nous sommes très vigilants et en alerte, le Medef peut être vu comme une cible. » Pour l'éviter, demain, les bureaux du Medef Béarn et Soule seront fermés, nous indique-t-elle.