Babyride en liquidation judiciaire : « On a sous-estimé l’aspect industriel du projet » - Premium

Fondateur au milieu des années 90, avec un associé, de la marque textile « 64 » dont il a cédé ses parts en 1997, Pierre-Yves Batté a grandi en Béarn, fait ses études à Paris et s’est installé à Anglet en 2013 avant de fonder, début 2016, la société Babyride. Une aventure inspirée par la naissance de son quatrième enfant et le souvenir d’avoir été un des premiers en France, 20 ans plus tôt, à opter pour une poussette trois roues. Il se lance avec la volonté de proposer un produit le plus responsable possible. « Je suis parti sur un modèle vertueux, sans plastique, avec une poussette conçue comme un vélo en acier et non pas en alu, entièrement réparable, démontable mais aussi recyclable. » Il se rapproche du cabinet luzien Think , spécialisé dans l’éco-conception. Et travaille le sourcing, avec le souci de se fournir autant que possible localement, en France ou en Europe. Seules les roues ne peuvent se plier à cette règle, « Taïwan détenant un quasi-monopole ».« Une fois la conception faite sur le papier, il a fallu trouver tous les partenaires industriels, dans l’univers de la métallurgie, dans le textile. Sans oublier les homologations et la conformité… Ça a été un parcours du combattant », se remémore-t-il. Sur le plan commercial, deux axes sont retenus : la vente en ligne et une présence dans des magasins physiques. « On avait un site marchand, avec un module de personnalisation 3D qui permettait de faire sa poussette sur mesure avec près d’un millier de possibilités mises à disposition des acheteurs. » Pour la mise en place du réseau de distribution, les choses se gâtent. « On avait un plan de financement qui n’a pas été jusqu’au bout. On avait levé 300.000 euros, avec un effet de levier prévu du même montant auprès de Bpifrance. Ils nous ont donné 120.000 euros et le solde, qui devait être consacré au développement commercial, n’est jamais arrivé. »Essayer par ses propres moyensLa jeune pousse perd clairement l’un de ses moteurs. « Notre business plan, c’était les ventes directes avec notre configurateur pour avoir énormément de modèles à disposition et passer par des revendeurs, avec un aspect plus concept-store que puériculture, sur deux ou trois modèles best-seller qu’on avait décelés à destination du grand public. Mais on n’a pas pu arriver à nos fins. Si on n’a pas de magasins, il faut une grosse visibilité sur la toile, mais on avait trop peu de budget. On a essayé pendant deux ans de faire tourner le modèle économique comme on a pu. On vendait deux-trois poussettes par mois, alors qu’il en fallait sept ou huit pour être à l’équilibre. Et nous n'étions que deux. » Faute de volume, difficile de baisser les coûts. « On avait un pilot run de 150 poussettes et on en a vendu la moitié. Pour revoir les coûts de sourcing, il aurait fallu commander de quoi faire 500 à 1.000 poussettes, ce qui représente au minimum 500.000 euros à sortir pour nous. »D’autant que Babyride a commis un péché originel, confesse son fondateur. « Une chose qu’on a peut-être mal appréhendée, c’est l’industrie. Changer un boulon ou une vis dans un process industriel, ça prend six mois. » Ce qui s’avère fatal quand le produit développé coupe d’une large partie du marché des parents. « On a commencé par une poussette pour le deuxième âge, à partir de six mois. 80% des poussettes sont achetées par des jeunes parents pour accueillir leur premier enfant et moi je ne pouvais pas répondre à cette demande. Je n’avais potentiellement que 20% du marché. Quand j’ai démarré, je me suis dit que j’aurais le temps de rectifier le tir, mais des changements comme celui-là, structurels, demandent beaucoup trop de temps sur le plan industriel. »Une reprise encore possible quelques semainesPlacée en redressement judiciaire à l’été 2023, la société a été en pourparlers avec des industriels pour une éventuelle reprise. « Tous trouvent notre produit cool, bien conçu, mais il faudrait réinvestir beaucoup d’argent pour relancer la machine. » Pour une part, le dirigeant estime avoir eu raison trop tôt, notamment sur l’aspect réparabilité à vie et sur son programme « Seconde Vie » par lequel les acheteurs pouvaient se faire racheter la poussette par l’entreprise une fois qu’elle ne leur était plus utile. « Récupérer des poussettes usagées, la réparabilité, le côté green… tout le cycle de vie de ce genre de bien était un modèle vertueux et qui, aujourd’hui, est viable, mais on n’a pas eu les moyens de nos ambitions », déplore-t-il. L’aventure, dans laquelle quelque 800.000 euros de fonds publics et privés auront été investis, est en passe de définitivement s’achever. Les éventuelles offres de reprise peuvent être déposées jusqu’au 15 juin. Sinon, les actifs seront dispersés, vendus aux enchères. S’il garde un œil sur cette date, sans trop se bercer d’illusions quant à un rachat de Babyride, Pierre-Yves Batte ne regrette pas les six années « consacrées à 100% à cette aventure ». Depuis six mois, il a réactivé son agence de communication Shorebreak, dédiée « à tout ce qui est risques psychosociaux pour les entreprises, au niveau de la marque employeur et de la santé des salariés ». Une société « qui avait été mise un peu en sommeil et qui constitue aujourd’hui ma planche de salut. C’est ce que je sais faire ».

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